Aujourd'hui
Le vierge, le vivace, le bel aujourd'hui.
Le latin employait le terme
hodie. Ce terme est un composé de
hoc, démonstratif, et
die,
« jour ». Il voulait donc dire « ce jour-ci, le jour où nous
parlons ». Le complément circonstanciel de temps était devenu un
adverbe comme pour
hier (
heri) et comme ensuite pour
demain (
de mane). Le démonstratif est issu d'un thème en
*gho que l'on retrouve dans le latin
hŏ-diē et le falisque
foied. Le démonstratif était renforcé par une particule
-ce aux différents cas, ainsi
hoc ablatif masculin est issu de
*ho-d-ce > *hocce > *hocc. Toutefois, le terme
hodie est antérieur à ce renforcement. La terminaison
diē pour le jour provient d'un ablatif refait en
-ē-d sur les première et deuxième déclinaisons, forme que l'on peut suspecter à partir du falisque.
Le mot
dies, « jour », se rattache à un thème indoeuropéen,
*dei, avec l'idée de briller. La racine donne en latin les mots
deus, meridies, quotidie (cottidie), diurnus, diarum, diu (longtemps). Il est apparenté au nom
deus,
« dieu », et donc à Zeus ou Jupiter. Ainsi, les noms de la semaine
jeudi et
dimanche sont-ils des pléonasmes dissimulés.
L'espagnol connaît
hoy, le portugais
hoje, le galicien
hoxe, le catalan avui (avec une préposition
ad), l'occitan
vuei, l'italien
oggi, le romanche
oz, le roumain
azi
(avec préposition). Tous ces termes possèdent la même origine, mais
avec des évolutions différentes : le catalan et l'occitan développent
un
v devant une semi-consonne ué, comme dans
huit (
vuit, vue)
; le portugais et le galicien maintiennent la dentale /d/ sous la forme
d'une spirante qui se palatalise en castillan pour donner un yod. En
revanche, le traitement de la dentale donne une sifflante en roumain et
l'on peut soupçonner une construction à partir de
zi (jour, issu de
dies) renforcé par la préposition
a, « à ». On en revient donc au point de départ :
azi en roumain est
à (ce) jour,
en (ce) jour, comme pour
hodie. Toutefois, le roumain a eu besoin de réinventer un terme afin de compenser l'absence d'
hodie. L'influence d'
hodie est plus considérable que l'on n'imagine, c'est le terme latin qui a été emprunté par l'allemand
heute. Ce mot montre que la dentale était encore prononcée avant le
V
ee s. et que sa disparition n'a pu se faire
qu'en roman. L'évolution du catalan et de l'occitan montrent en
revanche que l'amuïssement de la finale est antérieure au VIII
e s. dans ce territoire et en France du Nord. L'anglais a suivi une même logique syntaxique et non d'emprunt lexical,
today est formé sur la racine du jour
day, précédé de la préposition
to, comme pour
tomorrow. Il en va de même en néerlandais
vandaag (de ce jour) et en danois
i dag (à, en ce jour). Si l'on prend le grec moderne,
simra, il est construit de façon identique, à l'aide de la préposition
sti (à) et du nom du jour
imra. On
a donc une logique dans ces différentes langues pour désigner la
portion de temps présent en fonction d'une référence au jour comme
moment de lumière ; dans toutes ces langues le mot jour est renforcé
par une préposition qui indique la position des locuteurs.
On peut mieux comprendre alors le sens de l'expression aujourd'hui. Le mot
hui,
hoi
apparaît dans la Chanson de Roland en 1080. Le terme est monosyllabique
et trop court, il a besoin d'être renforcé car i peut être confondu
avec le verbe
ouïr, l'adverbe
oïl (oui), etc. La locution
au jour dui est introduite en 1150 et elle se soude à la fin du XIV
e s. Elle est issue de la contraction de l'expression
à (avec un sens d'adjectif démonstratif comme dans le latin
hoc)
le (article contracté
au)
jour d'hui (aujourd'hui). C'est donc un pléonasme à l'origine. Le renforcement contemporain dans l'expression
au jour d'aujourd'hui illustre la même tendance !
Aujourd'hui n'est pas assez clair, il faut insister.
Le mot
hodie subit la chute de
la voyelle finale autre que a en roman . La dentale en contact avec yod
tonique produit une palatalisation (cf. l'italien
oggi, le romanche
oz), le groupe /dy/ évolue vers /y/ et forme ensuite une diphtongue /úoy/ qui se simplifie ensuite en /úy/, mais pas avant le VIII
e s. (cf. occitan
vuei, avec conservation du /o/ sous la forme d'un /e/ plus central). L'emprunt allemand (
heute) montre en outre que la finale /d/ était déjà assourdie en /t/ dans le domaine français avant le IV
e s.
Hui pouvait être renforcé en
(h)uimais, (
h)uimes en ancien français comme jamais issu de
ja et
mais (magis, plus) ou
désormais (
dès or ou
hora et
mais, plus). Il signifiait désormais, dès maintenant, de suite. On a dit de la même manière
hui jor d'hui pour aujourd'hui et
hui et le jour pour désormais. Au XVII
e s., l'expression hui est vieillie même si La Fontaine l'emploie encore. On trouve de même
uimain ou
umain pour aujourd'hui, ce matin, en ancien français.
L'orthographe du mot a suivi quelques errements. Le rétablissement du
h intervient en moyen français, elle est étymologique, mais elle est aussi discriminante. Le mot
ui pouvait en effet se lire
uj, vi. On trouve chez Estienne en 1549
auiourdhuy, chez le même Estienne en 1564 la variante
auiourd'huy (l'apostrophe est un apport de la Renaissance), cela devient chez l'Académie en 1694
aujourd'huy, et en 1740 seulement
aujourd'hui. La lettre
y en finale est normale, c'est un
i long diacritique qui avait été conservé en finale pour bien distinguer cette lettre du
j qui n'a été introduit qu'à la Renaissance. L'
apostrophe interne est une convention de l'époque classique : elle est aussi présente dans le mot
prud'homme et les composés de grand féminin comme
grand'mère (ancienne orthographe).
Aujourd'hui est l'un des rares mots à la conserver, sans doute à cause de sa fréquence.
Si l'on prend le système du récit et non plus du discours, le mot
aujourd'hui est remplacé par ce jour-là avec un démonstratif composé
similaire à celui d'
hodie (
hoc die), hoc a donné d'ailleurs naissance à
ce par le biais de la contraction
ecce-hoc, et l'article contracté
d'aujourd'hui est lui-même issu d'un autre démonstratif latin
ille. On
retrouve l'idée de désigner tout comme dans les expressions familières
à ce jour ou
en ce jour.