Le chou



Le chou est célèbre à divers titres. Il fait partie de la liste des sept et plus exceptions que tout écolier récite par cœur : chou, genou, hibou... On le plante et le chante encore à la mode de chez nous. C'est le doux nom donné aux personnes aimées, les élèves se plaignent souvent des chouchoux/s. Il a été de tous les repas en Occident avant les Grandes Découvertes. Le chou fait partie intégrante du patrimoine français et européen

Le nom français du chou (1175) est issu du latin caulis, tige des plantes. La racine indoeuropéenne *kaul- se rapportait à l'idée de creux, Elle se retrouve dans le grec kaulos, tige creuse, tige. Cette idée de vide se retrouve en anglais dans hole, trou, hollow, creux géologique. Elle est présente en allemand dans hohl, creux, höhlen, creuser, Höhle, cavité. Le néerlandais utilise hol, creux,  hol, tanière ou cavité, holte, cavité, uithollen, évider. Phonétiquement et sémantiquement, les termes sont proches. Le chou est fait pour combler les petits creux. Cette évolution identique dans des langues germaniques montre que celles-ci ont emprunté aux langues romanes le terme qui sert à désigner le chou. L'absence de /k/ initial remplacé par une autre consonne montre que la racine germanique rattachée à l'idée de creux *kaul- s'était spécialisée dans un sens non agricole à date préhistorique [la disparition du /k/ germanique est identique à celle de heart, français coeur, latin cardio] alors qu'elle évoluait pour désigner des tiges en latin et en grec. Le germanique a donc emprunté au latin, ou par l'intermédiaire du gallo-romain, un terme pour désigner la plante que les Germains ne cultivaient pas encore.


Un chou est dissimulé dans le paysage.

Le mot latin désignait aussi par métaphore un tuyau de plume et le pénis chez Celse. Son diminutif cauliculus, petit chou, était une aussi une nervure ou un rinceau. Le mot français est donc apparenté à l'espagnol col, à l'italien cavolo, au portugais couve. Le terme italien est issu du diminutif et non du mot premier. L'espagnol possède deux mots pour le chou-fleur : coliflor qui montre son origine latine et qui est conforme à l'espagnol, mais aussi chufleur qui atteste de l'influence française dans le commerce. 

L'anglais a  emprunté le terme cole au latin. Le mot est d'abord col en moyen anglais et  cal en vieil anglais. En revanche, le cauliflower ou chou-fleur montre un emprunt au latin médiéval, avec une altération de cauliflos, -oris en flower par influence du français.  Le néerlandais possède kool, chou, bloemkool, chou-fleur par calque sémantique (bloem est la fleur). L'allemand utilise Kohl, le chou,  Blumenkohl, le chou-fleur.


Portrait d'un homme aux oreilles en forme de feuilles de chou.

Le chou peut aussi être rouge ou blanc, et ses désignations dans les différentes langues européennes suivent ces couleurs, sauf en espagnol où il est un lombarda parce que le légume poussait surtout en Italie. En revanche, le chou de Bruxelles est un Brussels sprouts en anglais, un spruitkool en néerlandais, un Rosenkohl en allemand, un chou à la forme de rose. L'anglais et le néeerlandais se réfèrent à une racine verbale signifiant pousser, croître. L'espagnol se distingue encore en le nommant par le pays qui en faisait le commerce maritime bretón. Il est paradoxal que l'Espagne ait occupé la Belgique et ait nommé le chou de Bruxelles différemment du portugais ou du français.

 
Le Concombre masqué et son ami Chourave sont confrontés à
l'énigme de la disparition du chou de Bruxelles en Espagne.

Avant de nous occuper vraiment du chou anglais, il convient de regarder les choux français.  Le nom varie : cabus en wallon, jote dans l'Ouest, cholet en picard. Le terme wallon est en fait une métaphore qui ne doit rien à caulis latin. Il s'agit en réalité de la tête. Or l'anglais a emprunté un terme régional, la caboche, en moyen anglais afin d'en faire le terme usuel pour le chou : cabbage. L'origine du mot caboche en normanno-picard est elle-même assez obscure, mais elle semble présenter un préfixe péjoratif *ca- que l'on retrouve dans camus, camard, cahute. La tête est parfois désigné par une métaphore sur un légume, cette fois la tête sert de métaphore au légume.

La choucroute est aussi un objet d'étonnement. L'allemand connaît deux termes : Sauerkohl et Sauerkraut, soit le chou mariné et l'herbe marinée. Le second est le plus fréquent. Cependant, le mot a subi des changements en français :  l'herbe (Kraut) est devenue une croûte par mauvaise lecture ou écoute et surtout par un manque d'observation , cherchez donc la croûte dans la choucroute !  Mais où est donc le chou ? ont pu se demander les Français. En fait, ils avaient mal compris les Suisses romands qui disaient surcrute (1699) ou surcote, et les Alsaciens qui prononçaient surkrut, de manière régionale. La présence de deux r à la suite a favorisé l'assimilation du premier r au deuxième. Puisque le chou avait disparu, on l'a remis à ce qui semblait sa place et le mot chou-croute (1768) veut donc dire chou-herbe ou si l'on veut deux fois chou. Les Anglais – qui ne font jamais confiance aux Français – sont allés se fournir directement en Allemagne et on adopté sauerkraut.  Les Néerlandais ont adapté le plat à la sauce locale zuurkool. Mais on peut admirer l'expansion de la cuisine alsacienne au Portugal qui ne connaît que la chucrute.


    Cette image ne semble pas du tout illustrer ce qu'est un chou, vous dites-vous.
   Tout au  contraire ! Il s'agit d'un extrait de Bébé Cyanure par Jean-Claude Forest
   publiée dans l'éphémère magazine Chouchou au cours des années soixante.


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