La lettre û


1. Elle distingue des homonymes grammaticaux

C'est le cas des participes passés suivants, au masculin singulier seulement.
–- Crû (croître, du latin cresco) et cru (croire, du latin credo) ; mais décroître fait décru. Les substantifs sont plus complexes : un bon cru et un recrû de vigne, une décrue des eaux. Le nom recrû possède la même origine que l'adjectif recru de fatigue, à partir de recroître qui donne ensuite recruter.
–- (devoir) et du préposition ou article contracté. Le substantif reste un, l'adjectif indu n'est pas modifié.
(mouvoir).
L'Académie en 1694 écrivait encore j'ai pû, j'ai chû. L'accent notait des voyelles longues issues d'ancien hiatus.

2. Elle note la disparition d'un e caduc

Dans certains adverbes en -ment formés sur le féminin, l'accent circonflexe remplace le e.
Ces adverbes sont : assidûment, congrûment, continûment, crûment (sur crue), drûment, dûment (de dû, due, verbe devoir), goulûment, incongrûment, indûment (formé sur indu, indue), nûment (de nue).

Les autres adverbes en -ument s'écrivent sans accent : ambigument, éperdument...   Mais à l'origine ils étaient écrits : ingenûment, esperdûment. La suppression du e caduc avait entraîné l'allongement de la voyelle.


3. Elle entre dans la conjugaison du passé simple et du subjonctif imparfait

– Au passé simple à la deuxième personne du pluriel (eûtes, fûtes, lûtes, dûtes) de verbes irréguliers. L'accent est étymologique (habuistis en latin), il correspond à l'allongement dû à l'amuïssement du -s.
– Au passé simple à la première personne du pluriel (eûmes, etc.) Cet accent est analogique de la personne précédente.
– Au subjonctif imparfait et à la troisième personne du singulier (eût) afin de distinguer ce mode orthographiquement du passé simple. Un allongement emphatique était aussi possible afin de marquer cette personne à l'oral.  


4. Voici une liste d'homonymes distingués par l'accent circonflexe

Débucher n'a pas de rapport avec bûcher. Le débucher du bois. (v.tr.dir.) On débuche un lièvre. Pourtant le verbe dérive de busche dit pour bois et donc est de la même famille que bûche. La raison, c'est qu'en 1740 l'Académie a décidé de conserver l'accent circonflexe pour les mots issus du même radical simple : bûchette, bûcher, embûche. Mais elle néglige le verbe qui pouvait avoir un u long avant syllabe atone (il embuche), un u bref avant syllabe tonique (il embuchait).

Déjeuner (v. intr. et n. c.) n'a pas d'accent contrairement à jeûner formé lui aussi sur jeûne. L'adjectif et le substantif jeune du latin *jovenem s'écrivent différemment du jeûne issu du verbe junare et qui donne jeûner.

Il fut (être, passé simple), il fût (subjonctif imparfait), un fût de canon, de vin. Le fût est différent des mots de la même famille : futaie ou bois de hauts arbres, futaille ou tonneau. La raison tient à l'accentuation des mots.

Mur vient de murus et mûr(e) de maturus. La famille a été alignée.

Sur préposition est différent de sûr(e), securus. Les mots de la famille de ce dernier ne conservent pas tous leur accent : sûreté, assurer

Pour quelques mots l'accent ne sert pas de discriminant orthographique, mais de longueur : brûler, flûte (anciennement flaüter, donc avec un u long), voûte, voûté, goût (et sa famille), août, soûl (ancien hiatus saoul). On peut acccessoirement retrouver parfois un s étymologique comme dans goût et gustatif.

5. Un mot se distingue

Piqûre a d'abord été piqueure (1606). Mais Richelet l'a écrit piquûre en 1680. L'ancienne graphie avec un eu prononcé /y/ permettait de faire le lien avec piquer. La suppression du e caduc aurait dû entraîner picure comme picorer, picotin, picottement. Toutefois, l'Académie en 1740 conserve le lien avec le verbe, supprime le premier u lié à q mais jugé redondant. L'accent est maintenu non pour la notation du e caduc comme chez Richelet, mais pour une question de longueur comme le note Féraud en 1787 encore.

6. Les rectifications orthographiques de 1990

Elles autorisent de se passer de l'accent circonflexe sur u, sauf pour les formes verbales (il fût, nous fûmes, il a dû), les homonymes (sûr, mûr, jeûne).


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