Petite histoire de h


Du grec au latin


Le latin possédait une consonne h comme les langues germaniques ou le grec. Cette consonne était fortement à l'époque archaïque, mais dès la fin de la République elle avait disparu en tant que phonème. Elle ne se maintenait qu'artificiellement dans les écoles et les  milieux cultivés. Catulle se moque ainsi de la prononciation d'hinsidias. Les graphies comme omo, abere, eres sont présentes dans les inscriptions et elles traduisent la prononciation populaire. On peut voir cette double prononciation dans les noms de l'empereur Hadrien et de la mer Adriatique qui tirent tous deux leur nom de la ville d'Adria ou Hadria.

Pour noter le phonème h, le latin se servait de la lettre grecque êta (h H). La lettre avait déjà été présente en étrusque sous la forme d'un rectangle vertical pourvu d'une ou deux barres horizontales intérieures.On retrouve cette lettre en messapien, picénien, osque et ombrien sous d'autres formes plus ou moins éloignées de l'êta.

Nous voyons aujourd'hui le êta grec comme une voyelle qui s'oppose à l'epsilon (e E) voyelle fermée brève. Toutefois, dans l'alphabet employé à Athènes, c'était l'êta qui servait à noter le phonème consonne. L'emploi du h comme consonne graphique en latin dérive de cet usage grec. En 403 av. J.-C., l'alphabet grec sera normalisé selon un modèle ionien où êta note un epsilon ouvert long. L'aspiration ne pourra plus être notée avec l'êta en grec. La solution sera trouvée sans doute par Aristophane de Byzance au IIIe s. av. J.-C. : il coupe l'êta H en deux parties dans le sens de la hauteur et il obtient ainsi deux signes qui deviennent en se simplifiant en grec les esprits rude `et doux ' du grec . Ces esprits se placent sur les voyelles et le rho à l'initiale ; l'esprit rude marque l'aspiration, l'esprit doux l'absence d'aspiration. Le terme esprit est calqué sur le grec pneuma, « souffle ».

Le grec connaissait aussi des consonnes aspirées notées par des lettres particulières :
– thêta (q Q) qui s'oppose à tau (t T) ;
– phi (f F) qui s'oppose à pi (p P) ;
– et bien entendu rho (r R).

Le rhô donnera naissance au r latin et influencera  la forme du p latin différencié de pi par une barre comme ce fut aussi le cas du gamma grec (g G) qui donne le g latin avec ajout d'une barre, puis le c par conservation de la forme.

Le thêta et le phi étaient des lettres inutiles en latin. Selon un usage en étrusque, ces lettres seront affectées à la notation des nombres : thêta donnera donc le signe C pour cent avec coupe. Le phi donnera le signe M pour mille,  puis le signe D pour cinq cents par coupe. Une autre lettre inutile, psi, donnera le L ou cinquante.

Pour la transcription des termes d'origine grecque, les Romains utilisent donc un h diacritique devant voyelle, après t issu de tau, après p issu de pi, après r issu de rho ou rr redoublé en grec, après c afin de noter khi (X). Cette dernière lettre soulève des problèmes fort particuliers car le khi a donné naissance à l'x pour noter la lettre grecque xi (x X). Dans un mot comme archevêque, on a donc un c issu de gamma ou g et remplaçant le kappa, suivi d'un h issu de êta, cela afin de noter un khi lequel donne naissance à l'x latin qui sert à noter xi.  

À la fin de l'époque latine, on a donc une série de digrammes étymologiques qui ne correspondent pas à la prononciation ou à l'écriture populaire : ch,  ph, rh, rrh, th. Plus les séries devant voyelle.


Du latin aux langues romanes

L'influence germanique


Les invasions germaniques apportent vers la fin de l'Empire plusieurs modifications de la prononciation. Il y avait présence de Germains non distingués des Belges en Gaule depuis le Ier s. av. J.-C., mais leur poids se fait surtout sentir au IIIe s. ap. J.-C.

1) Les Romains avaient cessé dès la fin de la République de prononcer la consonne vibrante [w] et ils la formaient comme la consonne fricative [v], la voyelle non arrondie [u] ou la voyelle arrondie [y], cela dans le domaine influencé par les Gaulois et même en Italie du Nord. Les populations germaniques apportent la voyelle [y] qui est commune aux Celtes, mais surtout  ils réintroduisent la consonne [w] qui n'existait plus en latin. Par facilité articulatoire, cette consonne sera réalisée avec une vélaire [g] qui prendra le dessus dans certains cas (garde) ou elle se maintiendra au moins graphiquement en français (guerre) et phonétiquement en italien (guido). La réapparition de ce phonème a conduit à la création de deux digrammes gu et gh et à une confusion de leur signification en français.

