Le verbe chaloir provient du latin calere, « être chaud »
et donc « désirer ». Il entre en français de manière
impersonnelle au Xe s. dans la
Cantilène de sainte Eulalie : « Dont [ce dont]
lei [à elle] nonque chielt » au sens d'importer. On le retrouve
dans la chanson de Roland au siècle suivant : « Ne li chalt, sire, de quel mort nus murions ». Il signifiait aussi
en ancien français « avoir chaud », « préoccuper
». Ce verbe impersonnel était considéré comme
vieilli par l'Académie dans sa première édition.
Ce pauvre verbe a été victime au présent de la loi de
Bartsch d'où une chuintante suivie d'un yod et d'un /e/ à partir
de la séquence latine /ka/. On comprendra pourquoi le présent
a été conservé en
chaut (cette forme-là
n'est pas régulière phonétiquement même si elle
est fondée historiquement) : il y avait une paronymie très
frappante avec un autre verbe lui aussi soumis à la loi de Bartsch :
chier venant de
cacare. Et comme les sens étaient
assez proches... Surtout si la phrase était destinée à
répondre à quelqu'un... Il y a eu alignement sur
valoir et
falloir par analogie et du fait de l'emploi
impersonnel, de l'idée de prix ou d'importance. Mais sans cette analogie
le verbe aurait bien pu se confondre avec son paronyme. Il existe une variante
normanno-picarde avec /k/ : « Li cuers avariscieus acquiert ne li caut
comment, et ne pot estre assasiés d'avoir. » (Beaumanoir).
Le /l/ est passé à une voyelle devant une consonne et à
la pénultième place dans bon nombre de cas. C'est la vieille
histoire des
chevaux. Mais cette
voyelle pouvait être très différente : /ü/,
/u/, /o/ ou semi-consonne /w/. On pouvait aussi prononcer un /l/ vocalisé.
Ce que l'on écrivait
chaut
était entièrement prononcé, avant la réduction
à une voyelle /o/ en moyen français. Tout dépend de
la région et de l'époque des scripteurs, de leurs habitudes
dans les graphies, il y avait des variantes. Le verbe
salir, « sauter », issu du
latin
salire, a suivi la même
évolution analogique. La forme actuelle du verbe repose sur un croisement
entre
chielt, étymologiquement
fondé, et
caut, dialectal,
par analogie avec
valoir, falloir.
Au présent, il y avait des variantes :
chelt, chielt, chalt, chaut. Le
passé simple « chalui » (1), « chalut »
(3) a existé sur le modèle de « parui »
(paraître). Le participe passé « chalu »
aussi. Toutefois, il convient de noter un subjonctif imparfait chausist
chez Villehardouin : « Et sachiés que il i avoit assés
de ciaus [ceux] qui bien vousissent que li corans [le courant] enmenast les
vaissiaus contreval le bras ou li vens, ne leur chausist comment l'aventure
avenis. » L'imparfait était
cha(l)loit, le futur
chaudra.
Il existe quelques rares cas d'emplois modernes à d'autres temps ou
modes selon Grevisse. Au subjonctif : « Pour peu qu'il vous
en chaille » (Anatole France), « J'en suis d'avis, non pourtant
qu'il m'en chaille » (La Fontaine). Au conditionnel : « Or il
ne me chaudrait .... Qu'ils fissent à leurs frais messieurs les intendants
» (Mathurin Régnier). On peut écrire suivant Littré
: chaudra (futur simple), chaudrait (conditionnel présent). Barbey
d'Aurevilly emploie l'imparfait : « Peu me chalait de voir
tomber la nuit. »
(l'Ensorcelée).
Le participe présent était
chaillant : « Mais peu se
chaillant d'eux » (Ronsard). Il était formé
comme
saillant, vaillant, faillant.
Le changement de terminaison suit l'influence des substantifs issus de participes
comme
ferrand,
tisserand,
marchand. Le substantif
chaland, ami protecteur ou connaissance,
voire amoureux, puis client au XII
e siècle , est issu du
participe présent. Il s'est d'abord écrit chalant, chaulant,
chalan, caulant. Le sens s'est fixé au XVI
e s. sur la personne
qui achète chez un même marchand . Au départ, il s'agissait
de la personne qui a un intérêt à quelque chose, pour
qui quelque chose lui chaut ou importe. Furetière évoque le
pain chaland : « Gros pain que
vendent les boulangers de la ville et qu'ils font porter dans les maisons
des bourgeois, qui sont leurs clients ordinaires ». Quant à
l'homonyme pour le bateau plat (1080), il provient du grec byzantin
khelandion.
Le substantif servira à construire le verbe
achalander (1549) et l'adjectif
achalandé (1383), qui ne signifient
pas
« être pourvu en marchandises », mais « fréquenté
par la clientèle ». La confusion apparaît à la
fin du XIX
e s. lorsque le lieu qui a une bonne clientèle
devient le lieu à la vogue et donc le lieu bien approvisionné.
Le substantif
achalandage (1820)
suit la même dérive sémantique du fait de la faible fréquence
de
chaland .
L'infinitif
nonchaloir (1160) et
surtout le nom rendu familier par Baudelaire sont issus du verbe
chaloir. La beauté « nonchalante »
(1278) suit cette même démarche. En fait, le verbe était
rare :
nonchalu « méprisé
» ou
vous nonchalez
(1428), « vous négligez ». L'expression
mettre en nonchaloir ou mettre à
l'abandon, délaisser était seule usuelle en ancien français
: « Por l'ame de moi miex [mieux] valoir Ai mis mon cors en nonchaloir
» (Rutebeuf). Le sens de la
nonchalance
s'est déplacé du manque d'énergie ou d'intérêt
à une sorte de désinvolture gracieuse ou affectée. Ce
nouveau sens a redonné un peu de vitalité à l'infinitif
substantivé vers le XVIII
e s. pour montrer une sorte d'indifférence,
de paresse, d'inaction.
la
pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et
tes flancs qu’assouplit un charmant nonchaloir,
Empêchera
ton coeur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse
(Baudelaire, « Remords posthumes »)
Ô
toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
(Baudelaire, «
la Chevelure »)
Au Québec,
achaler signifie
« importuner, déranger ». Le sens d'origine est de ranimer
un feu, de faire revenir sa chaleur. Ce terme provient des parlers de l'ouest
de la France. Ce verbe possède des dérivés :
achalant (ennuyant, collant, fâchant),
achalanterie ou chose achalante,
achalement, achalerie, achalage...
« Va jouer là. Achale pas le grand monde. T'es trop p'tite pour
être icitte. » (Michel Tremblay).
D'un pas nonchalant, on conduisit le voyageur
à l'office du tourisme le plus proche.
Un poème sur le
nonchaloir ?
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