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Les nombres ! Voilà un beau sujet de dispute... Mais pourquoi et comment se forment-ils ? D'où viennent-ils ? Voici quelques éléments de réponse. La page est fort longue, les quatre colonnes correspondent aux divers faits suivants :
– Les formes latines : origines en indo-européen, rapprochements avec d'autres langues IE, évolution antique, quelques avatars modernes mais rarement.
– Les autres formes romanes : cette colonne fournit des éléments pour juger de l'évolution depuis le latin. Quelques remarques adventices concernent les évolutions particulières comme celle du roumain.
– Du roman au français : cette partie est plus proprement phonétique et morphologique. L'évolution historique des formes est envisagée jusqu'à la fin du Moyen Âge, mais cette partie phonétique est parfois prolongée jusqu'en français contemporain si le phénomène le demande.
– Les formes modernes : cette partie est plus consacrée aux graphies depuis l'ancien français, mais surtout le français classique. Elle porte parfois sur les formes régionales ou des prononciations contemporaines.
Les formes latines | Les autres formes romanes | Du roman au français | Les formes modernes |
I unus
Le nombre I est fort riche dans les langues indo-européennes. Le grec a une racine *sem- dans en (neutre), *sem-s dans eis (masculin) qui alternait avec une forme *sm (grec mia, féminin). Cette racine se retrouve dans certains dérivés latins comme sim-ilis (semblable), sim-ul (ensemble), sem-el (une fois), sin-guli (seul), sim-plus(simple), sim-plex (simple). Comme on le voit, le nombre un est bien présent et pas du tout singulier ! Le thème de unus est dit occidental, il se rattache à une autre racine : *oi-no qui se retrouve en latin archaïque dans oinus, en ombrien dans enom, en gothique dans ains, en grec dans oinè (forme unique), en sanscrit dans enas. Cette forme devient ensuite un article défini comme dans d'autres langues
européennes. Le diminutif ūllus issu de *oino-los a en outre survécu
sous la forme de son négatif nūllus provenant de non-ūllus. La quantité
vide existait en latin, mais c'est une création tardive, dérivée et
qui procédait d'abord de un au sens de La déclinaison de ce mot en -us, -a, -um a été influencée par celle
de solus pronominal. Le génitif et le datif ont donc été en uniūs,
unī. Le pluriel exceptionnel uni, unæ, una a été employé. Ce pluriel
avait un sens collectif (un seul camp, une seule ville).
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cat. : u
cor. : unu esp. : uno it. : uno oc. : un (M), uno (F) port. : um rom. : in rou. : unu La consonne n se sonorise en m en portugais avant de se réduire.
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Parmi les adjectifs numéraux, un est le seul à avoir conservé les flexions de genre alors que vingt et cent ont pris des marques du pluriel. L'évolution part de l'accusatif : unum, unam. Le -m chute à la fin de l'époque républicaine. Le passage de u latin (voyelle postérieure, arrondie, fermée) à ü (voyelle antérieure, arrondie, fermée) a pu s'effectuer dès le Ier s. ap. J.-C. Cette voyelle serait une particularité gauloise qui a eu aussi son influence dans les dialectes italiens du Nord. La voyelle finale du masculin après un passage par une voyelle plus ouverte et centrale o s'est amuïe avant la fin de l'époque romane. Au féminin, la voyelle finale s'affaiblit en un e caduc. La nasalisation de la voyelle n'intervient que tardivement, au XIVe s., les voyelles les plus fermées n'ont été affectées qu'après les voyelles ouvertes. La dénasalisation intervient au XVIe s. Elle efface le timbre nasal au féminin et elle provoque l'apocope de la consonne au masculin sauf en cas de liaison. | L'ancien français déclinait l'adjectif numéral comme
l'adjectif indéfini. La forme médiévale uns peut correspondre à un
cas sujet singulier comme à un cas régime pluriel, notre pluriel actuel.
