Carême, carnaval et ramdam
Le carême provient de quadragesima
dies
ou le quarantième jour avant Pâques. Or cette
période de jeûne et d'abstinence dure en
réalité quarante-six jours et elle commence le mercredi
des Cendres, le mardi gras en est exclu et pour cause. Quant à
l'origine du nom carnaval, si elle demeure controversée, il
s'agissait sans nul doute d'une fête ayant trait à
l'abstinence de viande et formée à partir de carne.
Le sens premier aurait donc pu être l'entrée en
carême, puis selon le Robert historique la veille de cette
entrée où l'on se livrait à des ripailles et des
divertissements, soit le mardi gras donc. Aujourd'hui, cela
désigne des fêtes qui surviennent à des dates fort
variables selon les villes, mais toutes situées entre
l'Épiphanie et le mercredi des Cendres.
Or ce sens se retrouve dans l'expression carême-prenant, où le
verbe prendre signifiait
depuis le XIIe s.
« s'engager dans (le carême) ». Et la fête de
carême-prenant se rapportait aux trois jours de
réjouissances avant le carême, particulièrement le
mardi gras. Le terme s'est rapporté aux personnes qui couraient
les rues sous des masques et des déguisements, par extension
à toute personne déguisée. Selon Furetière,
le mot qualifiait « les personnes mal mises, qui ont des
habits hors de mode extravagants ». Ainsi dans le Bourgeois gentilhomme de
Molière : « vous voulez donner votre fille
à un carême-prenant » ; le propos
désigne Cléonte grimé en fils du Grand Turc qui a
fait de Monsieur Jourdain un Grand Mamamouchi. Néanmoins,
auparavant, il a pu nommer un joyeux compère et
« trancher du caresme prenant » (XVe s.)
se donner des airs. Le terme carnaval
peut de même désigner non plus seulement la
fête, mais une figure grotesque promenée à cette
occasion, et ainsi une personne à
l'accoutrement extravagant ou ridicule dans des expressions comme
« il est fait comme un carnaval, c'est un vrai
carnaval ».
Selon le Robert historique, le terme carême
était employé en Afrique du Nord pour désigner le
ramadan qui en est le pendant pour l'Islam. Or ce dernier terme est
devenu sous la forme ramdam
(1890) un synonyme familier de tapage, désordre, par allusion
aux fêtes nocturnes de cette période. On a donc un
déplacement de sens du carnaval avant le carême proprement
dit et du ramdam vers la période de rupture du jeûne.
Le rapport à la chair est fréquemment rappelé dans
les expressions familières et ironiques : un
« amoureux de carême » est un amoureux
timide, qui n'ose toucher à sa maîtresse. La
« face de carême » est un visage triste,
amaigri et pâle à la suite du jeûne qui dure fort
longtemps et l'on sait qu'un individu « long comme un
carême » sera grand et maigre, à l'image de la
période.
La notion de temps est aussi fort présente dans les expressions
figurées : « prêcher sept ans pour un
carême », c'est s'épuiser en redites, en avis
inutiles et le paradoxe vient de la disproportion entre les
périodes. De même « arriver comme mars en
carême » signifie arriver sans faute, immanquablement
: en effet, mars arrive toujours en carême même si le
carême peut être bas – il commence en février – ou
haut – il commence en mars. Le fait contraire serait surprenant car
comme le dit Rabelais « si mars failloit à
Caresme », ce serait chose impossible. Cette expression est
à rapprocher de « tant l'on crie Noël qu'il
vient », proverbe qui nous avait occupé au
millénaire précédent. Si le carême survient
toujours à la même époque, il n'en va de même
pour la marée et si elle arrive en carême, c'est fort
à propos puisque l'on avait besoin de poisson faute de viande.
Mais selon le Dictionnaire des
expressions et locutions
de Rey-Chantreau, cette image a été comprise à
contresens car l'on est passé de l'idée du moment
inévitable à celle du moment propice et, de ce fait,
« arriver comme marée en carême »
devient pour certains arriver mal à propos car l'on
préférerait de la viande, de même
« arriver comme mars en carême » en vient
parfois à recevoir les connotations péjoratives du mot
« carême » et est synonyme
d'événement désagréable.
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