Le futur proche



Il y a bien plusieurs futurs. Dans la grammaire scolaire, on parle souvent de futur 1 (je chanterai) et de futur 2 (j'irai chanter). Je passe sur les autres futurs, antérieur, surcomposé ou conditionnels reclassés. Le futur 2 est nommé aussi futur proche, futur immédiat et d'autres choses encore selon les textes.

Le futur 2 est d'emploi familier, oral même s'il est fréquent dans les textes littéaires. Mais il montre aussi un procès différent du futur parce qu'il indique aussi une action qui est très proche ou que l'on a l'intention d'accomplir dans un avenir immédiat. Il peut se confondre à l'impératif (va le tuer) comme le futur de l'indicatif. Dans ce cas il marque une distance, mais on doit l'observer dans les textes mêmes. 

    Ce futur 2 ressemble d'ailleurs beaucoup à la construction en roumain qui privilégie aller+verbe ou du rhéto-roman sans aucune soudure, alors que notre propre futur 1 est issu d'une périphrase synthétisée en un mot du verbe+avoir. Ce sujet est fascinant. Nous avons les deux logiques latines divergentes sur le futur dans le français.

Dominique>oui, mais dans le cas d'une femme enceinte "sur le point" d'accoucher, et
>dont on connait le sexe de l'enfant, on dira: " ce sera un garçon" et non
>"ça va être un garçon".
>Dans ce cas précis, le "futur proche" ne s'applique pas à un événement
>proche. J'ai rencontré plusieurs exemples de ce type, c'est pourquoi je
>préfère dire"futur avec aller" que "futur proche".

    Futur périphrastique contre futur synthétique. Les noms sont vraiment secondaires.

    Votre exemple montre un aspect du futur, la valeur prédictive qui est très proche du futur à valeur d'impératif que l'on retrouve dans les recettes de cuisine. Le fait est donné comme assuré, bien réel. Il y a une idée d'autorité dans la phrase du locuteur alors que le futur 2 traduirait plus une intention. Si je commande au garçon de café, « ce sera un panaché, deux menthes à l'eau, un demi et une blanche » (il y a aussi en outre une atténuation dans l'ordre par opposition au présent). L'emploi temporel est alors accessoire par rapport aux valeurs. Le futur 2 ne permet pas vraiment ces emplois et il est plus strictement temporel que le futur 1. On peut comparer encore :
-- Cette étagère tombera.
-- Cette étagère va tomber.
Le premier fait est donné comme inéluctable, même s'il se trouve dans un point assez imprécis de l'avenir. C'est une prophétie ou un verdict. Le deuxième est peut-être très proche, mais il est plus éventuel, il s'agit d'une menace qui se réalisera ou non, qui est peut-être en train de se réaliser à l'instant où l'on parle. Il y a donc une vision qui ne relève pas seulement de la chronologie des faits.

Dominique>Récemment qqn a posé dans alt.french une question concernant
>les noms des « temps de l'indicatif » des verbes français.
>Dans une liste des noms anglais de ces temps, il a inclu
>"immediate future" pour la construction « aller + infinitif »,
>et bien "immediate past" pour « venir de + infinitif ». Je
>lui ai signalé les termes « futur proche » et « passé
>immédiat » ou « passé récent » (ce sont corrects ?), mais
>j'ai un doute que ce sont vraiment des « temps » dans le sens
>traditionnel : on m'avait appris que ce sont des constructions
>« périphrastiques » (ça c'est un mot français ?). Merci de
>vos lumières sur ce sujet !

Il ne s'agit effectivement pas de temps proprement dits. Mais leur fréquence a conduit certaines grammaires scolaires à les signaler comme tels. Des statistiques pour une élaboration du français élémentaire ont établi que la répartition étaient la suivante : un tiers pour le futur proche et deux tiers pour le futur simple, mais une moitié pour le futur proche dans le passé (il allait chanter) face au futur du passé (il chanterait) !

On va même parfois jusqu'à nommer le futur proche comme un « futur 2 » ! Mais on n'ose pas aller jusqu'à des futurs antérieurs 2 ou futurs dans le passé 2. C'est un abus manifeste de la terminologie. Néanmoins il existe une raison historique pour justifier ce classement : notre propre futur simple est d'origine périphrastique puisqu'il est issu du tour infinitif suivi du verbe « avoir » conjugué au présent. « Cantare habeo », ou avoir à chanter, a donné naissance à « chanterai ».

