L'acrostiche
L'acrostiche est un poème
dont certains éléments forment un autre message. Le texte
peut être lu de haut en bas
en ne tenant compte que des lettres initiales, médianes
(mésostiche) ou
finales (téléstiche, acrotélenton). Ce message est
un mot clé, une devise, une sentence, voire un nom propre qui
désigne l'auteur, le destinataire du texte. L'acrostiche se
présente
le plus souvent sous la forme d'un court poème, mais elle peut
être aussi une
phrase. L'acrostiche peut être simple, double, syllabique...
Le terme acrostiche apparaît
en 1582 du grec acrostichis, « pièce où les
initiales de chaque vers réunies
forment un sens » (attesté chez Denysd'Halicarnasse) , du
grec akros «
eztrême » et stichos, « vers ». Il convient de
ne pas confondre ce terme avec
l'acronyme qui désigne une formation de mot par siglaison.
Ce jeu apparaît dans
l'Antiquité, on le trouve chez Ennius, Plaute, Commodien dit de
Gaza. En fait, les acrostiches de Plaute sont dues au pseudo-Priscien
grammairien. Elles contiennent l'argument de la pièce sous forme
versifiée :
Amore captus
Alcumenas Jupiter,
Mutavit
sese in ejus formam cunjugis,
Pro patria
Amphitruo dum cernit cum hostibus
Mutavit
Mercurius ei subservit Sosiae :
Is
advenienteis servom ac dominum frustra habet.
Turbas
uxori ciet Amphitruo; atque invicem
Raptant pro
moechis. Blepharo captus arbiter,
Uter sit,
non quit, Amphitruo, decernere.
Omnem rem
gnoscunt : geminos illa enititur.
Jupiter,
amoureux d’Alcmène, a pris les traits d'Amphitryon,
son époux, pendant que celui-ci combat les enne-mis de la
patrie.
Mercure le sert sous la figure de Sosie, et, quand reviennent le
maître
et l'esclave, il s'amuse à leurs dépens. Le mari fait une
querelle à sa femme. Les deux Amphitryons s'accusent
réciproquement
d'adultère. Blépharon, choisi pour juge entre l'un et
l'autre,
n'ose prononcer. Enfin le mystère se découvre :
Alcmène
accouche de deux jumeaux.
Cet emploi de l'acrostiche est essentiellement explicatif et
didactique, on retrouve cette forme chez Commodien dans un but
apologétique : il s'agit de frapper les esprits par une formule
mémorisable.
François Villon
Villon donne souvent son nom en signature dans l'envoi des ballades :
Vivons en paix, exterminons discord ;
Ieunes et vieux, soyons tous
d'un accord :
La loi le veut, l'apôtre
le ramene
Licitement en l'epître
romaine ;
Ordre nous faut, etat ou aucun
port.
Notons ces points ; ne laissons
le vrai port
Par offenser et prendre autrui demaine.
(Ballade de bon conseil)
Vente,
gresle, gelle, j'ay mon pain
cuit.
Ie
suis paillart, la paillarde me
suit.
Lequel
vault mieux ? Chascun bien
s'entresuit.
L'ung
vault l'autre ; c'est a mau
rat mau chat.
Ordure
amons, ordure nous assuit ;
Nous
deffuyons onneur, il nous
deffuit,
En ce
bordeau ou tenons nostre etat.
(Ballade de la Grosse Margot)
Voulez-vous que verté vous die ?
Il
n’est jouer qu’en maladie,
Lettre
vraie qu'en tragédie,
Lâche
homme que chevalereux,
Orrible
son que melodie,
Ne
bien conseillé qu'amoureux.
(Ballade des contre
vérités)
La signature peut être plus
complexe et comprendre aussi la strophe précédente :
Au
moutier vois, dont suis
paroissienne,
Paradis
peint ou sont harpes et luths,
Et
un enfer ou damnés sont boullus :
L'un
me fait pour, l'autre joie et liesse.