La graphie ung a été employée à la Renaissance pour deux raisons. Elle
apparaît en fait dès le XIVe s. D'une part, le graphème g est une lettre diacritique qui assure la lisibilité d'un texte. Les jambages pouvaient faire confondre la graphie vn (en lettres non ramistes) avec le chiffre sept écrit en minuscules romaines vii. D'autre part, la graphie avec g est une marque de nasalité qui se retrouve par analogie avec d'autres mots où la lettre est faussement étymologique (compaing, poing, tesmoing). Cette forme avec g se retrouvait aussi dans le féminin ugne, voire ungne. Nicot proteste dès 1606 contre cette lettre abusive et l'Académie entérine en 1694 l'orthographe moderne. L'instabilité de la voyelle nasale, rare, explique qu'elle soit encore aujourd'hui attirée vers une plus grande ouverture. Les prononciations in existaient déjà au XIXe s. régionalement, en Bourgogne, Champagne, Picardie, tout comme on en Wallonie. Un autre fait important concerne la disjonction expressive de un. Elle n'est pas motivée par un h faussement étymologique comme dans huit. Nous avons affaire à un monosyllabe qui est parfois émit isolément avec le coup de glotte et non avec une aspiration. La disjonction a une valeur distinctive, mais elle demeure assez récente comme le montre la construction de l'indéfini l'un. Elle a contaminé aussi les formes liées à onze, nombre dérivé. Voir la page consacrée à l'élision. Voir la page consacrée à onze. |
II duos
Le radical de deux est encore plus riche que celui d'un ! La base indo-européenne *dwi- a donné en latin à la fois bi- (sous la forme dvis chez Cicéron) et di-, on la retrouve encore dans le dérivé vingt (deux-dix). On retrouve encore ce thème simplifié dans du-plex, duo-décimal. Mais il existait aussi un autre numéral à côté ! Ce numéral ambō avait une valeur synthétique (tous les deux ensemble, simultanément). Il sert à nos dérivés en ambi- : ambigu, ambivalent. Toutefois, il a encore été présent en ancien français sous les formes ambesas (deux as), ambedous (les deux ensemble par redondance), ambe en termes de jeu avec un -s de cas sujet analogique pris comme un pluriel à tort. Ce numéral suivait la déclinaison de duo. La forme *dŭō provient de l'indo-européen dow-ō,
rattaché au grec dúô, mais le latin l'a abrégé en duŏ au nominatif
et à l'accusatif. Il a renoncé au duel encore présent dans ambo.
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cat. : dos, dues
cor. : dui esp. : dos it. : due oc. : dous (M), dos (F) port. : dois rom. : dus rou. : doi L'occitan conserve une forme héritée de la diphtongaison au masculin. Le féminin repose sur l'assimilation du a au o. La forme roumaine postule l'emploi d'un nominatif là où le français a privilégié l'accusatif. C'est aussi le cas pour III. |
Il faut remonter à l'accusatif masculin de duo : duos. La forme unique de nombre en latin montre en fait une déclinaison au pluriel sur les modèles de la deuxième classe. La consonne finale ne subit pas d'apocope car elle est sentie comme une marque de pluriel, d'autant que le mot se décline encore en ancien français. Elle se maintiendra jusqu'à l'époque de la Renaissance qui fait chuter les consonnes finales comme -s, justement au pluriel ou dans les conjugaisons. Les graphies médiévales deus, dous résultent de l'évolution de o long tonique libre. La voyelle diphtongue au VIe s. Le passage à la diphtongue eu se fait avant le XIIe s., sa réduction se faisant avant l'époque classique. | L'ancien français déclinait l'adjectif : il était dui
ou doi au cas sujet. L'ancien occitan avait aussi maintenu ce système
: dui au sujet, dos au régime (doas au féminin au sujet). Ce nominatif
dui par analogie est attesté au IIIe s., tout comme le féminin duae, duas et le neutre duo. Il a existé en outre un féminin dues dans les textes bourguignons et champenois, forme régulièrement issue de duas. La forme romane duos (980) montre une conservation de la première voyelle assez tardivement. Elle est assimilée ensuite par la diphtongue. La graphie avec x (1549) est en fait d'origine médiévale, elle permet d'éviter la confusion avec Dieu écrit encore devs comme le nombre. Ensuite, cette forme est analogique de six où l'x est étymologique, cet x s'est aussi transmis à dix. L'ordinal deuxième, d'abord deuzeime, a suivi le même paradigme que sixième et dixième, par rattachement à la famille. |
III tres
Le nominatif trēs vient d'un thème *trey-es. Il correspond au grec
tréis et au sanscrit tráy-ah. Le neutre triā repose sur un thème réduit.
