Les formes latines | Du latin au français | Graphies et évolution moderne | |
X dĕcem Le nom du nombre dix repose sur un thème *dek-m en indo-européen. La nasale finale est absente de mots comme Decius, dec-ŭria, dec-iēs. La consonne représente un affixe que l'on retrouve dans decem-ber. |
Autres langues latines cat. : deu cor : dèce esp. : diez it. : dieci oc. : des port. : dez rom. : diesch roum. : zece Le k palatalisé s'est vocalisé en occitan, c'est le seul fait anomal en dehors du roumain. Le français n'a pas subi la même évolution que l'italien, l'espagnol et le corse où le yod issu de la palatale a été l'objet d'une métathèse : le yod est resté dans la même position et il assimile la voyelle précédente. Pour le roumain, les dentales t, d, s passent à ts, dz, ch devant e, i, ie à l'initiale (dicit = zice). |
Dès le IIe s. av. J.-C., la finale -m chute. Le groupe k + e produit un i de transition suite à une palatalisation. Le mot évolue vers une forme : dete, deitse, deidze. Au VIIe s., la voyelle finale subit une apocope en finale absolue. La réduction de la diphtongue se produit avant 1200 en finale et la consonne évolue vers une sourde : ditz, dis. | La notation de la dentale s par un x correspond à une volonté
de rattacher le mot à son origine latine. Le mot a d'abord été écrit
dis, diz (1050). Le x contient un c analogique de celui de decem et le
mot a subit l'influence de six où le x était présent en latin, sex. Au XIXe s., dix changeait d'articulation dans les nombres composés comme le note Littré : il se prononce comme z : diz' sept, diz' huit, diz' neuf. L'assimilation au s s'est faite depuis dans dix-sept. Il convient de remarquer que contrairement à cinq, six, sept, huit, neuf, le mot dix n'a jamais perdu sa consonne en finale absolue et lorsqu'il est seul, mais seulement devant consonne (dix francs prononcé di fran) |
XI undĕcim Le latin exprime les unités, puis les dizaines. Le radical de XI est altéré. La voyelle ĕ devient ĭ devant consonne simple : dĕcĭm. La forme *oin(o)-decim donne ūn-dĕcĭm. |
Autres langues latines : cat. : onze cor. : undici esp. : once it. : undici oc. : vounge port. onze rom. : endisch roum. : unsprezece L'occitan a dégagé une consonne expressive comme pour VIII. Ce fait est à rapporter directement à la production d'un h faussement étymologique en français et à la disjonction de huit ou onze. Le roumain reconstruit ses nombres à partir d'une base slave avec la préposition spre (super). L'italien ne connaît pas la syncope de la dernière syllabe au contraire des autres langues romanes. |
Le mot est un proparoxyton, accentué sur l'antépénultième syllabe, longue et entravée. Cela explique deux faits. Il y a syncope de la voyelle dans la pénultième, und(e)ci. La palatalisation de k au contact de i produit un groupe dz. Celui-ci s'assimile à la dentale précédente et le trait sonore de la consonne est conservé alors qu'il était assourdi dans dix. La voyelle u long, suivie d'une nasale n et d'une autre consonne, ne se nasalise qu'au XIVe s. Mais il faut supposer un passage antérieur de u long à o. La forme ne suit pas le modèle de lundi, mais celui des mots latins en -um qui étaient prononcés avec la nasale õ comme toton, dicton, rogaton. | La graphie unze a existé. On la trouve par exemple chez Rabelais. « Unze vingt perdrix, sept cens becasses. » Cette forme montre que la nasale était instable. Elle s'est fixée avec onze sur une voyelle plus facile à émettre car beaucoup moins fermée, la nasale un est en effet la plus rare en français et la plus tardive. La conservation du e caduc final non issu de a soulève des difficultés, il faut supposer que la citation des nombres a eu un effet de conservation. Le mot ne comporte pas d'h dite aspirée, mais il se comporte comme tel avec disjonction. Or on observe en occitan la production d'un v épenthétique (vounge) comparable à celui de huit (vue). Le phénomène de disjonction est donc fort ancien et il doit être dû à des raisons expressives pour un monosyllabe. |
XII duodecim La forme duǒ-decim est une réduction de duō-decim. Elle se contracte encore en latin populaire avec *dodeci par assimilation du u à la voyelle suivante. |