La
joie avoir me fais, haute deesse,
A
qui pecheurs doivent tous recourir,
Comblés
de foi, sans feinte ne paresse :
En
cette foi je veuil vivre et mourir.
Vous portâtes, digne Vierge,
princesse,
Iesus
regnant qui n'a ne fin ne
cesse,
Le
Tout Puissant, prenant notre
foiblesse,
Laissa
les cieux et nous vint
secourir,
Offrit
a mort sa tres chere jeunesse
;
Notre
Seigneur tel est, tel le
confesse :
En cette foi je veuil vivre et
mourir.
(Ballade pour prier Notre Dame)
Plus complexe encore, la
double acrostiche réunit ici le prénom de Villon
dans la première strophe et celui d'une amie prétendue et
présentée comme « orde » dans la
deuxième strophe. L'acrostiche devient alors descriptive et
argumentative, elle se nourrit de la contradiction entre l'apostrophe
à Marthe dans la première strophe et l'énonciation
de François dans la deuxième.
Fausse
beauté, qui tant me coûte cher,
Rude
en effet, hypocrite douceur,
Amour
dure plus que fer a mâcher,
Nommer
te puis, de ma défaçon seur.
Cherme
felon, la mort d'un pauvre cœur,
Orgueil
mussé qui gens met au mourir,
Yeux
sans pitié, ne veux Droit de Rigueur,
Sans
empirer, un pauvre secourir ?
Mieux
m'eût valu avoir été sercher
Ailleurs
secours: c'eût été mon bonheur;
Rien
ne m'eût su lors de ce fait hâcher.
Trotter
m'en faut en fuite et deshonneur.
Haro, haro, le grand et le mineur !
Et
qu'est ce ci ? Mourrai sans coup ferir ?
Ou Pitié peut, selon cette
teneur,
Sans empirer, un pauvre secourir ?
(Ballade à s'amye)
Pinel
Un écrivain obscur du XVe s. rend compte de l'entrée du
roi Charles VIII à Rouen le 14 avril 1485. On a affaire
à une poésie descriptive et épidictique,
vouée à l'éloge.
C'est
la fontaine de grâce
dénommée,
Hault
assise pour ce peuple arrouser.
Arbre
estoit sec, racyne
consummée.
Rousée
céleste le
vient disposer.
L'eaue
en décourt ; chacun y
va puiser.
En
grant vertu ceste arbre revendra :
Source
de grâce en l'estat le
tendra.
PAR
ceste arbre, le peuple est
entendu ;
LA
fontaine, c'est le roy nostre
sire,
Grans
pasteurs sont sang de France
attendu
Rendre
à chacun ce que tout
droit désire.
A
l'environ de l'arbre font pour rire
Ces
pastoureaulx chantans, dansans
entour
Espérance
ont que tout voit
de bon tour.
Demenans
joye, font les dicts
pastoureaulx
Entour
cest arbre et la belle
fontaine :
D'iceulx
issent tous plaisans chantz
nouveaulx.
Ilz
resjouissent la noble chastelaine
Et
nuyt et jour, la prarie si
est plaine,
Vous
le voyés , de bon
pasteurs loyaux !
Ce genre de dithyrambe se retrouve chez Nicolas Catinat
célébrant Louis XIV, les quatorze lettres du nom
permettent un sonnet assez confus et disparate :
Le nom de ta grandeur dont n'approche
personne
On sait le triste état doù
sont tes ennemis
Voudraient-ils s'élever bien
qu'ils soient terrassés
Ils connaîtront toujours la
victoire immortelle
Superbes alliés, vous suivez les
exemples
D'Alger et des Génois implorant
d'un pardon
En vain toute l'Europe oppose ses efforts
Bataillons sont forcés, villes
entreprises
Oh ! que par tant d'exploits vous serez
embellis,
Votre gloire en tous lieux du combat de
Marsaille
Rendant la ligne entière
après mille combats
Belge, tu marcheras pareille à la
Savoie
On te voit tout tremblant sous un tel
souverain,
Nous te verrons aussi sous un roi si
célèbre.
