Pourquoi des accents circonflexes ?
L'accent circonflexe se place en français sur les lettres
voyelles a (âge), e (bête), i (île), o (hôte),
u (mûre). Seul le y ne prend pas d'accent. Les questions
particulières à chacune des lettres sont traitées
dans les pages consacrées à ces caractères.
1. La notation d'une lettre amuïe
– le cas du -s
– les autres lettres
2. La modification de prononciation
3. Les translittérations du grec
4. L'accent de majesté
5. Le signe discriminant
6. L'accent dans les verbes
– la deuxième personne du pluriel
– le passé simple
– la troisième personne du singulier, l'infinitif
– le participe passé
1. La notation d'une lettre amuïe
a. Le cas du -s
Le plus souvent un accent circonflexe note un « s » étymologique
absent. Ainsi on peut retenir l'orthographe de certains mots en faisant
appel à des mots de la même famille :
-- Forêt, forestier ; on ne confond pas la forêt et le foret ;
-- Hôpital, hospitalier, ou hôtel et hostellerie ; voir aussi l'anglais hospital.
-- Château, castel.
Mais cet accent circonflexe peut posséder d'autres raisons."Disparition_d'un_ancien_s">
C'est, de loin, le phénomène le plus célèbre. La majorité des
cas provient d'un /s/ en position appuyante, c'est-à-dire devant une autre
consonne.
Bien que la graphie ait longtemps gardé la présence de ce /s/, on ne le
prononçait plus depuis bien avant qu'on ne décide, au XVIIIe
siècle (dès l'édition de 1740 du dictionnaire de l'Académie française),
de noter cet amuïssement par le recours systématique à l'accent circonflexe.
L'amuïssement du /s/ en position appuyante date pourtant d'après 1066. Il
avait entraîné un allongement
compensatoire, lequel s'est effacé après le XVIIIe siècle.
Au XVIIe siècle, quelques tentatives de modification de la graphie avaient vu
le jour, sans grand succès. Pierre Corneille, à qui
l'on doit aussi l'opposition entre é et è, utilisait dans ses
textes le s long, ſ, pour indiquer qu'un s amuï
allongeait la voyelle précédente (comme dans tempête, écrit
tempeſte, par opposition à bête, écrit beste ; cf. Mireille
Huchon, Histoire de la langue française).
La formation de mots savants ou récents tirés de radicaux dans
lesquels un /s/ est en position appuyante a amené des familles de mots à
utiliser, ou non, le circonflexe, selon que le /s/ est prononcé (dans des mots
formés ou empruntés après 1066, qui n'ont donc pas connu l'amuïssement du /s/
appuyant, ou empruntés à des langues dans lesquelles ce phénomène n'a pas eu
lieu) ou non (mots plus anciens). Dans certains mots anciens, cependant, le /s/
en position appuyante, qui s'est nécessairement amuï, n'a pas été corrigé dans
la graphie ou bien a été replacé par influence d'un autre mot proche. Par
influence de la graphie sur la prononciation, il a même pu de nouveau être
audible.
Voici quelques exemples de mots issus d'un même radical latin :
- feste (première attestation : 1080) → fête mais :
- festin : emprunté au XVIe siècle à l'italien festino, d'où
le maintien du /s/,
- festoyer (vers 1170), prononcé fétoyer jusqu'à la fin du
XIXe siècle (écrit avec ou sans s), époque à laquelle le s a
été restauré dans la graphie puis dans la prononciation par analogie avec
festin,
- festivité : mot emprunté au latin
festivitas au XIXe siècle, ce qui explique le maintient du /s/
appuyant,
- festival : mot emprunté à l'anglais festival au
XIXe siècle, d'où le maintien du /s/ appuyant.
- Teste (vers 1050) → tête mais :
- test (fin du XVIIe) : emprunt à l'anglais, d'où le maintien du /s/.
- Fenestre (vers 1135) → fenêtre mais :
- défenestrer (deuxième moitié du XXe siècle) : la formation tardive
explique le maintien du /s/, le mot ayant été inspiré par le radical latin
fenestra.
- Castel (fin du Xe siècle) → château mais :
- castel- dans de nombreux toponymes (Castelnaudary,
Castelnau,
Casteljau,
etc.). Les toponymes retardent souvent leur évolution phonétique car le nom d'un
lieu est peu dissociable de son identité.
- Ospital (vers 1170) → hôpital mais :
- hospitaliser (début du XIXe siècle) : de formation tardive à partir
de l'étymon latin, d'où le maintient du /s/ appuyant.
