La crase
La crase est une contraction de voyelles appartenant à deux mots
distincts et se trouvant en hiatus. Elle affecte donc la voyelle finale
d'un mot et la voyelle initiale du mot suivant. Le terme vient du grec krasis,
« mélange ». Cependant, contrairement à la
synérèse, la crase peut affecter aussi des
syllabes où le son des éléments disparaît.
Il en résulte un nouveau phonème et surtout un nouveau lexème : par exemple, au lieu
de dire à le ou de le ou en les, nous employons au, du et ès.
Les articles contractés résultent de crases. La
synérèse ne forme qu'une syllabe à partir de deux,
elle est interne à un mot unique. Ainsi le mot août vient du latin augustus,
il s'est autrefois prononcé « a-ou » et il retrouve
cette prononciation ancienne dans la langue populaire ou dans ses
dérivés. Toutefois, la synérèse n'affecte
pas la graphie du mot à l'inverse de la crase. Le mot mame pour madame (ma-dame) est une crase, le mot m'dame constitue une syncope ou chute interne d'un phonème, le mot 'dame avec un coup de glotte relève plus de l'aphérèse. Il convient en outre de ne pas confondre la crase avec l'élision. Cette dernière constitue une forme d'apocope
particulière : deux voyelles appartenant à deux mots
différents sont en contact, la voyelle atone tombe et son
absence est marquée par une apostrophe. Par exemple, si il donne s'il. Il y a toujours deux mots différenciés graphiquement.
La crase en grec
La voyelle issue
de la fusion des deux voyelles porte un signe de même forme qu'un esprit doux korônís ou « petit crochet ». Un esprit ne peut
se trouver dans un mot, mais à son initiale. Il n'est donc pas possible de
confondre la corônis avec l'esprit : kaì egố (« moi aussi »)
donne kagố
après crase. On trouve la crase dans quelques expressions, comme
dénomination de l'« homme de bien », en
grec kalòs
kagathós, kalòs kaì agathós
ou « beau et bon ». L'usage de la corônis
n'est pas très ancien pour le grec ; il remonte au Moyen
Âge.
La crase en ancien français
Les contractions de termes grammaticaux étaient
fréquentes, surtout pour les pronoms personnels le et les, l'article défini le ou les après des
monosyllabes : jel jou jeu ju (je le), jes (je les) ou enl (en le), nel nou nu (ne le), nes (ne les ), jat (je te),
sin (si en), quil (qui le), quis ques (qui les) sel (si le), ses (si les).
Il s'agit à plus proprement parler d'enclises que de crases, la
forme atone est liée au mot qui précède, mais dans
certains cas il y a bien production d'une voyelle nouvelle (jou).
Le singulier ou ne disparaîtra qu'au XVIe et il sera remplacé par au comme dans l'expression croire en Dieu et au diable (en le diable, d'abord ou diable).
De la même manière, les noms de pays masculin
commençant par consonne se construisent avec cette
préposition (au Portugal).
Les démonstratifs (cet, cette, ces, celui, celle, ça) présentent aussi une crase de par leur origine. La forme ecce iste donne cist (cet) par aphérèse et élision du premier terme, puis avec agglutination. Les adverbes çà et ci présentent la même évolution. Çà ou ci sont expliqués à part.
Il y a eu aussi crase pour le pronom relatif dont issu de de unde (de et de là). Pas de crase pour donc conjonction (latin tunc).
Une crase vraiment particulière frappe le mot chacun. On part d'un étymon *cesque issu de quisque
(« chaque, chacun »), d'une autre forme rare chaün laquelle remonterait à (unum) cata unum (« un par un ») calqué sur le grec hena kath'hena de même sens. Donc cata unum donne chaün avec apocope des deux mots (*cat uno), puis soudure des deux éléments (cadhuna, présent dans les Serments de Strasbourg en 842). La dentale notée par dh comparable à un th
anglais dans ce texte constitue un affaiblissement de la consonne avant
sa syncope. Les deux voyelles se retrouvent en contact lorsque l'on
passe de cadhuna à chaün. Ensuite, ce mot est agglutiné à l'hypothétique *cesque : *cesque + chaün. La finale subit la crase (keaün > keun) tandis que la syllabe initiale modifie son timbre (tses > tchas) sous l'influence de la dernière et par anticipation : chascun.
La crase populaire
La crase existe toujours comme phénomène
phonétique en français contemporain. On peut la
repérer dans des expressions comme j'i ai dit, j'ui ai dit pour je lui ai dit. Le pronom lui est sujet à de nombreuses modifications : dizi pour dis-lui (aphérèse
du pronom). Mais dans l'exemple cité, il s'agit d'une crase
entre le sujet et le complément second. De même il devient
fréquemment i ou y par apocope, mais dans y a quelque chose pour il y a quelque chose, le yod contient à la fois le pronom impersonnel il et le pronom adverbial y. On peut considérer que l'interjection de Gaston Lagaffe en est une : M'enfin ! pour mais enfin. Ajoutons l'expression tare ta gueule dans la chanson d'Alain Souchon (tu vas voir ta gueule > tva vwar >twar > tar). Des formes courantes comme : malors (mais alors), siouplaît (s'il vous plaît).
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