Les adjectifs de couleur : les blasons
Les adjectifs de couleur sont invariables pour les blasons.
Les métaux
L'héraldique distingue deux couleurs de base qui correspondent à la teinte du matériau utilisé pour les écus : l'or (jaune) et l'argent (blanc). L'héraldique allemande connaît aussi le fer (gris).
Les émaux
Les couleurs sont plus fréquemment nommées émaux car l'écu pouvait être peint de couleurs franches et plates. Ces couleurs sont en nombre réduit : azur (bleu), gueules (rouge), sinople (vert). On y adjoint parfois d'autres couleurs : pourpre, orangé, carnation (couleur chair pour les corps humains ou angéliques). L'usage héraldique ne suit pas l'usage commun pour les accords (orangé, pourpre).
Les fourrures
Les boucliers pouvaient être recouverts de peaux de bêtes ou pannes. Il ne s'agit pas de couleurs, mais de disposition de couleurs : sable (du nom de la zibeline au corps noir uni), mais ce terme est aussi parfois rangé dans les émaux ; hermine (cette belette possède un corps blanc à queue noire) : l'hermine est une surface blanche avec des pointes noires stylisées, la contre-hermine sera la disposition inverse, l'herminé présentera la même disposition avec d'autres couleurs ; vair (écureuil petit-gris à à dos bleuâtre et plastron blanc) : la figure représentera des cloches bleues et blanches inversées sur une ligne horizontale, si les figures sont adossées et non imbriquées il s'agira de contre-vair, elles peuvent devenir vairées dans des combinaisons plus complexes.
D'où viennent ces noms ?
Ces mots ont été sans doute adoptés en Occident à la suite des Croisades où le blasonnage a trouvé des modèles.
Azur
Le bleu ou azur vient d'une mauvaise compréhension du judéo-français lazur, on a pris le début du mot pour l'article et on a donc opéré une déglutination. Plus lointainement, ce mot provient du persan par l'intermédiaire de l'arabe. À l'origine, le persan lazward désignait la pierre que l'on nomme à juste raison lapis-lazuli, laquelle a conservé son initiale. Mais le lapis-lazuli est d'un bleu profond et en français courant l'azur désigne un bleu clair tandis que le bleu des blasons est un bleu franc. En anglais, il ne faudra pas utiliser azure pour les blasons, mais azures, terme emprunté au français et qui a conservé la marque du cas sujet singulier.
Gueules
Le mot gueules ou rouge ne semble guère poser de problèmes en apparence, il proviendrait aussi d'une analogie avec le persan gul, rose, que l'on retrouve dans le Gulistan ou Jardin des roses. Il ne s'agirait donc pas seulement de l'image du gosier, sens médiéval de ce terme à partir du latin gula, mais peut-être bien d'un croisement entre deux termes voisins dans les royaumes chrétiens d'Orient. Néanmoins gueules pourrait bien être motivé par la peau du gosier de la martre, comme sable vient de la couleur de la fourrure de la zibeline. Il faut supposer une métaphore et non un rapport de métonymie : je m'imagine mal que l'on ait pu découper le gosier de la martre pour le placer sur un écu comme l'affirme le Dictionnaire étymologique de Dauzat-Dubois-Mitterand. Ce n'est pas alors une peau de bête séchée, mais de la chair en décomposition ! Ou alors on a apprêté cette muqueuse d'une manière particulière. La couleur de la gueule extérieure, le gosier fut pris comme le cou de même que l'on parle de la gorge pour la partie externe du corps. Wartburg infirme l'hypothèse iranienne. Il ne fournit qu'une entrée pour gueule et gueules :
« Gueules, terme de blason, XIIIe s., est le même mot employé dans un sens fig. et non, comme on l'a cru longtemps, un mot emprunté du persan gul, rose. Au Moyen Âge les gueules désignaient des petits morceaux de fourrure découpés dans la peau du gosier d'un animal, particulièrement de la martre, qui servaient à orner des manteaux, surtout en forme de collet ; le sens de rouge vient soit de la fourrure de l'animal, soit d'un rouge dû à la teinture. »
En anglais, le nom correspondant est gules qui conserve aussi la marque de la déclinaison.
Sable
Le mot incite à la confusion. Précisons que sable veut dire noir en héraldique, et non blanc (argent, classé dans les métaux) ou jaune (or, lui aussi métal). Cet adjectif désigne toujours en anglais courant la couleur noire contrairement au français courant qui évoquera un beige clair car il a été confondu avec le sable matière. Le Robert historique évoque le russe sobol ou le polonais sobal qui désignent une martre à fourrure noire. Mais la zibeline se caractérise, elle, par sa fourrure brun foncé -- on n'est pas plus avancés... Les noms d'espèces en français et en anglais ne se recouvrent pas exactement et ils ont varié selon les époques, sable est encore la martre ou la zibeline en anglais. Les mots sable et zibeline sont de même origine, par l'intermédiaire du latin sabellum ou de l'italien zibellino et avec changement de genre.
Sinople
Enfin le terme le plus déroutant est sinople ou vert. Il provient du nom de la ville de Sinope en Asie mineure et il reprend le grec sinopis ou la terre rouge. Or, il a servi à désigner aussi en moyen français un pigment rouge, puis au XVIIe s. une craie rouge en provenance d'Asie mineure. Le Robert historique évoque une interversion entre deux blasons pour expliquer ce changement complet de sens. Il faut supposer que le mot était peu fixé, encore trop récent, ou encore qu'il avait reçu en Orient un sens différent de la part des chevaliers francs : la terre rouge ne les avait peut-être pas retenus. Le fait le plus étrange se trouve en anglais, on n'y parle pas de sinople ou de green, mais bel et bien de vert. Le vocabulaire des blasons anglais -- « coat of arms », par simple reprise du français « cotte d'armes » -- ne comporte pratiquement que les termes héraldiques français ou bien des noms communs d'origine française. Ce lexique témoigne encore de la conquête normande, tout comme le système des devises.
Je remercie Bernard Lombart de ses remarques pertinentes pour l'étymologie de gueules.