Et aussi :
- ostel → hôtel ;
- bastir → bâtir (mais bastide, par l'occitan) ;
- creistre → croître ;
- pasle → pâle ;
- isle → île, etc.
Il convient de noter que dans de nombreux mots anglais empruntés au français
(et parfois revenus au français plus tard), un s devant une consonne
sourde se prononce, au contraire de l'étymon français : forest ~
forêt, feast ~ fête, beast ~ bête,
hospital ~ hôpital, etc.. En effet, ces mots ont été apportés
en Angleterre lors des conquêtes
de Guillaume le
Conquérant (bataille de
Hastings, 1066) à une époque où ils se
prononçaient encore en français. L'anglais n'ayant pas connu l'amuïssement, la
consonne est restée. Au contraire, le s devant une consonne sonore est
amuï dans les deux langues : isle [aɪɫ] ~ île car à l'époque
de Hastings, il était déjà muet en français. La séquence /s/ + consonne sonore
(notée ici G) a en effet évolué plus vite que la séquence /s/ +
consonne sourde (notée K) :
- /s/+/G/ → /zG/ → /G/ (avant 1066) ;
- /s/+/K/ → /K/ (après 1066).
CIRCONFLEXE
CIRCONFLEXE. adj. Accent qui marque une syllabe longue. Les Grecs
avoient trois accents, l'aigu, le grave, & le circonflexe. En
François on figure cet accent avec un petit chapiteau sur la
syllabe, qui marque souvent le retranchement de quelque lettre qui
faisoit la syllabe longue, comme eût, pour eust. Ce mot vient du
Latin circumflexus, de circumflecto.
CIRCONFLEXE (sir-kon-flè-ks'), adj.
1° Tourné de côté et d'autre. Le nez fait comme
un baldaquin, La jambe torte et circonflexe, Le ton bourru, la voix
perplexe, BEAUMARCH. Barbier de Sév. II, 13.
2° Terme de grammaire grecque. Accent particulier qui
représentait un aigu sur un grave, et dont la forme était
en effet (~), c'est-à-dire fléchie des deux
côtés.
Par extension, verbe circonflexe, celui dont la
dernière syllabe est marquée de cet accent.
3° Terme de grammaire française. Accent circonflexe, signe
orthographique en forme de v renversé (^), mis sur certaines
voyelles longues, comme pôle, ou qui proviennent de la
suppression d'une autre lettre, comme hôtel pour hostel,
âge pour aage.
Il se dit aussi des lettres qui prennent cet accent. Un â, un û circonflexe.
S. m. Un circonflexe, un accent circonflexe.
ÉTYMOLOGIE :
Provenç. circumflec ; espagn.
circumflejo ; ital. circonflesso ; du latin circumflexus, de
circum, autour, et flectere, plier (voy. FLÉCHIR).
1. L'accent remplace une autre lettre que « s »
-- C comme sûr du latin securus
-- J comme jeûne du latin jejunus, distinction d'homonyme
-- L comme voûte
-- T comme mûr
2. Les translittérations du grec :
symptôme, théâtre, trône, pôle (mais
hippodrome, axiome malgré la prononciation en français
moderne). D'où des erreurs chez les scripteurs comme «
*zône » ou « *pédiâtre ». Et des
familles à nombreuses hésitations comme fantôme et
fantomatique.
3. Analogie avec d'autres terminaisons :
drôle (aligné sur rôle), rôder, môme.
Cela entraîne chez mes élèves les plus faibles des
choses comme « *fôret ».
4. D'une valeur emphatique, accent de majesté surtout pour les mots religieux :
prône, trône, chrême, suprême...
5. D'une hésitation à cause de l'absence d'accent grave :
diadème fut d'abord écrit diadême,
théorème est revenu l'accent grave, la graphie s'est
conservée dans extrême, suprême. Et l'on peut
alterner l'accent aigu et l'accent circonflexe : bête et
bétise mais analphabète et analphabétisme.
6. D'une volonté de discrimination des homonymes :
châsse contre chasse.
Les participes passés mû, dû, crû sont dans ce
cas, mais _tu_ n'a pas été touché et _pû_ a
existé par analogie.
7. D'une action analogique :
la première personne du passé simple est dans ce cas
« partîmes » a été aligné sur
« partîtes ». Ce qui provoque en revanche des «
*dîtes » et des « *faîtes » au
présent...
8. D'une position tonique de la voyelle :
fût n'est pas accentué comme futaille et on peut opposer
encore grâce et gracieux, infâme et infamie (mais au
contraire sûr et sûreté, mûr et mûrir).
