Les adjectifs tirés de patronymes



Il s'agit d'un cas particulier d'antonomase : comment se forment les adjectifs relatifs à des auteurs, des philosophes ou des idéologues ? La question n'est pas indifférente parce que la formation induit un sens particulier aux noms.

1. Le suffixe -ien
2. Le suffixe -iste
3. Le suffixe -esque
4. Le suffixe -lâtre
5. Le suffixe -ique
6. Le suffixe -isant
 
Pour les adjectifs dérivés de noms de personnes, on n'utilise jamais -ois, mais le plus fréquemment -ien. Sauf quelques exceptions... Il existe toutefois l'adjectif hollandais tiré du nom de François Hollande et c'est une construction absurde.


1. Les adjectifs en -ien

a. Les adjectifs qui modifient le radical

Il faut connaître les modifications de certains radicaux par l'étymologie ou la correspondance des lettres :
giralducien, malraucien, pompidolien, hugolien (la présence du l est non conforme), rimbaldien, foucaldien, bourdivien. L'adjectif sur le nom de Queneau est quenaldien sur le modèle de rimbaldien et non conformément à l'étymologie. L'adjectif de Perec est perecquien pour des raisons de prononciation, de même que chiraquien. Attention ! Balzac donne contre toute attente balzacien qui ne se prononce pas comme flaubertien.

Les adjectifs qui dérivent de noms finissant par -é phonétique forment -éen : mallarméen, nietzschéen, booléen (mais le mot vient de Boole). Ils suivent en cela les adjectifs issus de certains noms grecs : égéen, manichéen, prométhéen, herculéen, européen... Notons que le nom d'Alain Juppé se retrouve en juppéiste, plus idéologique, qu'en juppéen.

b. Les adjectifs tirés d'autres adjectifs : le suffixe -icien

Trois adjectifs sont dérivés d'adjectifs plus anciens :  aristotélicien (1668) d'aristotélique, platonicien (1486) de platonique qui a changé de sens,  pythagoricien (1586).

c. Les adjectifs qui changent de sens

Il faut encore savoir reconnaître les adjectifs dont un sens est passé dans le langage courant. Cela concerne quatre adjectifs principalement.
Cartésien : un esprit cartésien présente les qualités intellectuelles considérées comme caractéristiques de Descartes, c'est-à-dire clair, logique, méthodique, rationnel.
Cornélien (autrefois corneillien) : se dit d'un conflit entre le sentiment et le devoir. Un choix cornélien, un dilemme cornélien.
Kafkaïen : évoque l'atmosphère absurde et étrange des romans de Kafka, mais transposée dans la réalité.
Rabelaisien : ne s'applique plus guère à l'auteur dans le langage courant, c'est ce qui a la gaieté et truculente, voire cynique et grossière que l'on trouve chez Rabelais. Plaisanterie rabelaisienne, style rabelaisien. Le mot est plus ou moins synonyme de gaulois.

Il faudrait ajouter :
Pascalien : tout pari est forcément pascalien et donc postule l'infini ! C'est une hyperbole déguisée dans le cliché.
Proustien : la phrase de Proust est longue, le style proustien se complaît donc dans la digression.
Voltairien : le Voltairien est non seulement un anticlérical, mais un athée, contrairement à Voltaire. Le terme peut être synonyme de frondeur, d'ironiste, mais il est plus souvent assimilé au bouffeur de curés, suite au personnage de monsieur Homais.


2. Le suffixe -iste

a. Le cas général

La plupart des suffixes en -iste ne soulèvent aucune difficulté : blairiste, calviniste (mais luthérien), darbiste, darwiniste (mais darwinien aussi), guesdiste, lazariste, lepéniste, mahdiste, mariste, marxiste, mendèsiste (et non mendès-franciste ou mendessiste), mollettiste, pauliste, peroniste, poujadiste, salazariste, stakhanoviste. Le -e muet tombe dans la plupart des cas, mais le -i peut se confondre aussi avec la désinence, par exemple Marie donne mariste. Il y a eu des noms mal formés comme huiste et non huïste pour Robert Hue.

b. Les modifications de forme

D'autres appellent un commentaire particulier :
– Lorsque le nom se termine par un o espagnol, la lettre tombe : carliste, franquiste, castriste.
– Le nom de Mao Tsé Toung donne maoïste avec un tréma pour empêcher la lecture d'un digramme oi.  Ce nom se forme comme kafkaïen.
– Les noms qui finissent en -y sont sujets à des errements. MacCarthy donne maccarthyste, mais c'est un  McCarthyist aux États-Unis. Beaucoup de « y » finals disparaissent dans l'adjectif : kennedien. Trotsky donne trotskyste ou trotskiste. Martine Aubry devrait former aubryste ou aubriste ou aubraciste et non aubryiste qui semble la forme la plus répandue. Le spécialiste de Jarry sera plutôt le jarriste que le jarryste.
– Certains noms changent de radical : Babeuf donne babouviste par étymologie incomplète (ce devrait être baboviste).
– Certains noms sont altérés : la maison d'Orléans donne orléaniste (mais orléanais le permet), le général Boulanger des boulangistes.
– Le nom de Confucius donne les confucianistes ou les confucéens.
– Le marxiste allié au léniniste ne se change pas en marxo-léniniste, mais en marxiste-léniniste selon une construction plus allemande ou anglaise que française.
   
c. La rivalité -iste et -ien

Le suffixe -iste indique plus une attitude idéologique, une orientation,  un mode de pensée, le suffixe -ien marque plus un style, une manière d'agir. Le suffixe -iste serait plus partisan et subjectif, le suffixe -ien plus général. On peut opposer ainsi les beylistes ou spécialistes d'Henri Beyle et les stendhaliens qui préfèrent le romancier. Les beylistes s'attachent aux écrits intimes et à la vie de l'auteur, à son égotisme ; les stendhaliens préfèrent les personnages, les histoires fictives.