Jean Molinet
C'est le plus célèbre des grands rhétoriqueurs
avec Jean Lemaire. Le poème suivant utilise la gamme musicale
élaborée par Guido d'Arezzo, moine de Ravenne,
après avoir observé le degré des versets de
l'Hymne de saint Jean-Baptiste :
UT
queant laxis
MIra gestorum
SOLve polluti
REsonare fibris
FAmuli tuorum
LAbii reatum
Sancte Ioannes
Les notes de la gamme différente de l'hexacorde, jusque
là utilisée, prendront le nom des initiales de chaque
verset. La gamme n'est pas un acrostiche, mais elle donne lieu ensuite
à des variations. Bach utilisera ainsi les lettres de son nom
dans l'Art du clavier pour le nom des notes en allemand.
Molinet emploie un quadruple acrostiche : d'abord à la rime par
téléstiche, ensuite à l'initiale comme acrostiche
à partir du vers douze, enfin par la rime dans les mêmes
vers il donne le nom du dédicataire et sa signature. Il y a
rappel de la gamme et mention du nom du destinataire. Enfin les vers 9
et 10, puis 23 et 24 constituent une mise en abyme. Le contenu est
satirique et laudatif. On peut noter la forme épistolaire qui
correspond de plus en plus à un destinataire précis,
lequel dissimule en fait tout lecteur.
À Jehan Grignon de Ranchicourt
Jehan Grignon,
sçachiés que j'ai rechut
Une oraison de celle qui conclut
Le filz de Dieu, afin d'estre adoré
;
L'ouvraige donc est fort bien
faict, doré
;
Fault n'y voys d'ung seul traict
ne demy,
Ceux l'ont prisiét qui
mieux valent de my.
Benoict soit il, qui sy bien estoffa
Celle qui soubz les angles triomfa
;
Je vous envoie ung ut, ré,
my, fa, sol,
La chantés fort,
musés y vostre sol ;
Se vous fallés, vin
buverés, s'on l'a,
Tant qu'on dira la, la, mon amy, la.
Labeur se pert,
riens ne
recoeulle ran
Larrons sont fins, horrible
guerre a
ran
Sollers use on, en
quérant paix i
chi
Solas nous fuit, doeul nous
tient à mer chi
Fausseté bruyt,
envye règne
en
court
Famine arons, car nostre argent
est court
Mille gaurriers chanteront par
b mol
Mi, la, s'on pille, il y fait
doulx et mol
Requérons Dieu que le
bon temps jo li
Reviengne brief et amaine anco
li
Utile paix, se chanterons
tout net !
Ut, ré, my, fa, sol, la,
vive
Jen
net !
Jean Lemaire de Belges
L'Oraison à la Vierge (1498) contient les mots du Salve Regina
d'abord en acrostiche, puis en mésostiche en rouge dans le
manuscrit. Je ne donne que le début. Cet acrostiche est bilingue
de ce fait.
SALut à vous, Dame de
hault paraige
VErs
qui chascun, de très humble couraige
REndre
se doit, pour bienheurté conquerre.
GIron
de paix, reposoir de suffraige,
NAvire
seur, sans peur et sans naufraige,
MIeulx estoffé que pour
la toison querre ;
SEnte d'onneur, de cière
relucence,
RIche rubis bien garny
d'innocence,
COrde sonnant en harpe
daviticque,
DIrigez cy vostre magnificence
Et recevez mon très
humble canticque.
Destrées
Cet autre grand rhétoriqueur a multiplié les prouesses
phonétiques dans des textes apologétiques assez fades. Le
jeu sur les lettres devient en fait le seul but et tout est
élément codé chez lui. On notera qu'il utilise
volontiers les abréviations par lecture phonétique. Le
premier poème contient à la fois un acrostiche, un
mésostiche et un téléstiche ; une lettre peut
être mise en évidence quatre fois !