Malheureusement cette justification néglige le fait que la symétrie est incomplète du côté du passé simple. Elle pourrait s'appuyer sur l'origine périphrastique des temps composés, mais cela me semble bien lourd et peu efficace pour expliquer les constructions du français contemporain. Mieux vaut évoquer la concurrence de cette tournure avec le futur simple ou avec le passé composé : leur aspect les rattache fortement à la situation d'énonciation. L'action est prochaine pour le futur proche ou vient juste de s'achever pour le passé récent.  

En outre c'est négliger l'ensemble des formes périphrastiques :
-- devoir + infinitif : l'action est prochaine mais éventuelle ;
-- vouloir + infinitif : la valeur modale est aussi marquée ;
-- se mettre à + infinitif ou commencer à + infinitif : l'action est enclenchée ; aspect inchoatif ;
-- être en train de + infinitif : ce qui nous a fort occupé avec illybaba ;
-- ne pas arrêter ou cesser de + infinitif : variante du précédent, mais plus familière
-- finir de ou arrêter de + infinitif.
Sans compter quelques constructions littéraires : rester à + infinitif, aller + participe présent, s'en aller + participe présent.

On pourrait continuer ainsi la liste des périphrases, nous aurions une foule de temps. Mais est-ce utile ? Seule la fréquence du futur proche et du passé récent a entraîné une dénomination précise. De là à vouloir tout cataloguer comme conjugaison...

Dominique
>Je ne sais pas si elle est très usitée en France, mais j'aimerais
>aussi souligner l'existence très intéressante d'un procédé de
>redondance du semi-auxiliaire « aller », qui reporte le futur
>proche ... un peu plus loin dans le futur ! :o)
>
>: Je vais bientôt aller me coucher.
>
>Tiens. En relisant cette phrase, je me souviens que Véronique
>Sanson l'emploie littéralement dans l'une de ses chansons. Ouf,
>ce n'est pas un régionalisme, je ne vais pas me faire tomber
>dessus par les parisiens ! ;)

C'est un tour que l'on peut rapprocher des temps surcomposés :
-- Quand il a eu fini ce livre, il en a parlé.
-- Quand il aura eu fini ce livre, il en aura parlé.
Je ne crois pas que l'infinitif « aller » exprime le déplacement, mais qu'il se comporte encore comme un semi-auxiliaire.

Ces constructions étaient admises au XVIIe s. Elles sont de moins en moins employées en français moderne et elles sont considérées comme orales, familières. Une connotation populaire les affecte et induit une sorte de mépris pour les locuteurs, sauf dans le cas du futur proche qui n'est pas considéré comme un temps. J'ai même entendu des personnes déclarer que la forme surcomposée n'était pas française !

Les formes surcomposées sont plus habituelles avec des verbes comme commencer, finir, achever, arrêter. L'aspect de limite l'emporte. On les trouve aussi dans les subordonnées temporelles et non dans des principales.

DominiqueLe Thu, 28 Sep 2000 11:38:42 +0200, DB <fedilor@cybercable.fr> a écrit :


>Prenons un autre exemple, si vous voulez bien. J'habite un humble galetas à
>Paris et je dis :
>a) il est midi, j'ai faim, je mange : présent
>b) il est midi, je n'ai pas encore faim,  je vais manger à une heure :
>futur proche
>c) il est midi, je vais aller manger à une heure.
>
>Que comprenez-vous pour c ? Pour moi, à la différence des deux premiers
>exemples où l'action n'est pas modifiée (il s'agit de manger, seul le temps
>diffère), le troisième implique que je sortirai pour manger : autrement
>dit, "aller" n'est pas un simple auxiliaire mais il indique une partie de
>l'action, celle d'aller quelque part, et c'est cette partie de l'action qui
>est au futur proche.

Je vais faire amende honorable. J'ai reconfiguré mon encéphale et passé l'antivirus dans quelques neurones. Ne parlons plus de futur proche surcomposé. Mais il demeure un problème. Pourquoi une double construction du verbe avec « aller » ? Parce que l'on va seulement se déplacer, parce que l'action serait retardée ? J'avais tenté dans un article, désormais aux oubliettes, de découvrir une raison sémantique notamment par une décomposition sujet/prédicat (ce dont on parle, ce qui est dit à ce propos), et cela ne fonctionne pas... Peu importe, au fond, que l'on se déplace ou non pour manger ou dormir. Le problème n'est pas là.