9. D'une convention graphique : piqûre.
On explique après coup, selon ce qui semble le plus facile
à retenir, mais la raison étymologique est souvent mise
à mal comme les transcriptions de l'« eta » ou de
l'« omega » le montrent, sans compter les familles
disparates.i
Dans certains cas, le circonflexe n'a aucun rôle linguistique précis.
La présence d'un circonflexe sur a, e et
o note dans la majorité des cas un changement de prononciation :
- â → [ɑ] (/a/ vélaire ou « postérieur » ;
- ê → [ɛ] (/e/ ouvert ; équivalent de è ou d'un e
suivi de deux consonnes) ;
- ô → [o] (/o/ fermé ; équivalent d'un o en fin de syllabe).
C'est parfois la seule raison expliquant la présence d'un tel accent dans un
mot, qui disparaît dans la dérivation si la prononciation change :
infâme [ɛ̃fɑm] (mais infamie [infami]), grâce [gʁɑs]
(mais gracieux [gʁasjœ]), fantôme [fɑ̃tom] (mais
fantomatique [fɑ̃tɔmatik]). Toutefois, certaines irrégularités sont
notables : bêtise est prononcé [betiz] avec un /e/ fermé, malgré la
présence du ê, le mot ayant été formé directement sur bête
[bɛt], sans respect de l'alternance. On attendait *bétise.
Dans des mots empruntés au grec, il note sporadiquement la
présence d'un oméga (ω) dans le mot quand le o se prononce [o] :
diplôme (de δίπλωμα), cône (κῶνος). La règle n'est pas
cohérente puisque l'on trouve des mots d'origine grecque sans le circonflexe,
comme axiome (ἀξίωμα), qui se prononce bien [aksjom]. Du reste, si le
mot hérité du grec n'a pas gardé un [o], l'accent n'est pas utilisé :
comédie [kɔmedi] (de κωμῳδία).
Outre le changement de timbre, la voyelle est parfois allongée (du moins pour
les locuteurs qui pratiquent la quantité longue). Il faut noter que dans de
nombreux accents,
les oppositions de timbre entre les allophones des phonèmes /a/, /e/ et /o/ ne sont
pas systématiquement respectées et ne fonctionnent qu'en variante
combinatoire. C'est le cas, généralement, dans le sud de la France, où les locuteurs
n'opposent pas [ɛ] et [e] / [ɔ] et [o] en syllabe ouverte, voire
n'utilisent pas l'allophone [o]. On prononcera alors dôme [dɔm] et non
[dom], par exemple. D'autre part, tous les locuteurs du français sont loin
d'utiliser [ɑ]. Nombreux sont ceux qui diront alors [am] au lieu de [ɑm] pour le
mot âme.
Cette question est traitée plus en détail dans l'article Prononciation
du français.
Dans de nombreux cas, un accent circonflexe
indique que le mot contenait une lettre maintenant disparue parce que le phonème
qu'elle notait s'est
amuï avec le temps.
Outre
s, d'autres lettres amuïes ont été représentées
par un accent circonflexe. C'est le cas des voyelles en
hiatus
dont la première ne se prononçait plus ou qui s'était
contractée
avec la suivante :
- aage → âge ;
- baailler → bâiller ;
- saoul → soûl (les deux orthographes étant admises) ;
Le cas est fréquent dans des mots où -u est issu d'anciennes diphtongues
médiévales ëu /ey/ (la tréma n'est pas écrit à l'origine) venues à se
prononcer /y/ mais écrite de manière conservatrices eu. Il faut
attendre la fin du XVIIIe siècle pour que la graphie, hésitant entre ëu
(le tréma
sert aussi, en français, à marquer une voyelle muette), eu ou
û, se fixe sur û :
- deu → dû (de devoir) ;
- meu → mû (de mouvoir) ;
- creu → crû (de croître)
- seur → sûr ;
- cruement → crûment ;
- meur → mûr.
Certaines formes ont été concernées qui, aujourd'hui, ne prennent plus
l'accent : seü → sû → su (de savoir) ou
peu → pû → pu. Pour les verbes, en vertu de l'analogie,
les participes passés en -u ne prennent un accent que pour éviter les
homographies possibles (voir plus bas).
Parfois, l'accent circonflexe n'a pas
d'origine précise. Il peut, par exemple, être ajouté à un mot pour le rendre
plus prestigieux : c'est le cas dans
trône,
prône ou
surprême. D'autre part, à la première
personne
du
pluriel
du
passé
simple de l'
indicatif,
l'accent circonflexe n'a été ajouté que par
analogie
avec celui, motivé, de la deuxième personne du pluriel :
- latin cantastis → ancien
français chantastes → chantâtes (après amuïssement du /s/
appuyant) ;
- latin cantavimus → ancien français chantames →
chantâmes (par contamination avec chantâtes).