Ce thème est à l'origine des formes comme tri-ceps.
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cat. : tres
cor. : tre esp. : tres it. : tre oc. : tres port. : tres rom. : treis rou. : trei |
En latin, l'accusatif et le nominatif de III étaient identiques
: trēs. Cette forme valait aussi pour le masculin et le féminin. Ce fait
explique que le mot ne se soit pas décliné en ancien français, ni qu'il
ait conservé des marques de genre. Cependant, il a existé au XIIIe
s. une forme comme li troi, cas sujet pluriel (li troi serjant
l'enmainent) évident qui s'oppose à trois au cas régime dans le même
texte. Cette forme est analogique du type bon, bons.
Par contamination, III a fait perdre aussi à II sa déclinaison et
ses genres. L'évolution du mot est ordinaire : e long tonique libre diphtongue
en ei au L's s'est maintenue à l'oral jusqu'à l'époque classique. |
Il existait aussi en ancien occitan une déclinaison de
III : trei au cas sujet, tres au cas régime. Le cas sujet est analogique.
Le maintien de l's répond à de nombreux motifs. Le mot est senti comme un pluriel, tout comme deux, six, dix. Par contamination, ces terminaisons affectent aujourd'hui la graphie de quatre (quatres), neuf (neufs) dans les écrits relâchés. Ensuite, la sifflante est restée longtemps présente à l'oral et elle se maintient en liaison – ce qui est un fait imposé par les constructions nominales. Le fait moderne le plus marquant est le passage de wè à wa. Ce sera entériné avec la Révolution française. Au XVIe s. pourtant, Théodore de Bèze se plaint que les Parisiens prononcent à tort troas ou tras ; la prononciation regardée comme bonne était alors trouè. |
IV quattuor
Le nominatif indo-européen kwetwer-es se retrouve en grec téttares, en sanscrit catvārah. La production de la voyelle ǎ est un phénomène qui se produit en latin de manière populaire et qui est indépendant des autres évolutions de l'indo-européen, cette voyelle remplace les voyelles indo-européennes plus centrales o et e. Or, si l'influence de quatre est énorme déjà sur un, deux, trois, la présence de la voyelle va influencer aussi toutes les terminaisons de XL à XC en -ante. Cette voyelle mal expliquée possède une riche descendance ! Il faut noter que la racine gauloise est passée de kw
à p et que le fait pourrait passer inaperçu (plus d'explications
en V). Mais le qu- latin donne un p dans les langues celtiques britonniques
et continentale. Cela explique les noms Périgord (petru-decamato, les
quatre armées), Preuil (les quatre clairières), Pérolet (les quatre
clairières). Les noms propres apparentés à Pierre (Petrus) ne dérivent
pas forcément de la pierre (petra), mais sans doute de l'ordinal sous
sa forme gallo-romaine, Quatrus dit *Petro. Quatre : indo-européen *kwetwor. Probablement le plus fécond. En grec, tessares ou tettares, qui a donné les composés formés sur tétra- (par exemple tétrapilectomie, qui consiste à couper les cheveux en quatre). En latin, quattuor et ses dérivés a donné les mots en quadr- (quadrature, quadrupède...) et quatr- (quatrain...). Écarter, écarteler, écarquiller signifient "couper en quatre". On obtient alors des quartiers. Les carrés, les carreaux, le carrelage, les squares ont quatre côtés, de même que le cadre. On les dessine avec une équerre. On équarrit ("tailler en carrés") dans les carrières. Les escadres, escouades et autres sont formées en carré. De manière moins évidente, le carillon est un groupe de quatre cloches. La caserne regroupait à l'origine quatre personnes (et aujourd'hui encore, on peut en utiliser quartier comme synonyme). L'incartade est un coup d'épée donné en faisant un quart de tour. Le cahier et le carnet sont des feuilles pliées en quatre (ou des groupes de quatre feuilles). |
cat. : quatre
cor. : quàtru esp. : quatro it. : quattro oc. : quatre port. : quatro rom. : quater rou. : patru Le romanche a conservé la voyelle finale a sa place contrairement aux autres langues néo-latines. Ce fait s'explique par le caractère conservateur de cet isolat. La forme en p du roumain est analogique d'autres transformations de qu latin en p devant a, mais à l'intervocalique. |
Voici le premier ordinal non décliné ! En apparence...
