Survivances du cas sujet



L'ancien français jusqu'au XIVe siècle possédait encore un cas sujet – dérivé du nominatif
latin – et un cas régime issu de l'accusatif. Le cas régime, à quelques exceptions près, a donné naissance aux noms français.

Les déclinaisons latines présentaient un -s à l'accusatif pluriel des noms féminins et masculins. Ce -s est devenu la marque du pluriel en français soit par étymologie, soit par analogie dans le cas des noms d'origine non latines ou tirés d'un neutre. Je ne présente que la première déclinaison masculine sur cette page afin d'illustrer le propos qui n'est pas un exposé complet sur les déclinaisons d'ancien français ou leur emploi.
 
 

Nominatif singulier : murus 
Cas sujet singulier : li murs 
Nominatif pluriel : muri 
Cas sujet pluriel : le mur 
Accusatif singulier : murum 
Cas régime singulier : le mur 
Accusatif pluriel : muros 
Cas régime pluriel : les murs 

La phrase li cuens les barons voit veut dire « le comte voit les barons », mais li baron le conte voient  veut dire « les barons voient le comte ».

Des noms ont suivi une alternance vocalique du fait de la place variable de l'accent : sur la première syllabe au CS, sur la deuxième au CR. Il a donc existé des formes doubles comme enfes de infans et enfant de infantem. Certaines de ces formes ont survécu en français moderne. 



 

Les noms issus des deux cas
 

nominatif latin
forme moderne tirée du cas sujet
accusatif latin
forme moderne tirée du cas régime
cantor 
chantre 
cantorem 
chanteur 
lat. pop. *companio 
copain 
lat. pop. *companionem 
compagnon 
frcq. *wracko 
gars 

garçon 
major 
maire 
majorem 
majeur (d'abord adjectif), maieur 
lat. eccl. nonna 
nonne 
nonnam 
nonnain 
homo 
on (pronom indéfini) 
hominem 
homme 
pastor 
pâtre 
pastorem 
pasteur 
lat. putidus, puant 
pute 

putain 
senior 
sire 
seniorem 
sieur, seigneur 
*tropator 
trouvère 
*tropatorem 
trouveur
La forme troubadour est d'origine provençale et elle correspond au cas régime.

Certains de ces termes se sont spécialisés dans une fonction (chantre, maire, trouvère, pasteur), d'autres appartiennent très vite à un registre familier (copain, gars) ou poétique (pâtre). Le doublet sire-sieur ressort de ces deux aspects : le terme sieur était péjoratif, le mot sire était utilisé comme apostrophe pour un seigneur. Le pronom indéfini a survécu car il permettait de remplacer l'indéfini latin à la troisième personne du pluriel (dicunt, on dit) comme c'est aujourd'hui le cas pour « à la télé, ils ont dit », « les gens disent », ce cas sujet est encore visible avec le prétendu l' euphonique de l'on dit qui est en fait l'article défini élidé.



 

Dans quelques rares noms, le cas sujet a été préféré.
 


Le cas régime
ancêtre (antecessorus Le CR ancessor était plus long. 
cuistre (bas-latin coquistro, officier chargé de goûter)  Le CR était coistron. Le terme actuel pour « pédant » vient d'un emploi figuré et d'une adresse directe à la personne. 
fils (filius Le CR fil tendait à se confondre phonétiquement avec le féminin fille. La prononciation régionale fi conserve une forme de CR. 
peintre (lat. pop. pinctor Le CR était peintor.
prêtre (lat. pop. presbyterus Le CR était provoire.
soeur (soror La forme la plus brève a été préférée, notamment pour l'apostrophe. Le CR singulier était sereur
tante (anta) Le nom procède de l'agglutination du possessif au substantif t'ante. Le CR était antain
traître (traditor Le CR était traiteur. Or cette forme se confondait avec un homonyme issu de traiter, « négocier, guider ». 

Ce cas sujet s'est surtout conservé dans des prénoms où il est purement graphique. Les formes sans -s de ces mêmes noms ne sont que les variantes, au cas régime. Ainsi Charles, Georges, Hugues, Jacques, Jules, Yves... 

Dans d'autres noms le cas sujet n'est pas marqué par un -s : Berthe, Ève, Hugo, Lazare.

Pour les toponymes, il existe trois origines distinctes du -s final :

– Le -s appartient au radical du nom ou est une déformation d'un autre phonème.

– Le -s provient d'un ancien ablatif latin pour un nom de peuple gaulois. Voir la page sur l'ablatif.

– Le -s est bien un ancien cas régime : étymologique, Douvres (Dover) de Dobras.

 

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