Autres langues latines : cat. : dotze cor. : dodeci esp. : doce it. : dodici oc. : douge port. : doze rom. : dudisch roum. doisprezece La syncope de la syllabe finale est encore visible en catalan qui présente avec l'occitan un état intermédiaire entre l'italien et le français ou l'espagnol. |
Le mot apparaît d'abord sous la forme duze (1080). Mais la forme doze existe aussi en ancien et moyen français. Le passage définitif de la prononciation doze à douze se fait au XVIIe s., après la querelle des ouïstes et des non-ouïstes. En syllabe initiale, la voyelle o pouvait être aussi prononcée ou. Les mots se sont répartis un peu au hasard : moutier et monastère, couleur et en anglais color, colour, Colbert et la couleuvre. L'absence de diphtongaison de o long tonique s'explique par le fait que la syllabe était entravée avec la palatale sonore suivante, contrairement à deux. | La conservation de la graphie avec z est purement analogique, on a pu écrire dose, douse, dosaine, dousaine. Les formes onze, quatorze, quinze nécessitaient un z pour conserver la notation de la sonore, à l'inverse de douze, treize, seize. |
XIII tredecim La consonne s disparaît devant les consonnes autres que r en latin archaïque : trēs-decim devient trē-decim. |
Autres langues latines : cat. : tretze cor. : tredici esp. : trece it. : tredici oc. : trege port. : treze rom. : tredisch roum. : treisprezece On voit ainsi que la présence du i en français ne doit strictement rien à une évolution phonétique. |
Le terme apparaît en 1165. Il est aussi écrit treze. Le mot est encore un proparoxyton, accentué sur l'antépénultième syllabe, ici l'initiale. La syllabe est doublement entravée. C'est pourquoi il n'y a pas eu de diphtongaison de la voyelle tonique. | La présence du i dans le mot est aberrante. Elle ne répond pas à une volonté de transcription phonologique, mais bien plutôt aux règles de l'analogie. En effet, le nombre trois a subi lui une diphtongaison car il était en position libre, cette diphtongaison s'est d'abord produite sous la forme aussi graphique treis avant d'évoluer à partir du XIIe s. vers trois. Il y a donc eu volonté de rattacher le mot à son radical. |
XIV quattuordecim Le mot se distingue par trois faits. Le premier élément est issu de *kw /otwor-(e)s. Le latin a conservé la labio-vélaire sourde notamment à l'initiale et il la notait avec la séquence qu-. Ensuite le latin a fait subir une syncope à la voyelle de la désinence. Enfin, il y a eu réduction de la séquence tw qui donnait lieu à une géminée, la consonne a assimilé la semi-consonne wé. Le latin populaire donne *quattordeci. |
Autres langues latines : cat. : catorze cor. : quatòrdeci esp. : catorce it. : quattordici oc. : quatorge port. : catorze rom. : quitordisch roum. : patrusprezece La réduction du groupe qu- ou kw en k est générale à l'Ouest (France, Espagne, Portugal), mais la conservation graphique de cette séquence en français s'explique peut-être par le fait qu'elle a été prononcée en français du Sud comme du Nord. |
Le mot est un proparoxyton accentué sur la deuxième syllabe. La seule évolution remarquable se produit en bas-latin et elle concerne la syllabe tonique : il y a syncope dans quatre issu de quattuor, mais cela ne se produit pas dans quatorze. La voyelle est en position entravée et elle ne change pas. Cette évolution est générale dans la Romania. En revanche, il y a simplification du groupe initial. Ce fait est constant en français pour la séquence qu-, le rétablissement de formes latines est d'origine savante. | La conservation de la séquence qu- est un fait constant pour tous les nombres. L'absence de géminée montre que la syllabe tonique s'est simplifiée à date pré-littéraire. |
XV quindecim Le mot quīn-decim résulte d'une simplification comme pour XI, XIII, XVI. On part d'une forme kwen(gw)-decim, plus proche de quinque. La sonore gw s'explique par la position entre deux sonores et donc par une attraction. |
Autres langues latines : cat. : quinze cor. : quindeci esp. : quince it. : quindici oc. : quinge port. : quinze rom. : quendisch roum. : cincisprezece La forme roumaine présente un exemple typique de réfection sur le terme signifiant cinq. |
