Le suffixe adverbial -ons

Mon jugement ne marche qu'à tastons, chancelant, bronchant. (Montaigne.)
 
Le suffixe adverbial -ons n'est plus compris dans des expressions courantes. Lorsque l'on dit « à tâtons » s'agit-il du verbe ou d'un nom ?

Cette marque expressive a surtout été utilisée dans des expressions corporelles : a chatons (comme un chat, à quatre pattes) , a genoillons. On la rencontre encore dans les locutions contemporaines standards comme : à tâtons, à reculons, à bouchetons. Mais le français régional la connaît aussi : à croupetons (XIIe s.) au sens d'être en position accroupie, assis sur le derrière. Le verbe croupir voulait dire en ancien français « s'accroupir ».
 

Ainsi le bon temps regretons
Entre nous pauvres vieilles sottes,
Assises bas à croppetons,
Tout en ung tas comme pelottes.
(Villon, « Regrets de la belle Heaulmyere ».)


L'expression à bouchetons (XVe s.) est tirée de à bouchons avec un infixe « et ». Le sens du mot « bouche » est ici : face contre terre, la bouche collée au sol. En Champagne, elle renvoie à l'idée d'être à plat ventre. L'expression usuelle et populaire au XIXe s. était encore « tomber à bouchon », ou tomber sur le ventre, au sens propre, sur la bouche. En technique, quand des pièces de faïence creuses, comme des saladiers, sont placées dans un four, on les place l'une sur l'autre, ce qui est « poser à boucheton ».

L'expression à tâtons (1175) vient aussi d'un verbe, tâter, au sens de se diriger à l'aveugle, puis en hésitant. Le substantif tâtonnement est postérieur (XIVe s.). C'est pourtant le nom qui a donné naissance à la locution adverbiale, le sens de la préposition « à » est celui de la direction qui se trouve présent dans la préposition héritée de « apud », c'est avec des tâtonnements que l'on se dirige vers quelque chose.

La locution adverbiale à foison (XIIe s.) dérive d'un nom foison (XIe s.) issu du latin fusio,
« écoulement, action de répandre », d'où une idée d'abodance. Le verbe d'origine a donné aussi fondre. La locution à profusion reprend la même idée à partir d'un terme savant calqué sur le latin (XVe s.) et exprime la prodigalité.
 

Le suffixe -on(s) est celui d'un substantif à l'origine et plus précisément d'un déverbal : plonger
et  plongeon. Il peut être expressif et même péjoratif dans des mots tirés de verbes comme : souillon, glouton. Mais son sens est identique comme suffixe d'autres substantifs, par exemple larron qui n'est pas issu d'un verbe. Et il a pu servir de diminutif : oison, oisillon, ânon, châton, chapon, capon. Le croisement entre les sens hypocoristiques par le diminutif et dévalorisant par le péjoratif a introduit un flottement sur le sens : à croupetons peut être une attitude plaisante pour les enfants et un abaissement de sa personne.
 

Cependant, le suffixe -onem qui a servi à forger les expressions adverbiales entre lui dans des verbes et le plus souvent des verbes qui ont un sens expressif, gestuel. On le voit encore dans à reculons, qui veut dire en reculant, mais surtout avec des reculements. On ne le voit plus dans plongeon qui est pourtant distinct de la « plongée » où l'action est déjà accomplie. Et ne peut-on chercher un tel suffixe dans pâmoison (1080) ? Le fait de tomber en évanouissement était présent dans les premiers emplois du mot.  Cependant, la locution en pâmoison ne peut se construire qu'avec le verbe « tomber » et nul autre. Elle n'est pas devenue autonome comme les autres.

Maintenant, pourquoi de telles expressions sont-elles singulières ou plurielles ? À foison et
à profusion expriment déjà en eux-mêmes l'idée d'un collectif par la multitude. Mais à bouchetons et à croupetons ont été écrits au singulier comme si l'on ne comprenait pas que le pluriel était un autre intensif après la préposition à. Certes, l'on ne possède pas plusieurs bouches, ni plusieurs croupes, mais le suffixe ne renvoie pas aux parties du corps : il désigne une action. Le fait de s'aboucher, ou se mettre bouche à terre, de se croupir. Seuls les tâtons ont bien résisté dans les dictionnaires, car on voit encore que ce sont des tâtonnements.


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