Kalamité
dont Dieu fit le ra
K
AbAndonnant de toy la reAul T
Tu Transplendis faicTz plus qu'or de
du T
Hault en Honneur dè JHésus
exal
T
En toy vierge contiEnt toute
beaul
T
Riens n'est en toy que puist
estre
amen RI
Juste l'Acteur qui tel bRuit
t'ordon NA
Noble, INpareil que au vraY tu as
mé
NA
A quoy appert que grant don te
don NA
(Vie de sainte Catherine, 1501)
Le texte suivant suit l'alphabet.
Il s'agit de la reprise d'une structure qui existait déjà
en grec ancien. Destrées nous dit qu'il contient les
vingt-cinq lettres de « l'abécé ». Cependant,
on peut noter qu'il n'utilise ni I, ni U car ceux-ci sont
postérieurs : il faudra attendre 1529 pour voir apparaître
les lettres ramistes. Le W ou double U ne lui est pas connu non plus.
En revanche, il emploie l'esperluette (et) à la suite du Z et
puis une abréviation médiévale pour
cum ou
con-, je la représente par
un
9 mais c'est une boucle
non fermée comme un point d'interrogation inversé. Elle
n'a pas survécu à l'imprimerie. On notera la lecture par
le nom de la lettre à X.
Admirable, Beaulté Célicque,
Divine Et Ferveur
Glorïeuse,
Honneste, Juste, Katholicque,
Luciférant, Miraculeuse,
Nette, Odorable, Précïeuse,
Quérant Refuge Supportable,
Tousjours Vierge Xpristicoleuse
Ymne Zélable & 9fortable.
(Vie de
sainte Marguerite)
Ce texte est pauvre, uniquement laudatif et il aurait aussi bien pu
convenir à la vierge précédente.
Francesco Colonna
L'auteur du Songe de Poliphile
est cité à la fois par
Rabelais, ce qui est un gage de sérieux, et par Dan Brown, ce
qui augure du pire en matière de décervelage. Le texte de
l'Hypnerotomachia est
donné dans l'acrostiche des lettres
initiales de
chacun des chapitres de l'ouvrage, comme l'a remarqué le
frère Zeno Les lettres réunies se lisent : Poliam Frater
Franciscus Columna Peramavit.
L'ouvrage fut imprimé
seulement en 1499 par Alde Manuce. Poliphili désigne l'auteur ou
l'« amant de
Polia » et l'Hypnerotomachia
est le « combat d'amour en songe » qu'il
raconte.
Josquin Després
Le motet
Illibata Dei Virgo a
permis d'attribuer à ce
compositeur son nom qui n'apparaît pas ailleurs.
Illibata
Dei virgo nutrix
Olimpi
tu regis o genitrix
Sola
parens verbi puerpera
Que
fuisti Eve reparatrix
Viri
nephas tuta mediatrix
Illud
clara luce dat scriptura
Nata
nati alma genitura
Des
ut leta musorum factura
Prevaleat
ymis et sit ave
Roborando
sonos ut gluttura
Effligitent
laude teque pura
Zelotica
arte clament Ave
Le Wilhelmus (Het Wilhelm, Le
Guillaume)
Ce poème a été
composé entre 1569 et 1578, édité en 1590. C'est
l'hymne national néerlandais depuis 1932. Il
célèbre la geste de Guillaume d'Orange ou le Taciturne,
qui mena la lutte pour l'indépendance contre le
roi d'Espagne Philippe II. Le texte original serait l'œuvre d'un
proscrit exilé en Allemagne, le poète et diplomate
flamand
Marnix de Sainte-Aldegonde aurait contribué à sa version
définitive, il reprend néanmoins des textes
antérieurs et contient de nombreuses allusions bibliques au
combat des rois d'Israël. Le texte utilise les lettres de
Guillaume de Nassau (Willem van Nassov dans l'ancienne version
néerlandaise) au début de chacun des quinze huitains. Il
est composé dans un style qui était déjà
archaïque en France et en Italie, mais il temoigne de l'influence
des grands rhétoriqueurs à la cour de Bourgogne. Je donne
le texte en ancien néerlandais, je cite seulement le
début de chaque strophe pour le nom de Guillaume. Le chant n'est
plus joué en entier.
