Le tilde

Le nom du tilde vient du latin titulus, « titre ». Ce mot se rapportait en latin, entre autres, à une inscription portant un nom ou une fonction sous un tableau, un écriteau au cou d'un esclave, une étiquette. Le titre est donc aussi en ancien français la marque qu'un poinçonneur appose en chef sur une pièce de monnaie.

En français, le mot titre vient de la déformation ticlus (Appendix probi) et du nom classique titulus. Le premier mot a été employé par le peuple, le second par l'Église et le croisement des deux formes a donné title, puis titre par facilité articulatoire.

En revanche, l'espagnol a procédé à une métathèse du /t/ et du /l/ d'où tilde en espagnol populaire et titulo en espagnol savant. Le mot tilde désigne en espagnol l'inscription, et ainsi l'accent diacritique. Le verbe tildar veut dire « accentuer » et non pourvoir d'un tilde seulement.    

Le français a pris le nom du tilde en 1839. On parlait auparavant de barre et plus souvent de tiret comme chez Furetière. Le mot espagnol était masculin et il est passé en français ainsi, mais il a depuis changé de genre et est devenu la tilde à cause de sa terminaison si bien qu'une erreur fréquente des hispanistes consiste à féminiser le mot aussi en français.

Le signe tilde est issu de la barre supérieure que l'on apposait sur des lettres afin de marquer des lettres omises ou bien l'indication du passage à un multiplicateur pour les nombres. Par exemple, au lieu d'écrire comme, on abrégeait . Il existait d'autres marques abréviatives comme t`res pour terres (ce faux accent est sur le r). La barre couvrait en général les lettres qui devaient être lues comme un tout. Celle sur est courbe et elle surmonte aussi le c afin de prendre tout le mot comme une abréviation.

La fréquence de la présence d'une barre à la place de la lettre m (très souvent supprimée en finale, mais devenue répandue à cause de l'amuïssement des voyelles finales), et plus rarement de la lettre n, va amener les langues latines à l'employer pour noter la nasalisation.

En français, le mot hominem est passé à on et à home, mais dans ce deuxième mot la voyelle est nasalisé. La graphie hõme sera éliminée par une nouvelle convention qui consiste à doubler la consonne afin de noter d'une part la voyelle nasale, d'autre part la consonne nasale. Cela donne les géminées dans comme, femme, les adverbes en -amment et -emment. Le tilde sera toutefois employé encore du XVIe au XVIIIe s. partiellement pour noter la voyelle nasale.

Le résultat est différent en portugais. La graphie ão note une diphtongue nasalisée qui corresponde en gros à /ã/ en français, mais avec la production d'un /w/, õe dans estações est plus proche de /o/ (la graphie Camoëns est absurde car ce n'est pas le /e/ qui est nasalisé et ce n'est pas une voyelle distincte). Ainsi São Tome doit se prononcer comme san tom et non comme sa-o tomé. Il en va de même pour Saõ Paolo. Le tilde portugais est souvent omis en français alors qu'il est diacritique comme le n en français. Jose Manuel Durão (Durand) Barroso en sait quelque chose. Quelques mots portugais sont entrés dans la langue comme sertão.

En espagnol, le tilde a pris la valeur d'une mouillure par l'évolution propre des nasales espagnoles. Le français a adopté d'abord la séquence ign (Montaigne), puis gn (montagne) ; l'occitan, le portugais, la séquence nh. La consonne /ñ/ a donc été écrite différemment, mais elle était identique phonétiquement avant que le français bascule à /nj/ voire /ni/.  Le français a transcrit certains mots espagnols avec sa convention (duègne, dueña), tandis qu'il a maintenu le tilde dans des titres comme doña, señor. Un seul mot lemmatisé possède ce tilde cañon, aussi écrit canyon à l'américaine.   

Le signe exotique et le plus souvent espagnol en français est en fait un signe français qui peut se comprendre à l'aide du portugais. L'espagnol l'a aussi transmis au navajo et au basque.

Il est parfois utilisé sur a, i, o et u en estonien. Le vietnamien l'emploie aussi pour le ton ngã sur les voyelles a, e, i, o, u, y.

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