2)  Les Germains emploient une consonne h qui va entrer en français sous la forme du h prétendument aspiré (haine, houx, honte, halte). Comme les populations gallo-romaines sont incapables de réaliser ce phonème, les h germaniques seront réalisés sous la forme d'une simple disjonction et parfois d'un coup de glotte. Cela se traduit alors par la différenciation entre les termes d'origine grecque ou latine et les termes d'origine germanique. Les termes latins ou grecs ne sont depuis très longtemps plus prononcés avec une consonne initiale h et l'usage restera inchangé jusqu'à la fin du XVIIe s. où l'on aura affaire à un h expressif, notamment au théâtre. Cette consonne va influencer des mot d'origine latine comme altus qui devient haut.

Le cas de l'espagnol

L'espagnol a connu une évolution particulière qui ne doit strictement rien à une influence germanique. Le [f] initial latin s'est changé en [h] : hijo( filum), hermoso (formosus), herir (ferir), hacer (facere), huesa (fossa). Mais ce n'est pas général : fiesta, fiebre, fuero, fuego, fuerte. La modification  a eu des difficultés  devant une  diphtongue. Ce changement concerne le français car on considère les mots d'origine espagnole comme les mots d'origine germanique : le haricot (terme nahuatl mais passé par l'espagnol), le hableur (latin fabulare), le havane , le hamac (mot arawak). En revanche, il n'existe pas de disjonction pour l'hidalgo qui est un terme intégré à la langue. De même, on peut parler de la bataille d'Hernani plutôt que de Hernani.

L'origine du h espagnol se trouve au nord de la péninsule ibérique et elle doit sans doute à une influence basque. Cette langue ne connaît pas en effet le f, le gascon a été de même influencé par le basque (espagnol fuego, gascon fuec, basque su, occitan fiò, catalan foc, portugais fogo). L'influence a été tardive et elle ne se manifeste pas avant le XIVe s. ; elle s'est diffusée lentement vers le Sud, mais elle ne s'est pas manifestée en Aragon et Portugal.

On peut se poser aussi la question d'une influence gasconne dans le mot hors (latin foris) qui était fors en ancien français.

L'anglais

Les termes d'origine anglaise qui sont en fait des emprunts au latin, au grec, au français ne suivent pas  du tout la règle des h germaniques : l'hôtesse, l'hormone, l'humour, l'hypnotisme.


De nouveaux digrammes

Le rôle diacritique du h a été amplifié en français comme dans les autres langues romanes. On a affaire à de nouvelles séquences à partir du Moyen Âge :

ch

En italien cela note la consonne [k] à la place de qu (qui >chi, le ch empêche de prononcer [kwi]) ; en espagnol c'est la consonne affriquée [tch] même devant a, o, u (ocho ), mais en portugais et en catalan c'est l'x  qui note la spirante ch :  sexta feria (mardi), xofer (chauffeur). Il en va de même en basque : etxe, maison. Le roumain utilise la graphie sch comme en allemand et en français : sche (oui). L'italien et le roumain ne connaissent pas x sauf dans les mots savants et empruntés. L'espagnol a réservé un sort complexe à l'x  qui demande une page particulière. En tout cas, on a affaire à une concurrence entre l'x issu de l'x latin ou xi (ks) qui est présent en français et l'x issu de khi grec qui est présent en portugais, catalan, basque et à un moindre degré en wallon et espagnol comme on le verra plus loin.

En français, la graphie ch correspond à une vélaire ou à un khi pour des mots grecs tardifs (archonte), voire latins (chœur), elle devient une spirante pour des mots grecs anciens (archévêque), latins (arche) ou issus de l'allemand (chambellan, bûche). Le français ne pouvait former la consonne correspondant au ich allemand et la consonne a été réduite. Il en va de même pour les mots italiens (chipolata) qui perdent leur affriquée. Le sort du ch est si complexe en français que je lui consacre une page spéciale.
 
gh

La graphie gh est bien entendu présente en italien : spaghetti qui s'oppose à gu de guerra avec la séquence gw ou à ge et gi dans gelati (djélati) et giorno (djiorno). Le rôle du h est diacritique comme celui du u ou du e en français dans les séquences gu (guerre) et ge (gageure).