Marc Papillon de Lasphrise
Le poème est un
double acrostiche, à la fois acrostiche et mésostiche.
Madame quand Amour
Regarde vos beaux yeux,
Aise de sa fortune
Entièrement aimable,
Rien ne lui fait terreur,
Non la mort redoutable :
Car l'amour
brûle-coeurs Est toujours valeureux.
De grâce aimez-le
donc, Estimez-le amoureux,
Et vous fiez en lui,
L'acceptant honorable,
Par lui vous paraîtrez
Extrêmement louable,
Ainsi qu'une beauté
Plaisante aux même dieux.
Princesse de son
coeur, Olympe de son âme,
Il vous offre ses
vers, Vrais
témoins de sa flamme.
L'Uranie en leur chant
Luira d'un saint renom.
L'humble discours est
haut Célébrant Théophile;
On ne le peut blâmer
Réclamant si
beau nom,
Ne le dédaignez donc
En vous servant utile.
Pierre Corneille
L'œuvre de Corneille présente des jeux de mots et des
trivialités qui ne correspondent pas à
l'esthétique classique. Voici un acrostiche qui ne pouvait
frapper les spectateurs. Horace s'adresse
à Curiace (v.
444 à 450 d'Horace).
Willy
Le mari de Colette s'est vengé d'une de ses têtes de turc,
le directeur de la Revue musicale, Mangeot. L'acrostiche devient ici
satirique et pamphlétaire, comme chez Villon.
Musique, tu me fus un palais
enchanté
Au seuil duquel menaient
d'insignes avenues
Nuit et jour, des vitraux aux
flammes continues,
Glissait une adorable et
vibrante
clarté.
Et des chœurs alternant - dames
de
volupté
Oréades, ondines,
faunes,
prêtresses nues -
Toute la joie ardente essorait
vers les nues,
Et toute la langueur et toute
la
beauté.
Sur un seul vœu de moi,
désir chaste et lyrique,
Ta fertile magie a toujours,
ô musique !
Bercé mon tendre ange ou
mon brillant désir.
Et quand viendra l'instant
ténébreux et suprême
Tu sauras me donner le bonheur
de
mourir,
En refermant les bras sur le
Rêve que j'aime !
En janvier 2001,
l'éditorial du rédacteur en chef du
Daily Express
était consacré en apparence
à la maladie de la vache folle. Mais son auteur
s'était ingénié à ce que les 14
premières lettres des 14 paragraphes de cette oeuvre
cryptée constituent une carte de voeux parfaitementinjurieuse
à l'adresse de
Richard Desmond, le
nouveau propriétaire du
journal et pornogrpahe notoire : « Fuck you Desmond ! »
Jean Richepin
Sonnet
Acrostiche et mésostiche
MAURICE
BOUCHOR Et RAOUL PONCHON
Avec vous j'ai
fait
Toutes mes retraites.
Un même
plaisir
Rassemblant nos crêtes,
Rougissait nos nez
Au même cruchon.
Ivrognes
sacrés
Oints de dieu Bouchon;
Célébrons sa
messe
Usons ses burettes,
Et versons en
nous
Les rouges aigrettes,
Bouchor , mon
trésor,
Ponchon, mon bichon !
On fait bien de rire !
On pleurera vite.
Un jour de bonheur
N'est qu'un jour sans suite.
Celui-ci fut beau
Chers amis,
tant mieux !
Hélas ! quel
cruel
Hourvari nous presse !
On avait vingt ans !...
On s'éveille vieux !...
Rien ! Plus rien ! Du vent,
Notre jeune ivresse.
(Interludes)
Apollinaire
En septembre 1914, Apollinaire
fit la connaissance à Nice de Louise de Coligny-Châtillon,
qu’il appelle Lou. En 1915, il entretient avec elle une correspondance
régulière. Certaines de ces lettres – les poèmes –
sont publiées en
1947 sous le titre :
Ombres de mon
amour, puis en 1959 sous le titre
Poèmes à Lou.
