Le soir et la vêpre
Le soir provient de l'adverbe latin classique
sero « tard, trop tard ». Cet adverbe dérive de l'adjectif
sērus qui était formé à l'aide du suffixe
-ro (comme dans
carus, rarus, verus, sincerus, ruber, miser, sacer, superus, inferus,
dexter, liber, etc.). Le suffixe indiquait un état. Le terme est apparenté au sanskrit
sāyám (soir) et à l'irlandais
sia (long). C'est donc ce qui dure, ce qui se prolonge.
Le latin désignait le soir par
vesper qui possédait le même suffixe. Il existe encore dans le catalan
vespre, l'occitan
vèspre (en concurrence avec
sero), le français
vêpres pour l'office du soir, l'italien
vespro le soir (en concurrence avec
sera), l'anglais
vespers (office religieux), l'allemand
Vesper (idem). Le roumain (
seară ), le romanche (
sera) ont adopté seulement le mot issu de
sero. On a une division claire entre l'Orient et l'Occident. En revanche, l'espagnol et le portugais emploient seulement
tarde ou
tardinha (dérivé de
tarde, l'après-midi). Ce mot est issu de
tarde qui voulait dire « lentement » et « tard ». Le français se retrouve sur une ligne de partage et c'est confirmé par le catalan
tarda pour l'après-midi,
vespre pour le soir. Le français a spécialisé
vesper dans le sens religieux comme les langues germaniques, mais il a conservé
sero au contraire des langues ibériques.
Le mot vêpres
C'est la francisation du terme latin
vespræ, office religieux célébré le soir. Il apparaît en 1207 sous la forme
vespres et c'est déjà un pluriel comparable à
vigiliæ qui donne la veille pour la soirée passée en prières. En bas latin,
vespera désignait
déjà le temps du soir. Le mot indoeuropéen est à rapprocher du grec
εσπερα (le soir) qui donne aussi le nom du jardin des Hespérides,
lequel était situé à l'ouest ou l'occident, ce qui était l'autre sens
du nom grec pour le soir (cf. les termes
ponant et
occident). On le retrouve dans le gallois
ucher,
hwyr.
La forme au singulier a été employée dès 1080 au sens de soir. Elle a donné
bas vespre ou fin de soirée (1175),
bon vespre
ou bonsoir, au vespre de pour « au couchant de » (1636). Il était
encore en usage à l'époque classique, mais il s'est ensuite spécialisé
dans le domaine religieux (1636) pour désigner un temps de prières qui
s'est déplacé dans l'après-midi, après les offices du matin.
La pluralité des termes
On a trois racines latines qui désignent le même moment, celui qui vient le plus tard.
–
Vesper se retrouve en grec ancien (le grec moderne a
vradi), en catalan, en occitan avec
sero et en italien avec
sero. On le voit dans le tchèque
večer, le polonais
wieczór, le croate
veče, le bulgare et le russe
vetcher. On le voit encore dans le lituanien
vakaras, le letton
vakars.
–
Tarde est présent en espagnol, portugais, mais il a le sens d'après-midi pour le catalan comme en portugais.
–
Sero est attesté en français, occitan (avec
vesper), romanche, roumain.
Les langues germaniques développent une métaphore sur ce qui est vers (
ab) la fin (
end), allemand
Abend, anglais
evening, néerlandais
avond, danois
aften. En fait, elles offrent une même multiplicité de termes : islandais
kvöld, norvégien
aften ou
kveld, suédois
kväll.
La diversité des radicaux dans les mêmes familles de langues montre la
présence d'un tabou culturel : le soir évoque la fin de la journée et
donc aussi de la vie, il est lié au fait de se coucher (d'où le ponant
ou le couchant du soleil) mais aussi de se coucher pour mourir (et le
terme d'occident est alors fort parlant).
Ce tabou est contourné par l'emploi de termes imagés comme ce qui vient
tard, ce qui va vers la fin, et le terme propre n'est plus utilisé que
dans un sens rituel alors comme vêpres. La forme hypocoristique du
portugais,
tardinha, montre
d'ailleurs le même contournement, c'est la petite heure tardive, comme
s'il fallait l'apprivoiser. Il y a eu une division en trois de la
Romania tandis que la Germania ne scindait qu'en Scandinavie. Le
domaine slave est resté plus uni, mais le domaine celtique offre une
diversité étonnante de termes, le mot gaélique pour le soir est formé à
partir de midi tandis que le nom gallois conserve la racine de vesper.
On peut supposer que la supersition était plus largement gauloise et
germanique. Ce tabou culturel est similaire à celui qui s'exerce à
propos du mot
gauche.