Les suffixes -amment et -emment



 

Une grand-histoire

Les adjectifs en -ant et -ent forment des adverbes en -amment et -emment. Ces adverbes se distinguent de la règle des autres adverbes de manière en -ment qui se forment pour la plupart sur un adjectif féminin : bonne et bonnement, fraîche et fraîchement. Or l'état contemporain de la langue est trompeur. Ces adverbes sont bien formés sur des féminins, mais des formes féminines disparues.


En effet, les adjectifs de la deuxième classe en latin ont donné des adjectifs uniformes au masculin et au féminin en ancien français. Ces formes ont été refaites ensuite sur le modèle dominant de bon/bonne. Par exemple, l'adjectif grant était aussi un féminin, sans le e dit muet qui est la marque du féminin d'ordinaire. L'adverbe qui en dérive est gramment issu de grandi mente à l'ablatif singulier, « de manière grande ». Les voyelles finales autres que [a] se sont amuïes dès l'époque romane, le [t] a été assimilé à la nasale suivante en liaison. La réfection de l'adverbe en grandement interviendra avec la généralisation d'un féminin en « grande » à partir du XIIIe s. Elle l'emportera en moyen français. Elle n'affectera pas les autres formes en -ent et -ant qui restent dans leur état, mais d'autres adverbes sont refaits sur les nouveaux féminins (forment, briement, loiaument).
 
 



Adjectifs, mais où ?


Les adverbes en -amment et -emment ont deux origines distinctes :
– des adjectifs en -ant ou en -ent qui n'existaient que comme adjectifs en latin, par exemple méchamment, prudemment ;
–  des participes employés comme adjectifs et dont le verbe d'origine n'est plus toujours clair en français contemporain : vaillamment, ardemment.
L'étymologie n'est d'aucun secours afin de les distinguer car des adjectifs se sont séparés de leurs verbes d'origine pour adopter une forme propre et distincte du participe présent.

Certains de ces adverbes sont issus d'adjectifs oubliés : ardemment, dolemment, instamment, nuitamment, sciemment. Ils ont continué leur vie propre alors que l'adjectif a disparu ou est devenu archaïque. Rappeler la règle de formation de ces adverbes conduit à une impasse puisque ardemment est formé sur ardent mais qui est tiré de ardant, du verbe ardre. En outre, c'est oublier que des adjectifs et des participes présents de même origine peuvent s'opposer par l'orthographe : différant et différent. Enfin, le même verbe peut donner par un de ses dérivés un radical et une forme distinctes : couramment (de courir, le participe présent courant est employé comme adjectif) et concurremment (de concourir avec la forme savante et latine du radical jusque dans la graphie de la géminée, le participe concourant n'a pas été retenu, mais on a pris l'adjectif).


 




Pourquoi deux « m » ?


La graphie de ces adverbes est particulière, elle conserve un état de la prononciation. Le deuxième « m » est celui du suffixe « -ment », le premier « m » lui est bien issu de l'adjectif ou du participe d'origine : puissant donne le radical puissam-. On a noté une nasale « n » par une autre « m ».  Mais pourquoi avoir voulu doubler la lettre ? La voyelle précédente était encore nasalisée jusqu'au XVIIe s. et il fallait marquer que la consonne ne supprimait pas cette nasalisation contrairement à l'usage moderne : gramment était donc prononcé [grãmã].
 


 


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