Le latin quattuor était cependant un adjectif décliné, mais il y a eu
convergence des formes : quattuor(e)s passant à quattuorr, puis à quattuor par assimilation progressive. Par un jeu de dominos, la forme de V (quinque, invariable comme la suite) a affecté IV (quattuor), qui lui-même a influencé III (tres) malgré quelques tentatives de réfection casuelle, et enfin II (duo), ce qui se prolonge encore en français dans les composés de I (unus) comme aucun qui possèdent un pluriel. Nous tenons le bon bout de cette réduction des flexions. Il convient de partir de la forme quattor attestée par l'épigraphie. La métathèse de la voyelle finale est pan-romane. Elle n'a pas pu se produire après le IIIe s. en Dacie comme le montre la forme roumaine. La voyelle initiale est entravée, elle ne subit pas de diphtongaison. La réduction de la labiale qu latine à k devant a est un fait français roman comme en témoigne l'ancien occitan catre. À l'initiale, kwa se réduit à la vélaire suivie de la voyelle. |
Le terme n'a pas subi de graphies avec c ou k en français.
La graphie quatre apparaît dès 980.
Il convient de noter la déformation moderne en quatres. Cette forme s'explique par l'attraction des autres numéraux qui semblent pluriel (deux, trois, six, dix). En outre, la prononciation avec apocope du r est fréquente, régionale, populaire. Cela explique les constructions comme entre quat'-z-yeux ou le Bal des Quat'-z-Arts. Le passage de l'alvéolaire liquide r à l'alvéolaire spirante z est normal. |
V quinque
L'indo-européen possédait une forme invariable *pwenkwe. Cette forme se retrouve encore dans le mot Pendjab, dans le nom punch (des cinq fleuves, issu du bengali). La racine grecque penta- se rattache plus directement à ce thème. Il y a eu assimilation ancienne en latin et perte de la labialité, la finale a influencé sur l'initiale et a modifié son articulation. Le gaulois a, en revanche, développé une forme avec p initial comme le grec et le sanscrit. Cette forme est propre au gaulois, au celtique britonnique, mais non au celtique gaélique qui maintient la vélaire k. Le mot suit jusqu'à ce moment une évolution similaire de de celle de IV, quatre. L'évolution de la séquence initiale qu en k, avec la forme vulgaire cinque, résulte de la dissimilation qui s'était déjà opérée en latin, avec le passage de kw en kw. Cinq : indo-européen *penkwe. En grec pente utilisé comme préfixe. Il y a peu de mots ou sa présence n'est pas transparente : esquinter ("couper en cinq"), ou bien quinconce ("disposition des points sur les pièces de cinq onces") ; punch, boisson d'origine indienne, comprenant cinq ingrédients, d'après l'hindi panch "cinq" ; Pendjab ("cinq rivières"), et par conséquent Pakistan |
cat.: cinc
cor. : cinque esp. : cinco it. : cinque oc. : cinc port. : cinco rom. : tschun rou. : cinci L'absence de la voyelle finale est évidente en français, occitan,
catalan. Ce groupe central a produit des apocopes à date précoce, en
roman, mais ce n'est pas présent partout, la forme quatre montre une conservation
du fait de la métathèse et d'une séquence tr appuyée.
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Le mot s'est d'abord écrit cinc (1080). L'étymon latin
a subi une fausse palatalisation devant i, ce fait est pan-roman et date
d'avant le IIIe s. comme le montre la forme
roumaine. Yod initial produit un groupe ky qui devient ty puis qui se mue
en affriquée tš avant le Ve s.
La voyelle finale s'amuït en position absolue. La voyelle initiale, qui est entravée, ne subit pas de diphtongaison. Sa nasalisation intervient au XIIIe s., sa dénasalisation au XVIe s. La chute de la finale sauf en liaison est de l'époque classique. |
La graphie cinq avec la consonne finale est une graphie
étymologique, elle présente la particularité d'offrir un q sans u en
finale, comme dans coq et certains noms propres.
