Douloir


Le verbe n'est plus que rarement usité à l'infinitif. Littré jugeait qu'il était dommage de voir tomber ainsi un verbe « si expressif et si commode ». Furetière l'estimait déjà comme vieux. Régnier l'a encore employé au présent, mais Régnier use d'archaïsmes : « Mais ce dont je me deulx est bien une autre chose ». Il signifie ressentir de la douleur, se plaindre, souffrir. Il provient du latin classique doleo, -es, -ere. Il appartient à la même famille que dol, deuil, doléance, douleur, mais aucun de ces termes n'est dérivé de lui en français.

En ancien français, sa conjugaison était fort irrégulière : dueil (puis deu[l]), dueu (puis dieus, deus), dueut, dolons, dolez, dueuent (duelent). La première personne suit une évolution régulière avec d'une part une diphtongaison de /o/ en /ue/ et d'autre part une palatalisation de /l/ par le yod issu de /e/ dans doleo. Les 2e et 3e personnes présentent en revanche une triphtongue /ueu/ issue de la vocalisation de /l/, cette triphtongue se dissimile ensuite en /ieu/. La réfection de ce verbe se fait à partir de vouloir : veus était une réduction de la triphtongue plus ancienne. Une première personne analogique des personnes 2 et 3 (deul) diminuera la complexité du paradigme. Aux personnes faibles, le /o/ latin atone restait inchangé. Il existait cependant des variantes : duil (XIIe s.), duel (XIIIe s.), douls (fragment de Valenciennes, Xe s.), diaut (Renart, Roman de la Rose), dout, deult, dulez... Le subjonctif présent était dueille, puis deuille sur la base de la première personne. L'imparfait  (doloie, douloit) avait comme base les personnes faibles du présent, comme il est normal.

Le passé simple suivait le modèle régulier de parui : dolui, dolus, dolu(t). Toutefois, il a existé une forme irrégulière : « Tant ai amé, tant aim, tant amerai, Ke je m'en duel et dueluc [plaignis] et daurai [plaindrai] Trestous les jours que je serai en vie » (XIIIe s.) Le radical est analogique du présent déjà ancien. Le futur simple et le conditionnel présentent en revanche une assimilation de la consonne du radical à celle de l'infinitif : daurai, daurroit. Ce genre d'assimilation courante a été ensuite corrigé par analogie (dorrai deviendra donnerai), sauf pour savoir (saurai), courir (courrai sur courre), pouvoir (pourrai).

Les participes dolant ou doulant, dolu ou doulu suivent un modèle régulier. L'infinitif doloir ou douloir s'explique par le fait qu'en position initiale la voyelle /o/ avait des réalisations différentes selon les provinces, cela débouchera sur la querelle des ouïstes et des non-ouïstes au XVIIe s. Toutefois, ce verbe n'est pas isolé, il a existé la même hésitation pour vouloir dont il suit le modèle. 

Le présent fort irrégulier a entraîné l'abandon de ce verbe au profit de verbes du premier groupe comme peiner, chagriner, ennuyer. Il était pourtant encore vivant en moyen français : «  Je m'en voys au train de tressaillir, comme d'une faveur nouvelle, quand aulcune chose ne me deult » (Montaigne). Le terme a subsisté dans le proverbe « Le cœur ne veut doulloir ce que l'œil ne peut veoir » (1611, Oudin).


— Je ferai apprendre à ce maudit perroquet toutes les formes du verbe douloir !

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