Hier


Le mot pour hier a été bien déformé par la prononciation latine : l'indoeuropéen gs hes-ei au locatif donne le latin heri (grec, χτες) avec spirantisation de l'initiale (cf. humus, le sol ~ χτèn) et rhotacisme  des intervocaliques comme c'est fréquent en latin (esse donne à l'imparfait eram et au futur ero). La simplification de gsh en gh serait antérieure au latin. Le rhotacisme s'est produit en latin dans le cours du
IVe s. avant J.-C. Le mot latin était d'abord un nom qui s'est figé en adverbe.

Le sanskrit emploie la forme hyáh de même origine. Les mots allemand (Gestern) et anglais (yesterday, le jour qui appartient au passé) remontent à la même racine qui veut dire «  dans le passé », mais avec un suffixe adjectival que l'on retrouvait aussi dans l'adjectif latin hesternus (comme dans internus, externus, aeternus). Quant à heri, il a ensuite diphtongué dans les langues romanes (espagnol ayer avec une préposition ad ou
« vers , italien ieri, catalan ahir avec préposition, occitan aièr avec préposition, romanche ier, roumain ieri). La diphtongaison est pan-romane et date du IIIe s. après J.-C. Le portugais et le galicien emploient une autre racine : ontem et onte à partir de ante, « avant » comme antan. La chute de la voyelle finale autre que -a est normale en français. L'emploi de la préposition est comparable à celle d'aujourd'hui en catalan, en occitan et en français, à celle de demain en portugais.

Le français utilise d'abord l'adverbe ier depuis 1080. Il est refait en hier  à la fin du XIIe s. afin d'éviter la lecture jer, le h étymologique est aussi une lettre diacritique en l'absence des lettres ramistes. Le nom commun apparaît vers 1350. L'ancien français employait l'adverbe en le précisant hier soir, hier main (matin), et il était en concurrence avec d'autres termes comme naguère (il n'y a guère), jadis (il y a un jour), pieça (il y  a peu), l'altre jor. Ainsi le terme a pu recevoir une extension de sens et n'a plus seulement désigner le jour précédent, mais une date récente. Cela se retrouve dans les expressions comme ne pas être né d'hier, ne pas dater d'hier. Le composé avant-hier apparaît vers 1170 sous la forme avant ier.  

Le français est caractérisé par un double système de compte du temps selon l'énonciation. Dans le système du discours, il emploie hier, aujourd'hui (ou maintenant), demain. Dans le système du récit , il emploie la veille, ce jour-là, le lendemain. Le système du récit est déterminé et avec des repères relatifs, le système du discours est non déterminé et avec des repères absolus. Toutefois, il convient de remarquer que l'ancien français utilisait fréquemment le passé simple dans les valeurs de l'imparfait, du passé composé, mais avec un système de discours. Le terme est donc à la fois littéraire et lié au déclin du passé simple à l'oral. On ne  peut plus dire
«  Je  vins hier matin ».

L'emploi de l'expression la veille remonte à la soirée passée en commun (1240, veile) et surtout au jour  précédant une fête  religieuse, jour passé en veilles et prières (1172). Ce dernier sens ne prend la valeur du jour précédant celui dont il est question, indépendamment de toute fête, qu'au XVIe s. Ainsi le mot devient à la veille de (tel événément) vers la fin du moyen français. Plus anciennement, la veille remonte à la vigilia romaine : la nuit était divisée en quatre veilles ou moments de surveillance. 

Si l'on compare cette expression aux autres mots liés, on constate que la veille a été remplacée par la veillée (ou sa variante la veillerie) au cours du XIIIs s. Cela se rapporte directement au fait de veiller, ou de passer ensemble le temps nécessaire au sommeil. Le terme n'a pas été concurrencé par le soir, le crépuscule, la vêpre, la nuit. En revanche, il offre une logique similaire à celle du lendemain qui remonte au matin suivant.