Grand, adjectif féminin


Pourquoi dit-on grand-mère et non grande-mère ?


L'adjectif grand avait en ancien français comme féminin au cas régime ou accusatif singulier la forme grant, au pluriel granz. Or la plupart des noms et adjectifs qui sont passés par l'ancien français sont construits à partir du cas régime. Le fait est parfaitement régulier puisque grandis, féminin latin de la deuxième classe d'adjectifs, ne pouvait pas donner grande au singulier. Il existe toutefois une mention d'une telle forme au XIe s. dans la Vie de saint Alexis  et dans la Chanson de Roland, ce qui laisse supposer un étymon *granda.


Masculin
singulier
Masculin
pluriel
Féminin 
singulier
Féminin
pluriel
Neutre
singulier
Cas sujet
 


Cas régime
granz


grant
grant

granz
granz (t)

grant
granz grant

 
Les formes qui ont été conservées en français moderne sont issues de l'accusatif latin. Le latin grande(m) a perdu très vite sa voyelle finale inaccentuée et la consonne finale /t/ s'est assourdie par assimilation à /n/. Le pluriel est issu lui de grandis, forme identique à celle du nominatif ou cas sujet singulier. La lettre z est une ligature pour noter les lettres ts. L'opposition entre le masculin et le féminin était donc neutralisée, surtout au pluriel. 
 

Il y avait grand(e) hâte de changer


Ce féminin sera régularisé à partir du XIVe s. et suivra le modèle général de « bon-bonne » car on ne le comprenait plus comme féminin. Le fait commencera en position autonome : « une contusion grande » opposé à « une grant plaie ». La consonne finale se faisait entendre encore au XVIIe s. Ce sera la base de la distinction future car dans le même temps les consonnes non appuyées par un e dit muet s'amuissent.

Il faut dire que beaucoup d'adjectifs de la première classe ont été refait même au masculin sur le modèle du féminin du fait de la présence d'un substantif : « ferm » donne « ferme » à partir de « fermeté ». Le modèle est attractif et il entraînera les adjectifs épicènes comme « chauve » ou « large ». Ainsi en a-t-il été pour des adjectifs comme  « fort » de fortem, « vert » de verdem. Les noms de Rochefort et de Vauvert (la vallée verte, comme dans Laval l'article est bien féminin) conservent l'ancien adjectif féminin. Citons parmi ces adjectifs refaits : commun, courtois, doux, gentil, loyal, mortel, quel, tel... Aucun d'entre eux ne présentait de marque distincte du féminin par l'étymologie, le féminin vient de l'attraction des autres adjectifs où le e dit muet est senti comme une marque grammaticale. On a encore à l'époque classique des formes comme « gentilfemme » ou « lettres royaux » (Racine).
 

Des usages anciens    

Ce phénomène explique la différence de construction entre les différents adverbes de manière. La plupart sont formés sur un adjectif féminin comme « bonnement ». Oui, mais alors pourquoi gentiment, savamment, prudemment, et non gentillement, savantement, prudentement ? C'est expliqué dans la page sur les adverbes en -ment.   

Les formes à adjectif antéposé sont  restées figées : grand-rue, grand-route, grand-place, grand-bande, grand-chambre, grand-chère, grand-chose, grand-faim, grand-soif, grand-garde, à grand-hâte, grand-honte, grand-messe, à grand-peine, grand-peur, grand-salle, grand-vergue, grand-voile, grande-pitié, grand-honte, grand-croix. Toutes ces expressions sont féminines même si un homme est grand-croix de la Légion d'honneur.

De même, l'on disait Madame la Grand au siècle classique pour l'épouse d'un Grand du royaume. Et l'on a utilisé la « grand'soeur ».

« Ayant sans cesse et le père et la mère,
Et la grand'soeur avec le petit frère,
De ses deniers mariant la grand'soeur,
Et du petit payant le précepteur. » (La Fontaine, « Belphégor ».)

 

Des mots composés

On l'a remarqué, j'ai cité tous les composés de « grand » avec un trait d'union. Mais il n'en a pas toujours été de même. Avant 1935, les dictionnaires donnaient comme forme le plus souvent « grand'salle » avec apostrophe afin d'indiquer sans doute encore la présence d'un féminin par une fausse élision d'un e dit muet – et bien muet ! puisqu'il n'avait jamais été là... Cette graphie erronée tend heureusement à disparaître... 

Dictionnaire de l'Académie française : 1694 : grand'mère, grand'tante, mais grandpère et grandoncle (soudés donc) ; 1718 grand'mère, grand'tante, mais grand père et grand oncle (disjoints) ; 1798 : grand'mère, grand'tante, mais grand-père et grand-oncle. L'alignement de presque tous les composés de « grand » dans l'édition de 1935 a été une bonne chose. Cela évite des complications inutiles pour ceux qui écrivent ces mots dans des lettres familiales. Reste que l'on peut toujours trouver un charme désuet à une graphie archaïque et qu'elle étonne aujourd'hui autant que la « mère-grand » disant : « Tire la chevillette et la bobinette cherra. »

D'une erreur

On dit « un grand merci de votre offre ». Cette expression est un héritage d'une confusion : « un grand merci » vient de l'anglais « gramercy » mal interprété (1539). Le masculin est une erreur d'analyse en français car « grand » était la forme normale du féminin comme dans la grand-rue et la grand-mère et « merci », la grâce que l'on accorde, est bien un mot féminin comme dans « être à la merci ».


Ces deux touristes britanniques sont déroutés par la forme de la Grand-Place.

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