Le rétablissement de la prononciation de la consonne finale à l'oral est un fait moderne, depuis le XVIIIe s. Il est comparable à celui des finales en -k (bec, bouc) ou en t (vingt). L'influence de l'orthographe existe, mais il y a aussi une volonté discriminatoire afin d'éviter les homonymies. La consonne ne se prononce pas, selon la norme, devant une autre consonne. Le nom de Cinq-Mars (comme saint mar) en témoigne. La prononciation cinq cents comme cinq cents est considérée comme relâchée. |
VI sex
La forme remonte à un indo-européen *sweks qui se prouve avec le crétois sFex (f = digamma, notant un son wé). La forme grecque hexa en dérive, mais elle montre une faiblesse de l'initiale compensée par l'esprit rude. Le cardinal apparaît aussi en celtibère sues. Les formes celtiques ont conservé la consonne w (gallois, chwech). Le nom de la ville de Soissons, issu de la tribu des Suessiones, peut dériver de cet adjectif tout comme dans le cas du Périgord qui vient de quatre. Il n'y a eu altération phonétique que dans se-mestre et les dérivés
latins avec consonne. Six (indo-européen *seks) nous a laissé la sieste (à la sixième heure dans le système romain) et les années bissextiles. |
cat. : sis
cor. : sei esp. : seis it. : sei oc. : sièis port. seis rom. : sis rou. : şase La forme roumaine est originale : elle suppose qu'il y a eu production
d'un i proche de e en |
D'abord écrit sis (1080), puis six (XIIIe
s.). L'assimilation régressive de la consonne k par s dans
le groupe ks est pan-romane.
Le passage de e long tonique entravé à un i en français est obscur, il ne répond pas aux évolutions attendues. La voyelle a dû subir l'influence d'un k suivi de consonne qui se palatalise et qui dégage un yod : seks > seys. D'évidence, il y a eu une diphtongaison dans l'ensemble de la Romania, mais pas avant le IIIe s. car la forme roumaine part directement de la forme latine classique et suit une évolution normale. Cette diphtongaison s'est produite avant le VIIe s. comme l'atteste la forme romanche. Or, on a là une forme qui témoigne d'une évolution ancienne. Ensuite, on peut postuler en français une assimilation progressive du premier élément de la diphtongue au deuxième, tandis qu'il se produit une dissimilation en occitan avec production d'un yod antérieur dû à la longueur de la diphtongue. |
La graphie six est étymologique et savante. La lettre x
valait pour s et elle vaut encore comme telle régionalement. Cette terminaison
a déterminé deux et dix. Le graphème x rappelle à la fois le c de decem
et le s de deux, il est encore senti comme marque de pluriel. Notons que
l'hésitation a existé pour le sixain qui fut aussi sisain, sizain.
Du temps de Littré, six se prononçait si sauf dans certaines conditions
:
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VII septem
Le thème indo-européen *sept-m est assimilé à *dek-m (X). Le grec hepta lui est apparenté avec perte de la sifflante. Il y a eu modification de la voyelle finale dans des composés comme Septimanie devant consonne, mais ce fait n'est pas absolu (septem-bre). |
cat. : set
cor. : sette esp. : siete it. : sette oc. : sèt port. : sete rom. : siat rou. : şapte Les formes romanche et espagnole s'expliquent par une assimilation progressive de la consonne p, ce phénomène est plus rare. En tout cas, il produit une diphtongaison locale non attendue de la voyelle qui est entraînée en arrière et qui s'allonge. |
Le latin septem perd sa consonne finale dès la fin de
l'époque
républicaine. La voyelle finale s'amuït normalement avant VIIe
s. dans l'ensemble de la Gaule.
L'assimilation régressive de la sourde p à la consonne se produit après le IIIe s. comme le montre la forme roumaine. Il a existé en français une forme rare d'assimilation progressive avec sep (980). |
Le mot s'est d'abord écrit sep (980), puis set (1050).
L'assimilation régressive est la forme la plus fréquente lorsque deux
consonnes de timbre voisin sont en contact. La graphie sept (1190) est
une réfection étymologique. Cette forme savante explique des prononciations
comme la Bible des Septante alors que le p est absent normalement...
Toutefois, l'accentuation de sept a préservé la prononciation du mot
et la lettre étymologique ne se fait pas entendre autrement que dans les
dérivés.