Toutefois, cette séquence a existé et existe encore en français : Ghislain avec g dur, ce nom n'était pas prononcé comme Jisselin mais Guilin, Gérard écrit précédemment Gherard comme guépard ou le prénom allemand. Cet usage semble plutôt le fait du Nord et surtout de la Picardie, de la Belgique. En revanche, en Auvergne, gh équivalait à dj.

lh

Cette graphie se retrouve en occitan, il intervient même en finale. Elle sert à noter le l palatal ou l mouillé qui a disparu en français du Nord vers la fin du XIXe s. et qui est devenu un yod le plus souvent. Ce l mouillé était noté en français par les séquences ill comme dans paille. En italien, cela correspond à la séquence gl comme dans moglie (épouse) et cela explique la prononciation de noms italiens comme Broglie, Castiglione qui sont déformés en français. En catalan, en espagnol,  la consonne est notée par un double lcabellos (cheveux), cabells (cheveux). Toutefois, le catalan distingue entre la géminée l avec un point médian entre les lettres et le l palatal sans point médian. 

Le rôle diacritique du g comme marque de la palatalisation résulte de la simplification d'une ancienne palatalisation ([lge] > [ldge] > [lgje] > [lje]).

Le français ne conserve cette graphie que dans des noms propres comme Anouilh ou Paulhan qui devrait être prononcé avec un l palatal.

nh

Cette graphie a été employée en occitan ancien, elle existe toujours en portugais : manha (demain). Elle correspond au n tilde de l'espagnol (mañana), au ny du catalan (any, année). Il s'agit de la consonne dite n mouillé, n palatal. Cette consonne s'est réduite en français à la fin du XIXe s. avec un n suivi de yod, voire de la voyelle i.

En français, le g a été employé comme signe diacritique à la place du h : gn (comme aujourd'hui dans agneau), ou ign (montaneam > Montaigne [prononcé montagne], oignon, poigne, moignon, encoignure, voir aussi le nom de Philippe de Champaigne qui était de Champagne). Le i ne se prononçait pas et son rétablissement ou sa fausse lecture est dû à l'influence de l'orthographe. On écrivait encore  ing en fin de mot (ling = ligne, poing).

sh, sch

Ces graphies sont d'origine française. Le vieil anglais note le phonème ch de « chat » par sc
(scip > ship, « navire »), ce qui est rationnel, puisque la lettre c servait en ces temps à noter [k], comme en latin, devenu par palatalisation devant des voyelles antérieures [ty] puis [tch], comme en français. Donc sc aurait dû se lire [stch], comme en italien moderne, mais a servi à [ch], toujours comme en italien actuel.

Pour le moyen anglais (XIVe, XVe s.), sc commence à être remplacé par sch par influence du français, forme simplifié ensuite en sh, tandis que [tch] est noté par cch est simplifié en ch, toujours par imitation du français.

On étend le système du <h> modificateur à d'autres graphies : <þ>
commence à être remplacé par <th>, voire <y> (ce qui explique les
archaïsmes comme « þe » (« the ») écrit aussi « ye » mais prononcé [þe].
Plus tard, lorsque la lettre <y> n'a plus servi que pour le yod, on a lu
l'article écrit « ye » [yi], ce qui est une erreur d'interprétation.

<Yogh> est remplacé par <g> et <wynn> reste vivace, en concurrence
avec <uu>. <Y>, devenu [i], est utilisé en concurrence, souvent pour des
raisons étymologiques, avec <i>

Notez que le <s long> reste employé jusqu'au XVIIIe, comme variante
graphique. En anglais contemporain, on trouve <sh>, <ch>, <th>, <g> /
<y> / <gh> et <w> / <u>.

On peut donc en conclure que l'utilisation de <h> comme lettre
modificatrice est due en partie au français !

– xh


 les graphies ne sont pas partout les mêmes pour les sons complexes ; ex : pour le n " mouillé ", gn (comme aujourd'hui), ou ign (montaneam > montaigne [prononcé montagne], oignon, poigne, moignon), voire ing en fin de mot (ling = ligne), mais nh dans le midi ; en Auvergne, gh transcrivait dj (comme ch transcrivait tch), mais en Picardie, gh correspondait à gu devant e : Gherard (= Guérard, et non Gérard).

L'amélioration de l'alphabet au XVIème, nous l'avons signalé dans la partie précédente.

L'utilisation de lettres destinées à améliorer la lisibilité :

Le tréma sert à marquer une disjonction, un hiatus, entre 2 voyelles successives, pour montrer qu'on n'a pas affaire à un digramme ni à une suite semi-consonne + voyelle :

haïr ['aiR . eR]] héroïsme [eRoism] (comparer : roi [Rwa])

coïncidence (comp : coin), amuï (comp : nuit), maïs (comp : mais)