Le mot est un proparoxyton, la syllabe accentuée est à l'initiale. Cette position aurait dû faire évoluer le mot de manière comparable à cinq (quinque) et cinquante (quinquaginta), avec une palatalisation de la consonne en bas-latin. La nasale résulte de l'évolution naturelle de i long tonique suivi d'un n et d'une consonne, elle est comparable à celle de vingt. | |
XVI sedecim La forme sē-decim est une contraction de *segz-decim qui vient de *sĕks-decim. La syncope du s est comparable à celle qui s'est exercée dans tredecim. Devant une consonne, s se sonorise, cela affecte la consonne précédente qui se sonorise aussi par attraction, enfin par compensation la voyelle brève s'allonge. |
Autres langues latines : cat. : setze cor. : sedeci esp. : diez y seis it. : sedici oc. : sege port. : dezesseis rom. : sedisch roum. : şausprezece C'est à cet endroit que les langues romanes divergent vraiment et je consacre une page à ce sujet, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf. |
Il s'agit encore et toujours d'un proparoxyton accentué sur l'initiale. La voyelle en position entravée ne subit aucune diphtongaison. | Les graphies seze (1155) et seise (1220) ont précédé seize (1250). Le i est purement graphique et analogique de six, comme c'est le cas de treize en rapport avec trois. L'emploi du z permet d'aligner le mot sur les autres unités de la dizaine. |
XVII septemdecim | L'abandon du terme latin est probablement due à l''influence des autres nombres suivants : XVIII, XIX. En castillan et en portugais, cette analogie s'est exercée jusqu'à XVI. Mais on peut aussi supposer une difficulté liée à la construction du mot qui n'avait pas subi de contraction. Une forme *septenze ou *septeze aurait été source de confusion. | La construction dix-sept est une contraction de dix et sept
(XVIe s.) exprimé dis e set au XIIe s. L'ordre dizaine et unité, par addition et non par soustraction, est calqué sur la forme des autres unités régulières de dizaines : viginti unus. Presque toutes les langues romanes ont suivi cet ordre, mais en ajoutant une conjonction et pour marquer l'addition : dix et sept. Certaines langues comme l'italien ont privilégié ac de même sens. |
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XVIII duodēvīgintī Le latin procédait par soustraction pour les deux derniers nombres des dizaines. C'est donc deux ôtés de vingt. |
La construction dix-huit est une contraction de dix et huit
(XVIe s.) exprimé dis e uit au XIIe s. On peut remarquer que contrairement à huit, dix-huit se construit toujours avec une liaison interne. |
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XIX undeviginti Il s'agit de un ôté de vingt. Le mode de soustraction romain explique l'écriture IX pour neuf, XIX pour dix-neuf. Mais cela ne s'applique pas à IV qui est une invention médiévale et qui s'est imposée fort tardivement, à l'époque classique, pour remplacer IIII. Ce mode de calcul original est directement lié au système des encoches qui donnent les signes romains (notamment l'X) pour les nombres et aussi à l'ordre unité-dizaine. |
La construction dix-neuf est une contraction de dix et neuf
(XVIe s.) exprimé dis e neuf au XIIe s. |
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XX vigintī | Autres langues latines : cat. : vint cor. : vinti esp. : veinte it. : venti oc. : vint port. : vinte rom. : vegn roum. : douăzeci |
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XXI viginti unus, unus et viginti À partir de XX, le latin possédait deux modes de numération. L'ordre dizaine-unité est plus récent et c'est celui qui donne naissance aux formes des langues romanes. |
Autres langues latines : cat. : vint-i-u cor. : vintunu esp. : veinte y uno it. : ventuno oc. : vint-e-un port. : vinte e um rom. : ventgin roum. : douăzeci şi unu |
Deux faits sont notables. Le basculement de l'ordre unité-dizaine est général dans les langues néo-latines, sauf en roumain. Le français a ensuite conservé l'emploi de et devant un, mais non devant les autres nombres. Cela doit tenir à la faiblesse du mot constitué d'une seule nasale qui peut se confondre avec d'autres terminaisons. |