L’ensemble de cette correspondance
est publiée en 1990 sous le titre :
Lettres à Lou. Les
thèmes sont à la fois l'absence de la destinataire, la
présence du monde et de la guerre, le passage du temps, la
permanence des choses et des mots. Ces poèmes lyriques
transforment un genre totalement convenu, qui était figé
dans le blâme ou l'éloge, pour atteindre une dimension
personnelle à l'instar de Villon. Ce sont à la fois des
fragments du fait de la forme paratactique choisie et puis des
autoportraits en creux, avec une forme d'auto-ironie assez amère
et mélancolique. Les éléments et les instances de
l'énonciation se confondent en une sorte de musique qui abolit
aussi les différences de registres.
Lentement la nuit noire est
tombée à présent
On va rentrer après avoir
acquis du zan
Une deux trois A toi ma vie A toi
mon sang
La nuit mon cœur la nuit est
très douce et très blonde
Ou le ciel est pur aujourd’hui
comme une onde
Un cœur le mien te suit jusques au
bout du monde
Lettres ! Envoie aussi des
lettres, ma chérie
On aime en recevoir dans notre
artillerie
Une par jour au moins, une au
moins, je t'en prie…
L'heure est venue, Adieu ! l'heure
de ton départ
On va rentrer, il est neuf heures
moins le quart
Une… deux… trois… Adieux
Nîmes, dans le Gard.
L'Amour est libre il n'est jamais
soumis au sort
O Lou le mien est plus fort encore
que la mort
Un coeur le mien te suit dans ton
voyage au Nord.
La nuit descend
On y pressent
Un long destin de sang
Desnos
Infinitif
Y mourir ô belle
flammèche y mourir
voir les nuages fondre comme la
neige et l'écho
origines du soleil et du blanc
pauvres comme Job
ne pas mourir encore et voir durer
l'ombre
naître avec le feu et ne pas
mourir
étreindre et embrasser
amour fugace le ciel mat
gagner les hauteurs abandonner le
bord
et qui sait découvrir ce
que j'aime
omettre de transmettre mon nom aux
années
rire aux heures orageuses dormir
au pied d'un pin
grâce aux étoiles
semblables à un numéro
et mourir ce que j'aime au bord
des flammes
(Ténèbres, in Corps et
biens)
Quelques autres types
d'acrostiches :
L'acrostiche double
Amour parfait dans mon coeur
imprimA
Nom très heureux d'une que
j'aime bieN
Non, non, jamais cet amoureux lieN
Autre que mort défaire ne
pourrA.
(Anonyme cité par
Gagnière)
L'acrostiche syllabique
CAprice injuste et fou d'une femme
inconstante,
PRIx d'or de cet amour que je
t'avais juré,
C'EST ma vie que tu prends en
prenant la tangente !
FI dèle, en t'attendant, je
loge chez ma tante.
NInon, reviens, reviens ! J'en ai
trop enduré !
(Jacques Bens)
Portraits acrostiches
Rivalisant Avec Corneille, Il Nous
Étonna
Zut, On L'Accuse
L'Orientale T'Intéresse
Gare, Idiot ! Dieu Existe !
(Gagnière, Au bonheur des
mots)
Abécédaires
« Le Petit abécédaire illustré
» (dans Oulipo, La Littérature potentielle.
(Créations Re-créations Récréations),
Paris, Gallimard, coll. « Idées », n° 289,
1973, et Georges Perec,
Vœux,
Paris, Seuil, coll. « la Librairie du XX
e
siècle », 1989.
Acrostiches dispersés
Joachim de Flore : cet abbé cistercien du
douzième siècle joue un rôle dans
les Fleurs bleues de Raymond
Queneau grâce à son nom, Flore et son prénom
disséminé sous forme d’acrostiche dans les sept
prénoms de Cidrolin et d’Auge : Joachim
Olinde Anastase Crépinien Honorat Irénée
Médéric. Le prénom de Cidrolin est lui-même
sujet à anagramme.
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