Les insultes adressées aux Anglais


1. L'Anglais est d'abord English

L'Angleterre, cette colonie française qui a  mal tourné. (Clemenceau)

Une manière de ridiculiser l'autre est de reprendre le nom qui est le sien dans sa langue, mais en le déformant.  Ainsi, le nom des Anglais conserve-t-il la forme du suffixe anglais, mais le radical est prononcé à la française. On aboutit donc à un monstre orthographique et morphologique. Les variantes sont nombreuses : Angliche dès 1862 chez Hugo, Engliche, English. La raillerie est ancienne, la forme Angluche est attestée en 1628 avec le suffixe familier -uche (trucmuche, paluche, manuche). On trouve de même Angloche par croisement avec boche.

Une autre transformation s'exerce à partir du nom composé Anglo-Saxon. Le nom Anglo est employé au Québec pour désigner les Canadiens anglais. La désinence -o indiquant une coupe dans un nom composé (Franco-canadien) devient le suffixe familier -o(t).

Une autre prise de distance consiste à reprendre la terminaison ancienne Anglois par allusion à Jeanne d'Arc et aux expressions historiques comme « bouter l'Anglois hors de France ».

Il peut exister aussi une resuffixation. San-Antonio écrit l'Anglais-saxif par croisement avec le suffixe -if d'adjectifs indiquant une orientation (passif, pensif, natif, tardif). Le même écrit aussi Anglo-Saxoche, toujours par croisement avec boche.

Ce peut être encore la réduction à l'élément final d'Anglo-Saxon, le gentilé devient seulement un Saxon alors que le terme se rapporte aux populations de l'Allemagne du nord.

Le deuxième nom qui s'applique non plus au peuple, mais à l'ensemble des insulaires, est déformé. Le Britannique devient ainsi le British ou le Britiche (1965) avec une orthographe aussi fantaisiste. Reprendre le nom anglais tel quel, c'est le rendre dérisoire.

La forme apocopée Brit(t) est empruntée à l'anglo-saxon dans les tranchées.

On peut feindre d'ignorer que le Britannique est le terme courant pour l'habitant de la Grande-Bretagne et l'on invente un Grand-Breton, un Grand-Albion, un Grand-Albionais (San-Antonio). La raillerie repose sur un pléonasme puisque le nom Albion est le terme littéraire ancien pour l'île de Grande-Bretagne. Notons qu'Albion est presque toujours associé à perfide depuis Napoléon. L'Anglais est traitre et hypocrite par nature.

2. Des bouffeurs de viande

Devant la cuisine anglaise, il n'y a qu'un seul mot : « Soit ! » (Claudel)

Le succès du bifteck à partir de 1711 et son origine britannique a incité à assimiler l'Anglais à son plat. Ainsi les formes bifteck, beefsteak, bisteck , beafteck se rapportent aux Anglais à partir de 1836. Ce terme est vieilli en ce sens.

L'autre terme fréquent est rosbif à partir de la viande grillée à l'anglaise (1774). Les deux noms sont toujours ressentis comme d'origine anglaise, mais avec une orthographe francisée.

Ces deux termes se retrouvent de manière périphrastique dans des expressions complexes comme mangeur de viande à la menthe, sans doute par jeu de mots avec manque et mentir. Il s'agit surtout d'un retournement des termes anglais Frogs, Froggies, Frog Eaters pour désigner les Français comme mangeurs de grenouilles. La périphrase du buveur de thé n'est pas plus lexicalisée.

3. L'Anglais ne connaît qu'un mot : Goddam !

Ses robes viennent de Paris, mais elle les porte avec un fort accent anglais. (Saki)

Le juron anglais Goddam (God damn me) est devenu en français Godon dès le moyen français. Jeanne d'Arc l'utilisait. Le personnage de Figaro se moque de l'interjection anglaise dans un faux éloge de la vie britannique où Goddam devient le mot à tout faire.

L'anglais peut aussi devenir une langue étrangère, le mot anglais est une métaphore pour l'argot (1901).

Réduire l'autre à un être incapable de la moindre ouverture d'esprit est un tropisme de la xénophobie. Ainsi lorsque les Québécois utilisent l'expression Tête carrée pour désigner un Canadien anglais, ils stigmatisent leur entêtement, leur absence d'intelligence et de tolérance. La métaphore du carré exprime la fermeture.
 

4. Les Habits rouges débarquent !

Il n'est pas interdit de penser que si l'Angleterre n'a pas été envahie depuis 1066, c'est que les étrangers redoutent d'avoir à y passer un dimanche. (Daninos)

L'uniforme rouge des troupes britanniques à l'époque moderne ou au XIXe s. a donné l'expression Habits rouges dès le XVIIIe s.

Cette expression est métaphorisée dans Homard (1847). Ce nom est vieilli. On peut supposer que la même analogie de couleur a joué dans Rosbif et Bifteck.

La couleur rouge est assimilée au sang des menstrues. Les expressions Les Anglais ont débarqué, Avoir ses Anglais (1862) se rapportent aux règles féminines. On fait ainsi allusion aux diverses expéditions de troupes britanniques en Bretagne, par exemple sous Louis XIV, sous la Régence ou sous la Révolution.

Le surnom Tommie –  diminutif du prénom courant Thomas –  a été employé pour les soldats lors des deux guerres mondiales. La personnification John Bull pour le Royaume-Uni est désuète.

La périphrase l'ennemi héréditaire ne se rapporte qu'à ce peuple.

Les termes ne sont pas réellement violents et haineux, hormis les expressions québécoises Anglo et Tête carrée. Les autres sont plutôt de l'ordre du mépris et de la péjoration en apparence plaisante. Cela joue sur trois niveaux :
– on se livre à des rappels historiques ;
– on détourne les formes phonétiques, orthographiques, morphologiques de l'anglais ;
– on brouille les multiples désignations propres en les mélangeant.
Il est souvent difficile de faire la distinction entre ce qui est peut être affectueux et amusant et puis ce qui est plus injurieux.


– By Jove ! tout cela est déplaisant, n'est-il point ?

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