En revanche il existe une ambiguïté lorsque l'on utilise le verbe « aller » avant certains verbes pour exprimer le futur proche. Pas tous, seulement ceux qui expriment une action intensive. « Je vais manger » peut être pris à la fois comme un futur proche de l'action « manger » et comme une intention de sortir pour manger. La situation d'énonciation permettrait parfois de lever l'équivoque, mais les deux notions sont fort proches car entre la volonté proclamée et sa réalisation l'espace de temps est fort court, et surtout une condition s'ajoute au fait visé (aller, donc changer de lieu). Pas facile.

La langue populaire utilise donc une redondance pour exprimer le futur proche de certains verbes. Prenons encore un autre exemple :
-- Je vais aller me promener cet après-midi.
-- Je vais me promener (cet après-midi ou maintenant).
Ou :
-- Je vais aller conduire Paul à la gare.
-- Je vais conduire Paul à la gare (je pars à l'instant ou dans plusieurs jours).
Il est possible d'employer deux fois le verbe « aller » avant un verbe exprimant le déplacement. Ce n'est pas très heureux, c'est même assez lourdingue et pourtant elle est assez souvent utilisée.

L'équivoque repose sur le sens du verbe noyau de la phrase et surtout sur la situation d'énonciation.
-- Je vais bientôt courir. (Oui, mais quand ? Dans un an si c'est un champion immobilisé par un accident. Lorsqu'il se sera rendu au stade s'il est en possession de ses moyens.)
-- Je vais bientôt aller courir (nager, plonger, sauter).
Je peux être proche du lieu où cette action se déroulera, voire dans le lieu même. Je peux me déplacer vers le centre de la scène ou le lieu de départ. En fait le mouvement n'est pas important, on n'insiste pas sur lui, mais le verbe suscite un procès indéterminé, confus. Le mieux est donc de recourir à la redondance pour lever l'équivoque sur le double sens d'« aller ».

« Aller aller » n'est pas possible avec certains verbes qui indiquent clairement le déplacement :
-- Je vais partir, mais *je vais aller partir.
-- Je vais entrer, mais *je vais aller sortir. 
-- Je vais voyager, mais *je vais aller voyager.
En revanche on peut le trouver devant les verbes qui impliquent une activité ayant lieu dans une portion de temps limitée, mais sans indication de début ou de fin :
-- Je vais aller travailler. Ce n'est pas l'intention de travailler peut-être comme « je vais travailler », ni non plus le fait de devoir se rendre d'abord sur son lieu de travail, mais le fait de devoir travailler à un moment futur qui est indiqué.

Ce sont quelques pistes de réflexions. Je n'ai rien trouvé à propos de la redondance de ce verbe et, après avoir examiné quelques verbes courants, j'ai quelque peu révisé mes catégories parce que cette construction populaire est mal étudiée. Il en va de même avec d'autres formes périphrastiques en tiroirs comme « aller se mettre à », « aller finir par », « aller commencer à ». Le procès est retardé, de manière approximative et à une date incertaine, mais il est repoussé malgré tout. C'est au fond ce qui importe. La redondance de la langue populaire est observable dans les interrogations, les mises en relief, les expressions de sentiments. Il me semble que la phrase de départ ne déroge pas à cette classification et cette analyse. Il n'y a donc qu'un futur proche plus marqué que d'autres.

Dominique

>Pour ceux que vous mentionnez dans ce dernier paragraphe, d'accord :
>« Je vais me mettre à boire », « je vais finir par me fâcher », « je
>vais commencer à jardiner »... sont des formulations usuelles en effet.
>En revanche, je ne crois pas qu'on les voie dans la forme infinitive,
>par ex. « il faut aller commencer à... ». D'accord ?

La construction en tiroirs possède ses limites, « il faut commencer à » ou « il faut aller » suffisent. Mais le verbe « falloir » est un verbe modal qui n'implique pas seulement un impératif, il possède aussi une valeur de futur comme « devoir ». La redondance est bien présente avec les verbes modaux. Je ne pense pas que les périphrases simplifient la vie et rendent l'expression plus claire puisque l'on est parfois contraint de les accumuler.

Dominiqueu