Les verbes défectifs,
ou les reliques de l'ancien français – B



   

Bailler
Il convient de ne pas confondre le verbe bailler avec ses homonymes bâiller « ouvrir convulsivement la bouche » et bayer (voir plus bas).
Il est attesté au XIe s. dans le sens « porter, apporter » en conservant le sens latin de bajulare, il signifiait aussi « donner » jusqu'au XVIIe s., depuis il est littéraire. Ce verbe n'est plus employé aujourd'hui que dans l'expression Vous me la baillez belle ou Vous me la baillez bonne, « chercher à faire accroire ». Une expression n'a pas survécu malheureusement au sens de « faire de bonnes
promesses » : « Napoléon ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse. » (Paul-Louis Courier).
Mais à la Guadeloupe, il est encore employé. Les noms dérivés bail, bailleur ou bailleresse sont en revanche encore usités. On disait en pratique bailler à ferme, bailler par contrat pour « donner, mettre la main ». Ces termes proviennent de ce sens.

Barguigner
Verbe intransitif. Du XIIe s. au sens de « marchander ». Vient du francique *borgonjan croisé avec *waidannjan « gagner » et apprenté à l'allemand borgen « emprunter ». Attesté du XIIe au XVIIe s. dans le sens de « faire du commerce », « marchander ». D'où l'extension de sens : hésiter, avoir de la peine à se déterminer.
Ne s'emploie plus qu'à l'infinitif dans l'expression « sans barguigner ». « À quoi bon tant barguigner et tant tourner autour du pot ? » (Molière, Monsieur de Pourceaugnac.) Littré le donne comme un verbe conjugué avec avoir encore en 1878.
En revanche, au Canada, il est resté vivant sous l'influence de l'anglais to bargain, « négocier, marchander ». Les noms barguignage (« marchandage »), barguigneur (« marchandeur ») ou barguiguigneuse en sont dérivés.

Bayer
    C'est une autre forme du verbe béer, traité plus bas. Il est parfois employé en littérature avec le sens archaïque d'ouvrir. Il est issu du latin populaire badare, qui a fourni le doublet bader dialectal et badaud.
Il n'est plus utilisé qu'à l'infinitif dans l'expression bayer aux corneilles qui signifie : ouvrir bêtement la bouche et regarder en l'air. Il faut noter que selon certains auteurs bayer conserverait toute sa conjugaison régulière contrairement aux autres verbes du modèle payer : je baye et non je baie. Littré écrivait lui-même :
« (Il faut se garder de le confondre avec bâiller, dont il se distingue par l'a bref et par l'absence des ll mouillées plusieurs prononcent béié, ce qui vaudrait mieux), je baye, tu bayes, il baye ou il baie, nous bayons, vous bayez, ils bayent ou ils baient ; je bayais, nous bayions, vous bayiez, ils bayaient ; je bayai ; je bayerai, baierai ou baîrai ; je bayerais, baierais ou baîrais ; baye, bayez ; que je baye, que nous bayions, que vous bayiez, qu'ils bayent ; que je bayasse ; bayant ; bayé. »
Et même l'Académie française écrivait dans l'édition de 1932 : « (Il se conjugue comme Balayer.) » L'affaire est dite !    La confusion graphique est en fait ancienne, Littré écrit encore :

« Ces deux verbes en effet ont été souvent confondus, et le sont encore. La Fontaine a dit : C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères, Fabl. II, 13 ; et : Le nouveau roi bâille après la finance ; Lui-même y court pour n'être pas trompé, ID. ib. VI, 6. Les éditions données par la Fontaine lui même ont baailler (c'est-à-dire bâiller) ; mais c'est une faute de sa part (faute qui prouve qu'il prononçait ba-ier et non bé-ier), et que des éditeurs subséquents ont corrigée avec raison. On lit de même dans St-Simon : Les tables sans nombre et à tous les moments servies ; jusqu'aux bâilleurs les plus inconnus, tout était invité, retenu, 60, 2. Lisez bayeurs, et voy. ce mot. »

 
Béer
De baer (1121) du latin populaire *batare « bâiller ».
Ce verbe n'est plus employé qu'aux participes, à l'imparfait béait, et à l'infinitif.
Béant(e) participe présent est utilisé comme adjectif qualificatif. Il signifie grand ouvert.
Bée : participe passé existe encore dans les expressions bouche bée et gueule bée : tenir la bouche ouverte en regardant quelque chose et par analogie demeuré frappé de stupeur. Une erreur fréquente, sans doute due à la proximité phonétique de béat et de l'absence de paroles, consiste à croire que cela veut dire bouche close, c'est-à-dire tout le contraire. À noter l'emploi très particulier de bée dans des tonneaux à gueules bées : défoncés sur un côté.
Il existe des emplois littéraires réguliers de ce verbe : il bée (présent de l'indicatif), il béa (passé simple).

