L'affaire Quatrevingt-Treize

Ce titre de Victor Hugo mérite un temps d'arrêt. La graphie ne respecte pas les règles d'orthographe habituelles. Elle est de Victor Hugo seul. La forme était fixée avant même le début de la publication qui n'interviendra qu'en 1874 :
 
Hauteville-House, 27 février 1866.

V.H. à Henri de Péne, directeur du Gaulois.

Mon honorable et cher ancien ami, je suis bien sensible à votre lettre excellente. C'est une joie pour moi de renouer avec vous nos bonnes relations d'autrefois. Vos offres sont les plus splendides qui aient jamais été faites à un écrivain. Je vous donne acte de votre magnificence; mais la raison d'art, pour moi, passe avant tout, et le demi-million que vous m'offrez ne peut lui-même vaincre mon scrupule d'artiste. J'ai la conviction que les Travailleurs de la Mer ne sauraient se découper en feuilletons.

Ce mode de publication, excellent du reste et que je suis loin de répudier, conviendra peut-être au roman  Quatrevingt-treize, qui est le livre auquel je travaille maintenant.
 

Mais on trouve la forme déjà dans les Misérables de 1862 :
 
Livre deuxième - Le grand bourgeois
Chapitre I
Quatrevingt-dix ans et trente-deux dents
En fait, les graphies de quatre-vingts sont toutes unifiées par quatrevingt chez Hugo dans ce roman lorsque les éditeurs respectent ses choix.  On retrouve la même forme dans le poème « Quand tout un continent tremble » de Toute la lyre (posthume).
 
Calme, il prend l'ouragan dans sa serre, et le dompte;
Il est l'esprit humain il. vole, il plane, il monte,
Dans la foudre et dans la clarté,
Étendant tour à, tour sur l'énorme fournaise
L'aile quatrevingt-neuf, l'aile quatrevingt-treize,
Immense dans l'immensité.
Dans le livre III des Châtiments, poème « Querelles du sérail » (1853), on rencontre déjà la date :
 
Après ton océan, République française,
Où nos pères ont vu passer Quatrevingt-treize
Comme Léviathan ;
Après Danton, Saint-Just et Mirabeau, ces hommes,
Ces titans, aujourd'hui cette France où nous sommes
Contemple l'embryon,
L’infiniment petit, monstrueux et féroce,
Et, dans la goutte d'eau, les guerres du volvoce
Contre le vibrion !


La graphie quatrevingt-treize constitue donc l'exemple le plus visible de cet hugolisme, parce que c'est un titre de roman et qu'on signale alors l'exception, mais lorsqu'un éditeur ne modernise pas la graphie d'Hugo il conserve aussi cette particularité à laquelle l'auteur tenait beaucoup car il a dû aussi ferrailler pour imposer cette graphie. Le roman était annoncé dans la préface de l'Homme qui rit (1869), mais avec une graphie modifiée dans la première édition :
 

De l'Angleterre tout est grand, même ce qui n'est pas bon, même l'oligarchie. Le patriciat anglais, c'est le patriciat dans le sens absolu du mot. Pas de féodalité plus illustre, plus terrible et plus vivace. Disons-le, cette féodalité a été utile à ses heures. C'est en Angleterre que ce phénomène, la Seigneurie, veut être étudié, de même que c'est en France qu'il faut étudier ce phénomène, la Royauté.
Le vrai titre de ce livre serait l'Aristocratie. Un autre livre, qui suivra, pourra être intitulé la Monarchie. Et ces deux livres, s'il est donné à l'auteur d'achever ce travail, en précéderont et en amèneront un autre qui sera intitulé : Quatre-vingt-treize.

Hauteville-House, 1869.

Hugo devra imposer son titre – présent dans toute sa correspondance –  et les éditions suivantes présenteront bien sa graphie.


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