De la même manière, on a pu opposer les gaullistes qui sont attachés au parti de de Gaulle et les gaulliens qui préfèrent la pensée et l'action sans se montrer partisan. Le régime gaulliste, les mouvements gaullistes sont la traduction d'un parti-pris ; les gestes gaulliens ou les paroles gaulliennes peuvent venir de rangs non gaullistes. Cette antithèse ne se retrouve que fort partiellement dans mitterrandiste et mitterrandien, ou jospiniste et jospinien, chiraquiste et chiraquien, jauressiste et jauressien.   

Je n'ai toujours rien compris à la différence entre les bourdiviens et les bourdivistes.

Cette opposition se retrouve encore dans les termes bonapartiste et napoléonien. Un régime, un parti, un courant d'idée contemporain peut être bonapartiste, mais non napoléonien. Le régime napoléonien désigne deux époques historiques et n'a de sens qu'au point de vue historique. Cependant, un style, un texte, une peinture, un meuble peut être napoléonien parce qu'il se réfère à la culture de ces époques. Attention ! Le nom de Napoléon Bonaparte a engendré un troisième adjectif  napoléonide, mais il s'agit alors de la désignation des différents souverains de la famille Bonaparte. Le suffixe -ide marque l'origine à partir d'une personne. On le retrouve dans la mythologie : les Néréides, les Danaïdes, les Océanides. On l'emploie aussi pour des dynasties antiques : les Ptolémaïdes, les Sassanides, les Abbassides, les Fatimides.

On utilise peu -iste pour les auteurs, plus pour les spécialistes ou amateurs. Un zoliste, un moliériste étudient Zola et Molière. En revanche, ils peuvent se pencher sur des vers raciniens ou des phrases proustiennes. Toutefois, le terme rousseauiste se rapporte à l'idéologie prêtée à Rousseau (une communauté rousseauiste) sans aucun rapport avec les écrits, le terme est synonyme d'angélisme bête lorsqu'il n'est pas en rapport avec les textes du temps. 

3. Le suffixe -esque

Il est le plus souvent péjoratif et il insiste sur la manière, il induit souvent un aspect hyperbolique dans le style. Dantesque est ce qui a le caractère sombre, fantastique et sublime de l'œuvre de Dante. Une vision dantesque est une vision énorme, à la dimension de Dante. Une scène molièresque n'est pas de Molière, mais à la façon de Molière, une scène qui prête au rire. Gongoresque est un reproche et ne concerne que de loin Gongora, cela se rapporte à des écrits aussi obscur que ceux de Gongora. Pagnolesque est plus positif et rejoint moliéresque par la verve.

Le suffixe peut être insultant ou plaisant si l'adjectif est inventé. Il est subjectif et il traduit le point de vue du locuteur pour l'essentiel.


4. Le suffixe -lâtre
 
Il signifie « qui adore ». Hugolâtre. Il rejoint le précédent.


5. Le suffixe -ique

Pour des définitions de doctrines philosophiques ou les termes de poétique, mais avec un sens qui
s'est éloigné de la personne. Des vers marotiques, ou de vers qui imitent le style de Marot, considérés  comme le modèle de la poésie ancienne, gaie et simple. L'adjectif platonique a changé de sens au XVIIIe s. C'est ce qui a un caractère purement idéal, sans rien de matériel, de charnel comme un amour platonique, une liaison plantique, des amants platoniques. En revanche, des amours ou des mœurs socratiques se rapporteront à l'homosexualité, voire à la pédérastie, et les dialogues socratiques pèsent peu dans la balance.

Ce suffixe a été peu productif pour les auteurs et il ne reste que les textes socratiques pour en témoigner. Aristotélique, pythagorique, platonique ont été évincés par leurs dérivés en -icien.


6. Le suffixe -isant

Ce suffixe comme les précédents s'applique surtout au style, il signifie « qui tend vers ». S'applique surtout au style. Pétrarquisant, marotisant, ronsardisant. Légèrement ironique. Un peu distant, indique surtout une source d'inspiration ou une imitation.

 J'ai oublié l'art de Pétrarquiser,
Je veux d'Amour franchement deviser. (du Bellay).


Beaucoup d'auteurs n'ont pas d'adjectifs reconnus. C'est indépendant de leur notoriété ou de la forme de leur nom. En fait, ces adjectifs peuvent exister chez les spécialistes, mais ils ne sont pas entrés dans les dictionnaires : colettien, perequien, quenaldien, vernien, zolien et zoliste, célinien, camusien, flaubertien, chateaubriandien... J'en passe, il y en a des palanquées... Les adjectifs des philosophes ou des auteurs classiques plus anciens sont mieux reconnus : kantien, platonicien, thomiste, augustiniste mais je doute que l'on trouve rapidement schopenhauerien, hegelien, heidegerien, derridien, althusserien, lacanien, freudien ou sartrien dans un dictionnaire. Cela dépend du sccès de l'adjectif, de son idée. Il faut donc savoir si l'adjectif est employé en dehors d'un petit monde de spécialistes. Par exemple, si l'on s'adresse à un public de profanes, il n'est pas toujours nécessaire d'employer l'adjectif ou de le trouver. Verlainien, lamartinien ou gidien sont tout de suite compris, mais pour Montesquieu, pour Diderot, pour Marivaux, pour Laclos, pour Beaumarchais ? Rien. Je propose montéquéviste, désidéradiste, marivalliste, laclosiste, bellimercatiste.


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