Pédagol
 
Le texte de Raymond Queneau est d'une criante actualité, il est un outil pédagogique susceptible de faire prendre conscience de la nature des incivilités et de ce qu'est la norme, c'est pourquoi il convient de l'aborder dans une perspective textuelle, une démarche inductive, une problématisation des effets de langage afin de mieux le lier à l'éducation civique de tout citoyen sans a priori sur les pré-requis culturels.

1) On sera attentif à l'articulation entre l'énonciation à la première personne de la production discursive et la focalisation homodiégétique par laquelle le narrateur interne témoin des scènes s'implique ou non dans la trame discursive afin de traduire sa propre subjectivité par un jeu subtil de dénotation-connotation.

2) Les apprenants commenceront par situer le texte dans la typologie opératoire (le narratif, le descriptif) et les genres de discours scripturaux (le dialogisme éventuel). Ils repéreront deux séquences narratives distinctes : l'une dans l'autobus, l'autre gare Saint-Lazare. Afin de mieux les identifier, ils donneront un titre à chacune des parties qu'ils auront délimité. On pourra compléter ce travail dans une perspective de transversalité des savoirs en leur demandant de reporter sur un plan des bus de Paris les lieux de l'action et de tracer l'itinéraire parcouru. On s'interrogera alors sur le lien entre fiction et réalité, on se posera la question : « Le référent assure-t-il la vraisemblance ou l'authenticité ? » Ce débat pourra donner lieu à une évaluation sommative de l'oral. On conclura sur la part du biographique dans ces deux épisodes qui ont pu être observés par Queneau.

3) À ce niveau de la lecture analytique, il convient de leur faire appréhender le rythme du récit. Pour les aider, on aura recours à un axe temporel sur lequel ils reporteront les repères temporels, puis ils les classeront dans un tableau à colonnes en repères absolus et relatifs. Ainsi ils aborderont l'aspect non déictique dans le narratif (un jour) qui conditionne un repère absolu (vers midi), la notion d'ellipse narrative (deux heures plus tard). On complètera cette démarche inductive en leur demandant combien de temps durent les scènes après leur avoir fait chronométer leur lecture cursive, cela les conduira à se poser la question de la différence entre temps de l'histoire et temps du récit.

4) Il convient à présent de leur demander de dresser la liste des personnages (le narrateur, le jeune homme, son voisin, son ami). On établira un croisement avec l'acquis de l'objectif opérationnel 2 sur la topographie en leur demandant de cocher dans un tableau fourni quels sont les personnages présents dans chacun des lieux (A : le narrateur, le jeune homme, le voisin : B : les mêmes moins le voisin et plus l'ami). Durant une seconde étape, on leur demandera de relever les termes désignant chacun des personnages qu'ils soient anaphoriques ou déictiques. De la sorte, les apprenants approfondiront la notion de progression thématique, on réactivera leurs savoirs sur les progressions à thème constant, enchaîné ou éclaté, et on s'interrogera sur la contradiction entre un texte narratif à thème éclaté qui demeure constant, ce qui conduira à se poser la question du narrateur interne, seul lien entre les épisodes.

5) On pourra alors demander à ce niveau d'établir un schéma narratif de l'énoncé : situation initiale (le bus bondé à une heure de pointe), événement perturbateur (le jeune homme se plaint qu'on lui marche sur les pieds), événement équilibrant (il trouve une place libre), ellipse, événement perturbateur (le col du jeune homme est trop ouvert). Cela doit déboucher sur une production écrite en trois lignes : « Racontez la fin de l'histoire ».

    Ce travail en atelier sera croisé avec celui de plusieurs groupes. L'un travaillera sur les actants du récit : le narrateur a une mission, se rendre dans un lieu précis, qui lui a confié cette mission ? qui en est le destinateur et qui le destinataire ? Il bénéficie d'un adjuvant (l'autobus, ses pieds). Il affronte des opposants : l'heure d'affluence, la chaleur estivale, la foule, le jeune homme qui provoque une altercation avec son voisin. L'évaluation formative du travail consistera dans la formulation écrite de ce qui a motivé le héros et afin d'aider les élèves on leur confiera comme aide un pré-générique de « Mission impossible ». Ils travailleront ainsi sur la définition du héros : espion, policier, témoin passif, extraterrestre venu observer les moeurs de la Terre, amoureux qui se distrait en attendant sa belle.