Cet accent est maintenant obligatoire à toutes les premières personnes du
pluriel du passé simple.
Parfois, la seule explication est une probable imitation d'un autre mot où
l'accent se justifie : traître imite maître (de
maistre), drôle imite rôle (où l'accent ne sert qu'à
préciser la prononciation fermée du /o/).
Alors que,
normalement, c'est l'
accent
grave qui sert principalement de signe discriminant en français (
là
~
la,
où ~
ou,
çà ~
ça,
à
~
a, etc.), le circonflexe, pour des raisons historiques, en est venu à
jouer un rôle semblable. En fait, les cas d'homographies évitées sont quasiment
tous explicables par les raisons qu'on a vues plus haut : il serait donc faux de
dire qu'il est dans certains mots un signe discriminant qu'on aurait ajouté
comme on l'a fait avec l'accent grave. De fait, il permet cependant de lever des
ambiguïtés, ce qui, dans les mots en
u issu de
eu, lui a
permis d'être parfois conservé. On a en effet montré que les accents
circonflexes issus d'anciennes diphtongues
eü monophtonguées
en
ëu [y] puis écrites
u ont été éliminés sauf quand ils
s'avéraient utiles en cas d'homographie, comme pour
su ─ et non
*sû ─ venant de
seü/sëu.
Les couples suivants sont à noter :
- sur ~ sûr(e)(s) (de seür → sëur) :
l'homographie avec l'adjectif sur(e), « aigre », justifie le maintien
de l'accent au féminin et au pluriel, lequel reste aussi aux dérivés
comme sûreté ;
- du ~ dû (de deü) : comme l'homographie disparaît
aux formes fléchies du participe passé, on
a dû mais dus / due(s) ;
- mur ~ mûr(e)(s) (de meür) : le maintien de
l'accent à tous les allomorphes
ainsi qu'aux dérivés (mûrir, mûrissement) doit être signalé ;
- cru ~ crû(e)(s) (de creü) : le maintien de l'accent à
toutes les formes évite les confusions avec les allomorphes de l'adjectif
cru ;
- chasse ~ châsse : là, l'accent de châsse
n'indique que la prononciation vélaire du /a/. Le fait qu'il existe un
homographe semble secondaire mais peut justifier le maintien du circonflexe. Le
caractère discriminant de l'accent apparaît donc concomittant à son rôle
phonétique ;
- vous dites (présent) ~ vous dîtes (passé simple, de
deïstes puis distes) : le caractère discriminant du
circonflexe est là aussi dû au hasard ;
- il parait (imparfait de parer) ~ il paraît
(présent de paraître issu de paroist) : accent discriminant
fortuit ;
- dans le mot piqûre, l'accent sert à indiquer, outre qu'il y a là
une ancienne diphtongue ëu (on trouve picqueure dans l'édition
de 1694 du dictionnaire de l'Académie) que le u ne fait pas partie du
digramme
normal qu mais qu'il se prononce bien
- s notables
- la dernière voyelle d'un verbe à la troisième personne du singulier du subjonctif
imparfait
porte toujours un accent circonflexe, pour des raisons étymologiques : ancien
français (qu'il) chantast → (qu'il) chantât, (qu'il)
coneüst → (qu'il) connût, etc. ;
- le verbe haïr est le seul qui, au passé simple de l'indicatif et au
subjonctif imparfait, ne prenne pas le circonflexe attendu car la voyelle qui
devrait en être frappée a déjà le tréma : nous haïmes, vous
haïtes, qu'il haït ;
- l'accent circonflexe, lorsqu'il frappe un radical verbal, se maintient par
analogie même si la prononciation de la voyelle qui le porte ne le justifie
pas : je rêve (de je resve) [ʁɛv] mais rêver [ʁeve] ;
- le maintien du /s/ appuyant amuï dans la flexion du verbe être (de
estre) s'explique par sa fréquence d'emploi : il est n'est
jamais devenu *il êt ;
- l'alternance que suivent les verbes de la famille de naître,
plaire et paraître mérite d'être signalée car seule la
troisième personne du singulier au présent de l'indicatif porte l'accent :
je / tu plais mais il plaît (de ploist). Aux autres
formes, en effet, il n'y a pas de /s/ en position appuyante.