L'histoire de l'imparfait


Du latin au français
Les désinences de l'ancien français
De l'ancien français au français moderne
Le verbe être



Du latin au français

Le latin classique possédait trois types d'imparfaits principaux :
amabam (amare) ;
manebam (manere), legebam (legere) ;
capiebam (capere) ; audiebam (audire).
Les désinences de personnes étaient régulières : -m, -s, -t, -mus,  -tis, -nt.

On a expliqué l'existence de cette désinence -ba- comme une  variante de la forme libre fuam qui apparaît dans un subjonctif archaïque dérivé d'un thème de parfait (fui). Selon Benveniste, la voyelle /a/ des types eram (j'étais), legeram (j'avais lu), amabam (j'aimais) procède de l'optatif latin qui était aussi en /a/ (legam, que je lise). L'optatif permet dans certaines langues (vieux perse, grec) d'exprimer la répétition dans le passé.  Le latin et les langues italiques sont avec les langues celtiques les seules à posséder aussi un optatif en -a. Toujours selon Benveniste, l'affixe -ba- aurait été le premier à prendre la valeur d'un prétérit, tandis que la voyelle a de l'optatif procèderait d'une extension analogique.

Cette hypothèse donnerait donc à l'imparfait une origine périphrastique. On a supposé comme prototypes des formes en *amans-ba-m > amabam, legens-ba-m > legebam. Donc, que je sois aimant... Cependant, cette hypothèse se heurte à l'évolution phonétique des verbes en latin archaïque. Il ne reste de cette forme latine que le e caduc de la troisième personne du pluriel qui continue le /a/ latin.

En gallo-romain, le yod des formes en -iebam s'est effacé et il n'est plus resté que deux types d'imparfaits en -abam et en -ebam. La forme en -iebam était audibam à l'époque archaïque et la forme classique audiebam n'avait pu la supplanter totalement. La forme de capiebam est sans doute issue d'un croisement entre *capibam et *capebam car le verbe capio, capere a une flexion mixte.

Le premier type d'imparfait ne s'est maintenu en fait que dans l'Ouest et l'Est. Ce type sera remplacé par la seconde forme d'imparfait qui dominait dans le Nord et le Centre. Le premier type disparaîtra avant le    XIVe s.


Imparfaits du premier type

Latin
Ouest
Est
cantabam
chanto(u)e
chanteve
cantabas
chanto(u)es
chanteves
cantabat
chantao(u)t
chantevet
cantabamus
chantiiens
chantiiens
cantabatis
chantiiez
chantiiez
cantabant
chanto(u)ent
chantevent


Les formes des première et deuxième personnes du pluriel ne sont pas attendues. Il s'agit en réalité de formes analogiques de celles du deuxième type.

Imparfaits du deuxième type

Latin
Gallo-roman
XIe s. XIII e s.
vendebam
vendea
vendeie
vendoie
vendebas
vendeas
vendeies
vendoies
vendebat
vendeat
vendeit
vendoit
vendebamus
vendeamos
vendiiens
vendiiens, vendiions
vendebatis
vendeades
vendiiez
vendiiez
vendebant
vendeant
vendeient
vendoient

 
La chute de /b/ dans cette désinence est expliqué par l'action analogique de verbes fréquents comme habebam (habere), debebam (debere) où une dissimilation s'est produite. La désinence en -eam s'est en tout cas répandue dans toute la Romania, sauf parfois en Italie et en Roumanie.

Les désinences de l'ancien français

1
re personne du singulier
Le /e/ final s'amuït au XIII
e s., la forme devient donc vendoi. La 1re personne reçoit un -s analogique de la    2e personne à partir du XIVe s, mais on rencontre encore -oi en prose et -oie en poésie jusqu'au XVIe s. Ce -s n'appartient pas à l'étymon latin, tout comme les -s de première personne des verbes du 2e  et du 3e groupes au présent de l'indicatif. Le -s a été préféré notamment par Ronsard pour des raisons d'euphonie, la forme se généralise alors.

2
e personne du singulier
Le /e/ final s'amuït pour les mêmes raisons, il subit l'analogie de la 3
e personne.

3e personne du singulier
Quelques formes en -eiet sont attestées anciennement. Mais dès le XI
e s, les formes en -eit et en -oit seules subsistent. L'effort articulatoire du t final a provoqué l'effacement du e central. La même évolution s'est produite pour les subjonctifs ait (habeat) et seit (siat, être) à date précoce.

1
re personne du pluriel
L'évolution phonétique de la finale a produit un yod de fermeture en hiatus, sur le modèle leone > lion. Le /e/ long n'a pas diphtongué en /
iɛ/ au contraire des personnes fortes. Le /a/ tonique a diphongué en /iɛ/ au VIe s. sous l'influence de cette palatale. Le yod s'est ensuite constamment maintenu de manière disyllabique, sauf en picard. C'est cette dernière prononciation qui l'emportera définitivement au XVIIe s. La désinence -ions a été substituée à -iens, de manière analogique à la désinence du présent, toutefois cette forme ne sera répandue dans la langue littéraire qu'au XIVe s. Signalons que la Chanson de Roland, texte anglo-normand contenait la forme avium (habebamus). En revanche, Joinville, champenois, utilisait seulement -iens. La syncope du /u/ final passé à /o/ s'était déjà  opérée au VIIe s.

2
e personne du pluriel
Cette personne faible subit la même évolution que la précédente : yod de fermeture prononcé de manière disyllabique, production d'une diphtongue ie sous cette influence, syncope de la voyelle finale au VIIe s. La graphie -iez avec un z s'explique par la notation du groupe /ts/ qui se réduit ensuite à /s/ à l'oral avant de s'effacer au XVIIe s. sauf en liaison.

3
e personne du pluriel
La terminaison s'est le mieux conservée à cette personne à l'écrit. Toutefois, en poésie,  -oient ne comptait que pour un monosyllabe masculin dès le XVI
e s., ce qui prouve  l'amuïssement du [ə]. Il ne s'est maintenu à l'écrit que par analogie avec le pluriel du présent et pour des raisons de conventions graphiques. 


 De l'ancien français au français moderne


Les graphies comme entrait, avait, envoiet apparaissent au XIII
e s. dans l'Ouest. Elles montrent l'évolution future de la prononciation. La forme actuelle[ɛ] ne commence à éliminer [wɛ] qu'au XVIIe s, elle est jugée comme populaire et relâchée à Paris. La graphie -ais sera défendue par Voltaire, cependant  son opinion ne sera suivie qu'en 1835.

Les changements de radicaux

L'imparfait a pris le radical fort des verbes du présent,  il s'est donc aligné sur les
1re et 2e personnes du pluriel. C'est ainsi que le radical de voir était veoie. Cela a pu éliminer des palatalisations comme pour gésir (jacere), vaincre (vincere), tordre (*torcere), lire (legere refait sur dire). La réfection a eu lieu dès les premiers textes. La palatale aurait pu modifier la voyelle finale de la désinence et la fermer en diphtongue (mercedem donne merci), mais il n'en a rien été : la forme de la désinence était suffisamment solide pour résister.


Le verbe aller

Ce verbe présente la particularité d'être issu du croisement de trois verbes latins différents. Le latin ibam ne produit rien. La forme de l'imparfait français remonte au verbe *allare, raccourcissement pour ambulare, marcher. La base est celle des personnes fortes du présent (allons, allez) et non les personnes faibles issues de *vao pour vadere.

Le verbe être
L'imparfait de ce verbe (eram) a été refait en français. Voir la page spéciale.


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