    Les autres groupes étudieront les possibles narratifs à partir du travail sur le temps du récit. Il formulera dans une démarche hypothético-déductive ce qui aurait pu se passer et dressera un arbre des choix offerts au héros-narrateur :
-- L'autobus est plein, le contrôleur le refuse. Il continue à pied et rencontre le jeune homme gare Saint-Lazare.
-- L'altercation tourne mal. Une bagarre éclate. Plusieurs choix :
* Le jeune homme sort un couteau et tue son voisin.
* Le jeune homme lance son poing, saute à l'arrêt, le narrateur conduit le voisin dans une pharmacie et il est retardé car il doit témoigner.
* Le contrôleur arrive, s'interpose et vide le jeune homme.
* Le jeune homme tue le contrôleur, puis des passagers, puis le narrateur (qui raconte tout d'outre-tombe). C'était un tueur en série psychopathe.
* Le jeune homme (qui était un extraterrestre dissimulant ses tentacules dans son chapeau) sort un rayon laser et fait disparaître le voisin, tout en criant « Téléportation ! Énergie ! » Il s'évanouit dans un halo.
* Le voisin était un vampire dissimulé derrière des lunettes noires, il mord le jeune homme, suce son sang et se transforme en chauve-souris.
On prendra bien garde à ne pas se montrer directif face à toutes ces hypothèses et d'autres qui témoignent des acquis culturels des apprenants sur lesquels il convient de s'appuyer.

6) Après cette longue séance, il faudra revenir au découpage séquentiel de l'énoncé. On demandera donc au groupe d'apprenants d'isoler des séquences descriptives au sein du narratif. Puis on s'intéressera aux motivations du descriptif et à son articulation dans un discours complexe. On leur demandera de tracer des flèches entre les définitions proposées et les énoncés proprement dit, puis de justifier leurs réponses :
-- Descriptif au service de l'explicatif (midi, bus plein, la plate-forme parce que les places sont prises, la plate-forme comme lieu de passage et donc d'écrasement des pieds).
-- Descriptif contenant des implicites du discours et connotés dans une perspective socio-historique (le cou, le chapeau, le pardessus). On fournira des documents iconographiques pour étayer les hypothèses.
-- Descriptif en contradiction avec la diégèse précédente (l'ami qui donne des conseils vestimentaires alors que le jeune homme affichait un non-conformisme et qu'il se montrait assez rebelle avec les autres).
Cette table ronde devra se conclure par une synthèse où l'on réévaluera la notion de héros au cours de laquelle on projettera « Moby Dick » afin de montrer l'intertextualité entre ce récit et celui de Melville par le lien entre le jeune homme et le capitaine Achab.

Évaluation sommative (au choix) :
1) Rédigez le dialogue entre le jeune homme et son voisin dans un discours argumentatif où interviendront des énoncés descriptifs, narratifs et explicatifs.
2) L'ami conseille au jeune homme de changer le bouton de son pardessus. Imaginez la suite dans un texte d'invention qui utilisera les différents types de discours.
3) Le voisin du jeune homme se plaint à la RATP dans une lettre que vous rédigerez. Il relatera les faits, expliquera ce qu'il a perçu, fera part de ses reproches sur cette incivilité. Vous veillerez à écrire un texte connoté politiquement comme à droite en utilisant le registre adapté.
4) Rédige un rap qui dénonce le comportement du voisin. Tu peux aborder aussi les sujets de ton choix (faim dans le monde, intégrisme, injustice) à cette occasion et parler de ce que tu vis dans le bus ou le métro de la part des contrôleurs.
5) Rédige au choix ce qui serait arrivé si la bagarre était arrivée. Tu as le choix du genre : SF, féerie, fantasy, polar, espionnage, action, romance, hentaï. (Ce sujet est subventionné par Vivendi Universal.)
6) Récrivez le texte à la manière et à l'époque de Boileau décrivant les encombrements de Paris. Soignez votre métrique et la richesse des rimes.
7) Vous direz ce que l'on peut dégager de ce texte en le comparant aux autres textes proposés (cinquante premières pages de « la Modification », d'« Ulysse », du « Voyage de Monsieur Perrichon ») à propos de la dépersonnalisation de l'individu dans les transports en commun de la société capitaliste moderne.

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