Les numéraux étrusques
La civilisation étrusque fut l'une des plus brillantes en Europe, elle régna sur Rome avant de se fondre dans le monde latin mais elle survécut jusqu'à l'époque impériale comme mémoire familiale. Rappelons simplement que Virgile était un Étrusque, que l'empereur lettré Claude lisait et connaissait les textes étrusques, que l'alphabet latin a d'abord été forgé par les Étrusques après avoir été emprunté au grec. L'influence la plus décisive des Étrusques concerne la numération, nous conservons certaines de leurs habitudes même si elles ont été considérablement déformées et dégradées, mécomprises.
Les noms de nombres
Les numéraux étrusques ont été déchiffrés sur des inscriptions funéraires qui rappelaient l'âge du mort. Les six premiers chiffres sont aussi écrits séparément sur des dés, et ce sont eux que nous connaissons d'abord, en les lisant dos à dos, exactement comme sur les dés modernes, un face à six, deux face à cinq, trois face à quatre :thu, zal, ci, ša, mach, huth.
Leur sens a été identifié par des additions jusqu'à sept : mach + zal = sept ; thu + huth = sept ; ci + ša = sept. Les autres termes ont été reconnus de manière individuelle.
Les racines de ces mots ne sont pas indoeuropéennes. L'intérêt du système étrusque, c'est sa survie partielle en latin notamment par un mode de compte par soustraction et non par addition. Le latin ôte en effet un nombre à la dizaine pour les deux nombres qui la précède : XVIII (duodeviginti), XIX (undeviginti), soit deux ôtés de vingt, un ôté de vingt . L'étrusque semble faire de même : 17 (ci-em zathrum), 18 (esl-em zathrum), 19 (thun-em zathrum). La soustraction s'exerce pour les trois nombres inférieurs à la dizaine, le latin ne la connaît que pour les deux nombres inférieurs. Ceci explique la différence de formation des nombres allant de 17 à 19 en français, italien, catalan, occitan, de 16 à 19 en espagnol et portugais. Le latin possédait un système de soustraction pour 18 et 19 cardinaux et ordinaux, mais le système d'addition existait aussi pour les distributifs et les adverbes (18 par 18, octoni deni ou duodeviceni, 18e, octo decies ou duodevicies). Ce double système de compte en latin s'explique par l'influence étrusque qui se prolonge au delà encore dans les langues néo-latines occidentales puisque l'on a des formes synthétiques, agglutinées, avec la dizaine postposée (onze, undecim) et des formes analytiques, avec la dizaine antéposée (dix-sept à la place de septemdecim). Mais la numération moderne n'est pas l'héritière de l'étrusque.
Toutefois, l'étrusque s'éloigne d'une langue non indo-européenne comme le basque car il pratique le système décimal et non vigésimal avec des dérivations par -alc ou par -alch. Le système de soustraction survit dans la formation des chiffres latins, mais il ne doit rien aux étrusques pour une bonne part : IX est bien latin, IV est médiéval et d'implantation contemporaine ; les Étrusques, les Romains et les Français de l'époque classique écrivaient IIII.
Les adjectifs numéraux se construisent avec un suffixe au nom : zal = deux, zelur = second. Les adverbes numéraux se forment à l'aide du suffixe -z : ci = trois, ciz = trois fois.
Unités Comptes de dizaines Dizaines 1 thu
2 zal, es(a)l
3 ci
4 ša (sha)
5 mach
6 huth
7 semph (?)
8 cezp (?)
9 nurph (?)10 šar (shar)
16 huth-zar
17 ci-em zathrum
18 esl-em zathrum
19 thun-em zathrum
20 zathrum
27 ci-em-ce-alch
28 esl-em-ce-alch, zal-em-cesalch
29 thun-em-ce-alch30 ci-alch (ce-alch)
40 še-alch (she-alch)
50 muv-alch (*mach-alch)
60 *huth-alch
70 semph-alch (?)
80 cezp-alch (?)
90 *nurph-alch (?)
ph = phi (F) ; th = thêta (Q) ; ch = khi (X); š (s caron) = M (autre notation de s' campanien, lettre distincte de mu)
Les signes étrusques
* formes non attestées
Chiffres romains Chiffres étrusques Autres signes étrusques Chiffres arabes I
V
X
L
C
C ou M ?
M ou ?
+ (cent)
1
5
10
50
100
100 ou 1 000 ?
1 000 ou ?
On voit le système d'encoches, une barre sur l'écorce pour une bête, deux barres, etc. et lorsque l'on arrive à dix, on barre le tout d'une croix. La croix pouvait être transversale (croix de saint André) ou bien en forme de signe plus, exactement comme un des quatre différents -s étrusques.Le signe de cinq V inversé est dérivé du X par coupure de l'élément supérieur en étrusque, de l'élément inférieur en latin. Le cinquante n'est pas d'abord une flèche, mais un signe qui additionne le I (un) et le V inversé (cinq) en plaçant le signe qui modifie en exposant, exactement comme nous le faisons aujourd'hui dans les mathématiques ou dans les abréviations pour les lettres supérieures. C'est ensuite seulement qu'il sera assimilé à la lettre L. On peut aussi le lire comme la coupure de l'étoile à six branches notant cent, avec la conservation de la partie inférieure de ce signe : la moitié de cent est cinquante. Quant à la lettre étrusque notant le lambda grec, elle adopte la forme d'un L retourné avec un pied à gauche et non à droite comme dans l'alphabet latin. Il n'existe donc aucune relation originelle entre la lettre latine L et le chiffre du cinquante.
Le signe de cent est double : l'un provient du X de dix croisé avec le I de un (donc un de dix supérieur, soit cent dans ce système). L'autre est plus mystérieux, il ne peut provenir d'une lettre et ce doit être un chiffre original comme I.
En tout cas, la coupe de M en C (cent) et en D (cinq cents) est fort postérieure à la civilisation étrusque, l'existence du C (qui ne doit rien à centum) a légitimé ensuite celle de D, mais on peut voir que le M prenait d'abord la forme d'un cercle, parfois parent de phi. L'analogie du signe de mille (avec suppression des parties inférieures de cette sorte de phi) avec le latin milia a dû jouer en latin comme pour centum pour le cent. Mais ce n'est pas du tout l'origine... Si l'on examine un alphabet étrusque, on constate que le gamma grec s'est inversé jusqu'à former une sorte de C retourné. Cette lettre existe aussi en osque sous cette forme de lune décroissante.
Comment les Étrusques écrivaient-ils leurs chiffres ? On le sait par les pièces de monnaie notamment. Ils additionnaient pour une part : IIII = quatre, XX = vingt. Mais ils lisaient de droite à gauche les chiffres : VXX (V note le V inversé étrusque) = XXV latin = vingt-cinq. L'ordre des chiffres latins en a été affecté car le système d'écriture des numéraux latins combine alors l'addition (XX, C) et puis la soustraction (XIX, IC) comme cela se pratiquait sous l'influence de la langue étrusque.
En général, les textes étrusques s'écrivent de droite à gauche. Il existe des cas d'écriture en boustrophédon avec un sens de droite à gauche, puis de gauche à droite. On connaît aussi des inscriptions en spirale, une seule en serpentin. Enfin, les textes écrits de gauche à droite sont tardifs.