Bienvenir

Verbe transitif indirect. Ne s'emploie qu'à l'infinitif et après faire. Se faire bienvenir de quelqu'un (1867) : faire que l'on soit bien accueilli. On écrit aussi bien venir, bien venu.
Ce verbe est en fait tardif, il est attesté au XVIe s. et il dérive de l'exclamation, de l'adjectif composé bienvenu. L'expression bienvenue date du XIIIe s. et elle est un calque du flamand ou de l'anglais, on la trouve dans des textes picards où l'on souhaite la willecome (1190), où on dit que quelqu'un est willecome. L'ordre des mots avec un dérivé verbal est germanique.

Bouffir

Attesté vers 1265, c'est une variante de bouffer, qui lui remonte à 1160 et provient de *buff-, onomatopée. désignant ce qui est gonflé. Notons que l'adjectif verbal leur est encore antérieur... boffi est attesté environ après 1150 de... bouffir. Il est donc difficile de dire quelle forme était la plus régulière ou vivante !
Verbe transitif direct. Rendre enflé en parlant des chairs. Verbe transitif indirect. Le visage lui bouffit.
Verbe pronominal. Devenir bouffi.
Employé comme adjectif. Bouffant. Employé comme adjectif ou substantif plaisant : Tu l'as dit, bouffi ! par croisement avec le buffo ou bouffon. L'adjectif est le plus vivant sous la forme bouffi de (vanité, d'orgueil, de satisfaction) ou isolément pour signifier quelque chose d'ampoulé, gonflé, outré.
La bouffissure (1582), le bouffissage (XVIe s.) sont de la même famille, mais le bouffon vient lui de l'italien à partir de la même onomatopée qui a aussi servi à désigner des crapauds. Quant à la bouffe, si c'est de l'opéra, il s'agit de l'italien opera buffa ou « plaisant » et si c'est la nourriture, c'est dérivé du français bouffer.

Braire

Verbe intransitif (normalement !) Ce verbe s'applique au cri de l'âne et n'est donc employé qu'à la troisième personne. Mais peut-être qu'une traduction d'Apulée nous prouvera le contraire... Toujours est-il qu'Anatole France a écrit : « Je brayais des blasphèmes » (Vu d'en haut). peut-être par analogie avec brailler.
Il provient du latin populaire *bragere, p-ê d'origine gauloise, à partir d'un radical onomatopéique *brag-. On le trouve sous sa forme actuelle en 1640 au sens de « crier, pleurer », mais il est attesté dès 1080. On trouve donc :

 
Indicatif
présent
Indicatif
futur simple
Conditionnel présent
il, elle brait
ils, elles braient
ll, elle braira
ils, elles brairont 
il, elle brairait
ils, elles brairaient 


Bruire

Verbe intransitif. Rendre un son confus. Il n'est employé qu'à la troisième personne et le sujet est en général un inanimé, mais cela peut s'appliquer à des corps humains, des activités humaines, ce qui les tend à les réifier.
Ce verbe est concurrencé par bruisser, issu du dérivé bruissement . La conjugaison en -iss, qui s'est imposée au XVIIe siècle, a plus ou moins aligné ce verbe sur ceux du deuxième groupe, mais sans succès. L'ancien participe présent bruyant n'est plus employé que comme adjectif et s'est éloigné de son sens originel pour vivre de manière autonome. Le verbe attesté au XIIe s. provient du latin populaire *brugere, par croisement de la forme classique rugire « rugir » et de la forme populaire bragere qui a donné braire.

 
Indicatif
présent
Indicatif
imparfait
Indicatif
passé simple
Subjonctif présent Participe
présent
il, elle bruit

ils, elles bruissent 

il, elle bruissait (bruyait)
ils, elles bruissaient (bruyaient) 
bruissa (rare et contestable)



il, elle bruisse

ils, elles bruissent 

bruissant (bruyant)

 


 
Buer
Le verbe buer en ancien français signifiait « faire la lessive ». Il est issu du francique *bukon, que l'on reconnaît dans l'allemand bauchen. Le participe passé substantivé désignait au XIIIe siècle la lessive ; au XVIe siècle, il prit le sens de vapeur d'eau. Dans la même famille, nous trouvons buanderie et embué, embuer comme verbe complet.

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