Traire, braire et raire
On considère que le verbe traire et ses dérivés (extraire, soustraire, distraire, abstraire) comme le verbe braire sont défectifs. Ces verbes ne se conjuguent pas en effet au passé simple, ni à l'imparfait du subjonctif. Pourtant, ces temps ont existé en ancien français.
Historique
Le verbe latin classique trahere « tirer, traîner » a donné naissance au latin populaire *tragere sous l'influence du verbe agere « agir ». Les deux verbes avaient un supin de forme identique tractum et actum. Le participe passé classique tractus donnera naissance à des formations savantes comme contracter (1370), détracter (1372), tracter (1956) et les noms ou adjectifs correspondants. Ces verbes plus réguliers apparaissent dès le moyen français. Dans ces cas, le substantif est parfois antérieur au verbe. Par évolution populaire, le participe passé donnera aussi les verbes tracer (tracier, 1120) et traiter (traitier de tractare, 1120). Le participe passé français trait(e) rentrera aussi dans des verbes disparus : attraire ou « faire venir » (1080) d'où attrait, portraire ou « dessiner » (1130, vieilli au XVIIe s.) d'où portrait, retraire « raconter, contracter, retirer » (1080) d'où retrait, retraite et finalement retraiter. La famille est donc riche, mais certains verbes ont été remplacés par des verbes plus réguliers : attraire par attirer, portraire par tirer et par portraiturer (1540). Outre les dérivés des participes passés (maltraiter), les verbes de cette famille ont été victimes de la concurrence du verbe tirer d'origine obscure : soutirer, attirer, étirer, retirer.
La forme *tragere explique l'infinitif : à l'intervocalique et en position post-tonique g est passé à yod avant le IVe s. par relâchement de l'occlusive. C'est ainsi que le verbe traire a rejoint des verbes comme faire (facere), taire (tacere), plaire (placere). Le verbe trahere a-t-il pu donner trahir ? Non, celui-ci vient en fait de *tradire, forme populaire de tradere « rapporter des propos ».
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Voici un petit exercice pratique : à l'aide de dix mots de la famille de traire et de cette illustration, composer un bref texte descriptif sur la condition des vaches dans les bureaux, vous pourrez vous référer à votre expérience personnelle ou à des exemples littéraires, cinématographiques...Le passé simple
Le parfait latin était traxi, traxis, traxit... Le passé simple en ancien français alterne formes faibles et fortes, les formes faibles sont accentuées sur la désinence.
fortes faibles trais traisis traist traisimes traisistes traistrent On voit l'inconvénient en comparant au présent de l'indicatif : trai, trais, trait, traions, traiez, traient. Les formes de presque toutes ces personnes sont des réfections analogiques sur les 2e et 3e personnes, ainsi que sur le radical de l'infinitif. Il y eut ensuite une homonymie surtout pour les personnes 1 et 3 des deux temps, après l'amuissement des finales. Une réfection aurait été possible à partir de la 2e personne sur le modèle sigmatique de cousis, mais la plupart des passés sigmatiques d'ancien français ont été refaits (ceinsis, joinsis, masis de mettre, morsis, plainsis, escressis, solsis de soudre) ou leurs verbes sont morts (arsis de ardre, escosis de escoudre « secouer », semonsis de semondre). Le passé simple aurait eu alors un radical irrégulier et rare.
Voici quelques exemples médiévaux tirés de Littré, les phrases sont toutes au passé :
Lors s'armerent tuit par l'ost [tous dans l'armée] chevalier et serjant, et trait chascuns à sa bataille, Villehardouin.L'évolution du sensCil Alexis print l'empereour son frere ; si lui traist les iex [yeux] de la teste, idem.
Lors [je] trais une aiguille d'argent D'un aguiller mignot et gent, Si pris l'aguille à enfiler, Roman de la rose.
Le clerc tendi s'arbalestre, et trait, et en feri [frappe ] l'un parmi le cuer, Joinville.
Le verbe traire était polysémique en ancien français comme en latin. Il reste des traces de ces sens dans les acceptions de trait (flèche, pointe verbale, ligne de dessin, forme de visage), de traite (trajet, somme d'argent, liquide sorti d'un contenant, commerce). Le verbe s'est spécialisé au XVIe s. dans le sens de tirer le lait d'un ruminant, mais ce sens existait dès le XIIe s. Le verbe a éliminé l'ancien français moudre (1170), du latin mulgere. Ce dernier était devenu homonyme de moudre (du latin molere) au sens de tourner la meule, réduire en poudre les grains. Le verbe traire a donc éliminé un autre verbe pour des raisons d'efficacité de la langue, mais ce faisant il a été évincé lui-même dans la plupart de ses sens pour d'autres raisons économiques, non du fait d'une homonymie, mais d'une difficulté de conjugaison. On a un exemple de recomposition de la langue par glissements, le verbe devenu plus spécialisé ne peut plus soutenir ses nombreux dérivés qui meurent (attraire, portraire) ou qui demeurent rares (abstraire).
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Cette illustration constitue une excellente transition pour la suite de la page. Vous étudierez
en particulier les onomatopées : comment justifieriez-vous le changement de consonantisme
et de ponctuation d'un phylactère à l'autre ?
Braire
Le latin populaire *bragere est sans doute d'origine onomatopéique, même si l'on retrouve un radical indoeuropéen. Il existe à partir du même étymon le verbe brailler dérivé du latin *bragulare, diminutif du précédent. Le verbe signifiait d'abord « crier » et il s'est spécialisé ensuite pour le cri de l'âne, au XVIe s. Le verbe brailler lui est devenu plus général. Braire n'a pas de passé simple et d'imparfait du subjonctif.
Raire
Ce verbe possède deux infinitifs et deux conjugaisons : raire et réer. La deuxième se forme comme créer, gréer. La première suit les principes de braire et traire. Il se dit pour les cris du cerf, du chevreuil et de leurs femelles ou petits. Le verbe apparaît au XIIIe s. au sens de « crier, grincer » à partir du bas latin dans le sens de « beugler, mugir » sans doute d'origine expressive : « Maiz cil qui ne set vieler fait raire la viele ». Il se spécialise au XIVe s. en vénerie. Le terme est rare.