Les insultes à l'égard des Arabes ou des Nord-Africains
Les termes insultants concernant les populations d'Afrique du Nord
portaient anciennement sur leur paganisme. Mahom, Mahométan,
Païen étaient les termes les plus fréquemment
employés. Parfois tout musulman était assimilé
à un Turc. Toutefois, les insultes réelles ne commencent
qu'avec la colonisation et elles en sont le produit.
1. Un Nord-Africain n'a pas de nom de peuple
La mentalité coloniale dénie aux autochtones le droit de
se nommer collectivement et elle va faire des noms particuliers des
noms péjoratifs. Il existait dans l'Algérie coloniale
différentes catégories de populations : les
Français, les Espagnols, les Italiens, les Juifs (tardivement
émancipés sous la III
e République) et puis... les Indigènes. Le terme
indigène était le nom officiel pour toutes les populations arabes ou kabyles dans les recensements.
Il ne faut donc pas trop s'étonner de voir que le nom
arabi devienne par syncope
arbi
en 1858. Le terme est violemment péjoratif, il englobe
aussi tout indigène. On peut se demander si les formes
larbin et
l'arbi ne se sont pas influencées alors mutuellement : l'Arabe était le larbin, le domestique, le subordonné.
De l'
arbi, on passe à l'
arbicot (1861) par suffixation (cf.
Prusco) ou par emprunt à l'italien
arabico, puis
bicot (1892) par aphérèse. Il existe aussi des formes apocopées comme
bic ou
bique. Le contexte xénophobe permet d'expliquer l'animalisation de l'Arabe, il est assimilé à une
bique ou chèvre, à un
bicot
ou petit chevreau. On lui dénie toute humanité et on en
fait une bête soumise au fermier, incapable de toute
réflexion. On peut même se permettre des réflexions
sur le physique ou sur le langage, l'Arabe bêle et ne parle pas.
Il faut remarquer que le terme hypocoristique
biquet de la même famille n'est jamais utilisé, on emploie la forme dévalorisante en
-ot.
L'Arabe, ce n'est qu'un indigène, donc cela n'est qu'un noir. Le
mot d'origine ouolof bougnoul(e) désigne la couleur noire, il
s'est appliqué à partir de 1890 dans le contexte des
colonies à tous les indigènes et donc aussi aux Arabes ou
Amazighen. C'est à partir du XX
e s. et dans le contexte de la guerre de Libération que le terme se spécialise pour les Nord-Africains.
2. La femme nord-africaine est une moins que rien
La mentalité coloniale dégrade avant tout l'image de la
femme et cela d'autant plus fortement qu'elle est la gardienne des
traditions. Elle devient l'équivalent d'une prostituée,
d'une femme sale, vulgaire, d'une servante de bas étage, d'une
traînée.
Si on n'emploie pas
bicot ou
arbi
pour les femmes, on trouve des termes avilissants pour les femmes et on
les emprunte toujours au vocabulaire du colonisé. Ainsi, la
moukère ou
mouquère
(1830) devient très vite une pute (1878), puis la pute devient
en retour le nom de toutes les femmes arabes dans des chansons
racistes. Or le mot vient du latin
mulier par l'intermédiaire de l'espagnol
mujer, puis du sabir
mujera.
Plus grave est l'emploi du nom
fatma.
Le terme (1899) dérive du nom de Fatima la fille du
prophète. Il existe un dérivé fatmuche avec
suffixation proprement française. La négation du nom le
plus sacré est comparable à celle de l'emploi de
mohamed
pour tout Arabe. On a désigné ainsi d'abord les
domestiques, puis les prostitués et enfin toutes les femmes
arabes. La syncope exprime le mépris.
3. Les titres de politesse sont ridicules
L'une des pires insultes est
crouille (1917). On y trouve toutes les plus sales connotations par les sonorités. On trouve aussi les formes
crouill', crouilla, crouillat, crouya; crougna, krouïa, crouilledoche. Pourtant le terme vient de
('a) huya, « mon frère », terme de politesse fréquent.
Moins violent et plus dérisoire est sidi. Le mot veut dire
« monsieur, monseigneur » à partir de 1847
en français. Un
sidi
est rabaissé dans l'ordre social, mais le terme n'est pas
associé à la même violence que le crouille.
4. Tous des casseurs !
Le
fellaga ou
fellagha
(1915) est d'abord un « coupeur de route »
à partir du pluriel de fellag pris comme un singulier. Il
devient synonyme de terroriste ou d'indépendantiste
à partir de 1954. Sa resuffixation populaire en
félouze, félouse (1958) contient la même terminaison que
barbouze, tantouze, etc.
5. Pas des hommes
Un procédé courant du racisme est l'animalisation. Cela s'exprime d'abord dans le terme
raton
(1937) qui doit sa motivation à l'enfant initié au vol
(1836) sans aucun rapport avec le monde arabe. L'Arabe est
supposé voleur comme le rat (1821), mais il est aussi lié
à ce qui semble le plus bas dans la création : le rat qui
est associé à la saleté, à l'avarice,
à la laideur. Les dérivés sont nombreux :
ratonner, ratonnade, ratonneur. Tous sont liés au contexte de la guerre d'Algérie et perdurent.
Un autre procédé de réduction consiste à
refuser toute intelligence et surtout toute énergie. Ainsi le
melon (1962) est une forme de simplification par le fait de
considérer l'autre comme un être non humain. On trouve la
même idée dans le
tronc-de-figuier (1913), par ellipse le
tronc (1926), ou le
pied-de-figuier
(1952). Ces plantes ne bougent pas, ne travaillent pas. L'homme
véritable est le cultivateur, donc le colon. On retrouve la
même idée raciste dans
avoir les pieds en cosses de melon (1977) pour être paresseux.
Une dernière forme de déshumanisation consiste à
traiter l'autre comme s'il était homosexuel, donc en lui
déniant toute virilité dans son présupposé.
Ainsi
être de la pointe bic
avec un jeu de mots sur les stylos bic signifie être homosexuel
et porté sur les Arabes que l'on imagine prêts à se
prostituer.
6. Des désignations qui ont un effet boomerang
L'emploi des différents termes verlans comme
beur, beurette, rabza, reubeu,
beureu est extrêmement dangereux parce qu'ils sont repris par les racistes exactement comme
arabi
auparavant. Ce n'est pas en changeant les noms que l'on change les
choses, les noms sont toujours repris avec des associations
dénigrantes. Brouiller les pistes ne sert à rien, au
contraire.