Littré :
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VIII octo
Le mot se rattache à *oktō. Huit (indo-européen *okt) ni neuf (*newn) n'ont laissé beaucoup de traces. |
cat. : vuit
cor. : ôttu esp. : ocho it. : otto oc. : vue port. : oito rom. : otg rou. : opt Le passage du roumain de octo à opt est analogique et il ne répond pas aux règles d'évolution du groupe qu dans cette langue. La métathèse du romanche avec otg s'explique probablement par l'influence germanique et le fait que d'autres numéraux aient employé une fricative ch. |
Le latin octo a d'abord été produit sous la forme oit.
La voyelle i résulte de la palatalisation de k devant consonne sauf
r, la consonne vélaire donne naissance à un yod de transition et okto
devient oyto en passant par otyo. Cette métathèse est normale et attendue,
on la retrouve en catalan, portugais et même espagnol malgré les évolutions
futures. Néanmoins, elle n'est pas pan-romane comme en témoigne la forme
roumaine, et elle n'a pu se produire qu'après le IIIe
s.
La diphtongue produit ensuite une voyelle arrondie antérieure fermée
u : oy > uoy. Cette forme se réduit en roman avec uy, à date pré-littéraire.
Cette forme explique les catalan et occitan vuit et vue. La présence d'une
diphtongue oi est attestée du XIe s. au
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La graphie avec h est faussement étymologique et elle remonte
en fait à Chrétien de Troyes au XIIe s.,
mais elle ne commence à l'emporter qu'en moyen français en éliminant
d'abord uit, puis oit. Elle devient générale en français classique.
Ce mot se comporte comme huis, huile, huître (voir la page qui leur est
consacrée).
Le caractère monosyllabique du mot et sa forme avec en fait une seule diphtongue a entraîné la production d'une disjonction. Cette disjonction a pris la forme v en catalan, occitan, franco-provençal et même en bourguignon veuit. On a alors affaire à la consonnification de la semi-voyelle initiale. Littré note :
Les formes de la disjonction se sont bien maintenues.La tendance actuelle est d'ailleurs à la disjonction. Mais cette forme a influencé aussi un et onze qui sont monosyllabiques. En revanche, la remarque de Littré sur la prononciation absolue est totalement périmée. Le t final a été rétabli sous l'influence de l'orthographe et de la liaison. |
IX novem
Le thème *new-(e)n se retrouve dans l'anglais nine, l'irlandais nóin, l'ordinal latin nōnus. Le grec ennéa a développé une voyelle épenthétique propre. La finale a subi l'influence de decem, puis de septem. On a affaire à une séparation totale entre les familles indo-européennes.
Les dérivés en non- en français sont savants. Les langues germaniques
ont privilégié une assimilation régressive, en revanche. 9 n'est pas lié à neuf, "nouveau". |
cat. : nou
cor. : novu esp. : nueve it. nove oc. : nòu port. : nove rom. : nov rou. : nouă Le roumain conserve la forme la plus proche du latin. Le mot n'a subi aucune diphtongaison (contrairement au français, à l'occitan, au catalan, à l'espagnol) et la semi-voyelle ne s'est pas consonnifiée (contrairement au français, à l'italien, à l'espagnol, au portugais). Enfin, la voyelle finale, un e caduc, est médiane. |
Le mot neuf provient de novem. Il suit les mêmes règles
que septem et decem, avec les apocopes successives de m, puis de e, à
l'époque romane.
Le passage de nove(m) à neuf est proprement français, il concerne toutes les occlusives en finale absolue comme bœuf, œuf. La vibrante sonore devient alors une fricative sourde et non une fricative sonore La forme a d'abord été écrite nof (1119). Toutefois la diphtongaison a dû exister en ancien français comme pour deux , une forme comme noef (XIIe s.) le montre. |
Il n'y a jamais eu de volonté de distinction d'homonyme
avec neuf issu de novus, ce qui est proprement étonnant... La prononciation fait entendre la consonne sonore en liaison dans neuf heures et neuf ans (consonne v), mais non dans d'autres groupes comme neuf enfants ou neuf élèves (consonne sourde f). La raison tient sans doute au fait que le changement d'articulation ancien a pu être maintenu dans des expressions fréquentes qui n'ont pas changé avec les siècles comme an et heure. En revanche, dans les autres groupes moins figés, la liaison s'est perdue alors que Meigret constatait encore au XVIe s. le changement de prononciation de f en v dans d'autres mots terminés par -if. |