Bonhomme, gentilhomme, prud'homme
Ces trois mots présentent quelques difficultés
orthographiques ou de sens.
Bonhomme
Ce mot est attesté vers
1175 au sens d'homme bon, puis de manant, paysan.
L'infériorité sociale fait dériver ensuite le sens
vers l'idée d'un homme naïf, simplet, puis de mari
trompé, d'homme âgé. Ces sens sont archaïques.
Le terme possède des sens
spécialisés : jouet comme figurine de plomb, nom vulgaire
du bouillon-blanc, outil de verrier ou de vitrier par métaphore.
Il existe encore des sens
historiques : le personnage de Jacques Bonhomme (1359) était le
surnom traditionnel du paysan. Les Bons-hommes étaient des
religieux établis en Grande-Bretagne. C'était le surnom
des Minimes en France. Les Albigeois s'appelaient ainsi entre eux.
Le mot entre dans des expressions :
– Petit bonhomme (1762) pour petit
garçon.
– Son petit bonhomme de chemin
(1803) pour renforcer l'expression.
– Bonhomme de neige (1831).
– Nom d'un petit bonhomme, ou hypocoristique du nom de Dieu.
Au Québec, le croquemitaine
se nomme le Bonhomme Sept-Heures
: il viendrait le soir, vers sept heures, lorsque les enfants ne sont
pas encore couchés.
L'expression vient du rebouteux. Autrefois, dans les villages passait le bone setter, celui qui arrange les os. Bien
sûr il venait le soir, car dans la journée sa clientèle
était dans les champs. Lorsqu'il accomplissait son office, des cris étaient
poussés dans les chaumières. On disait aux enfants : «
Dépêche toi d'aller te coucher, sinon le bone setter va venir te chercher ». Le bone
setter est ainsi devenu le Bonhomme Sept-Heures, par déformation
enfantine.
Le pluriel de l'expression est bonshommes. Les deux
éléments du nom varient, tout comme pour madame,
monsieur, mademoiselle, gentilhomme, monseigneur. Toutefois, sous
l'influence du pluriel enfantin dans des bonhommes de neige, la
tendance populaire est depuis le début du XXe s.
à dire ou à écrire des bonhommes. Grevisse note
des exemples de Martin du Gard et de Jules Romains.
Le mot appartient à un registre familier, il peut entrer dans
des expressions antinomiques comme sale bonhomme, vilain bonhomme,
méchant bonhomme qui désignent des individus n'ayant rien
de bon. La langue soignée préfère employer au
pluriel bonnes gens.
Le dérivé bonhomie
(1300) vient en fait du provençal bonomia. Elle est liée
à la simplicité et à l'égalité
d'humeur, sans avoir de vrai rapport de sens avec l'individu
quelconque. Les rectifications orthographiques de 1990 acceptent
bonhommie avec deux m, tout comme pour prudhomal.
Gentihomme
Le terme est composé de gentil et d'homme, d'abord
séparés (1050). Il se référait d'abord
à la naissance noble,
l'adjectif
gentil désignant une personne bien née. Puis, par
analogie, le sens a été étendu à des
qualités morales : générosité, noblesse,
élégance. Sous l'Ancien Régime, cela a
désigné plus précisément les nobles et les
officiers attachés à la maison du roi. Lors de la
Révolution, le terme est devenu concurrent de noble.
L'ancienne prononciation
était genteilhomme au XVIIe s.
Il existe des sens ironiques :
– Gentilhomme à
lièvre, petit gentilhomme qui se nourrit du produit de sa chasse.
– C'est un gentilhomme de Beauce,
il est au lit quand on fait ses chausses, pour un gentilhomme pauvre.
– Gentilhomme de ligne, un homme
qui serait fils ou petit-fils d'un pêcheur.
– Gentilhomme de parchemin, homme
qui vient d'être anobli.
– Gentihomme, nom du porc (tout
comme monseigneur), sans doute à cause de ses soies.
On trouve encore des sens
spécialisés :
– Nom vulgaire du fou.
– Pièce de
métallurgie.
Le pluriel est gentilshommes, soudé. Les
deux éléments varient pour ce seul mot. Le pluriel des
dérivés ne comprend qu'un s à la fin du mot.
Les dérivés sont
gentihommière (1606), gentilhommerie (1669) comme qualité
puis comme terme générique. Mais il existe encore des
termes désuets :
– Gentihommaille, synonyme de
genthommerie, péjoratif.
– Gentihommeau, mot familier.
– Gentilhommer, faire le
gentilhomme.
– Gentilhommesque, propre aux
gentilhommes, péjoratif.
Le mot français a fourni le
mot anglais gentleman (XIIIe s.), d'abord adapté en gentilleman (1558). Le mot se
rapportait à la noblesse non titrée (la gentry, du français genterie ou ensemble de la
noblesse). Le mot français se rapporte à un homme
distingué, de bonne éducation.
Prud'homme
Le mot prudhomme est issu de
preux. Cet adjectif et ce nom provient du bas-latin *prodis, utile,
altération d'un déverbal du verbe impersonnel latin
prodesse, être utile.
Les formes du nom ont fort
varié : prozdome (1080), preudome (1175). L'orthographe s'est
fixée en 1671 avec l'apparition d'une apostrophe qui ne montre
absolument pas une élision : le d appartient au radical et il n'est pas
une préposition, contrairement à aujourd'hui.
L'apostrophe est là pour rappeler la formation du mot
composé comme dans le féminin prodefemme (XIIe s.) ou femme sage, sérieuse,
qui donne par altération le mot prude, péjoratif,
rapproché de prudent.
En ancien français, le
prud'homme était un homme sage, d'expérience,
avisé. Ce glissement de sens de l'utilité au
mérite moral s'explique par le fait que c'était à
l'origine un noble vaillant, courageux, qui faisait donc montre des
caractéristiques de la noblesse. Le mot s'est alors
spécialisé dans le domaine de la justice afin de
désigner un expert (1260). Les conseils de prud'hommes en
matière de droit du travail sont relativement récents
(1806).
Au XIXe s. est apparu un sens péjoratif
: c'est le bourgeois médiocre et satisfait de la comédie
d'Henry Monnier, Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme.
Le personnage entre dans des articles, des dessins, des poèmes.
Les dérivés sont
issus de ce dernier sens : prudhommesque (1853), prudhommesquement
(1885), prudhommiser (1872), prudhommerie (1862), prudhommisme (1890).
Un seul se rapporte au sens juridique : prud'homal (1907). Il convient
de noter que les rectifications orthographiques de 1990 proposent
prudhommal, sans apostrophe et avec alignement sur homme.
De manière un peu absurde, la féminisation suisse de
prud'homme est prud'femme.
C'est compliquer bien inutilement le mot et ne pas tenir compte de son
histoire : l'apostrophe n'a aucune raison d'être pour un mot dont
le féminin est prude. La soudure serait bien
préférable.
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