Le suffixe -s des adverbes
On connaît et reconnaît bien le suffixe adverbial -ment, un peu moins la variante -ons (à tâtons, à croupetons), et absolument pas la forme en -ains d'ancien français. Mais la terminaison -s est elle ignorée et incomprise. Pourtant il existe des adverbes terminés par -s pour lesquels on
peut indiquer la motivation de la graphie. C'est le cas notamment de :– Alors, de illa hora à l'ablatif. Jamais cette expression n'aurait pu produire un -s si les désinences des déclinaisons avaient été respectées. L'origine de cet adverbe est un emploi particulier et indéfini du substantif. Le fait de faire sonner le -s dans la prononciation populaire (alorsse) perpétue un usage ancien qui a donné cette graphie.
– Certes, du latin populaire certas à partir de certo. Ce mot illustre bien comment une réfection a fait naître un nouvel usage, l'accusatif pluriel d'un adjectif est devenu le modèle d'autres adverbes.
– Jadis, à partir de « jà a dis », il y a des jours. Le -s est une marque de pluriel conservée par alignement sur les autres adverbes. Il n'était plus prononcé au XVIIe s. On peut faire la même observation sur « tandis » dont le -s est de plus en plus souvent prononcé bien que la
forme classique ne le fasse pas sonner.– Même adverbe était écrit « mesmes » jusqu'au XVIIe s. Contrairement à l'usage actuel, l'adverbe prenait toujours un -s. L'emploi sous la forme « même » invariable est historiquement datée et elle constitue un bouleversement historique par alignement avec les autres adjectifs indéfinis. Normalement, on devrait écrire pour les adverbes : quelques, autres.
– Volontiers, du latin voluntiare. Aucun -s n'est possible étymologiquement. C'est bien une marque grammaticale par analogie.
Ce -s s'est aussi glissé dans des prépositions issues d'adverbes. Il a disparu encore dans des adverbes :
– naguère (n'a gaires),
– onc (oncques survit dans les romans pseudo-médiévaux).
Dans d'autres adverbes il est étymologiquement justifié : jamais, puis, près. Ou lié au sens : toujours. Mais il faut le considérer comme une marque grammaticale, un morphème qui illustre l'autonomie du français par rapport au latin, un bricolage sémantique par le détournement d'une forme.
Votre article m'est revenu en mémoire trop tard, et je comptais
>vous demander si ce -s n'était justement pas trop ancien pour être
>classé dans la catégorie « astuce des classiques quand il leur manque un
>pied », catégorie établie par _Gradus_ et dans laquelle il met
>« grâce*s* à ta bonté, qui pleut dans le désert » (Verlaine).
Il me semble que l'on reprenne un peu partout l'exemple de
« jusques » et la citation du vers de Racine. Cela sort de Littré en
fait. Le cas de « jusques » est pourtant bien classique, admis, présent
dans la prose, on peut certes l'opposer à « encor » mais ces licences
étaient admises du fait d'usages anciens.L'article paragoge contient un autre cas intéressant, l'addition
d'une syllabe selon le Grand Robert qui donne l'exemple d'« avecque »,
graphie fantaisiste qui imite l'ancien « doncques ». On a là une forme
qui donne une couleur médiévale, mais sans aucune justification
ancienne. On en trouverait pas mal dans les « Contes drôlatiques » de
Balzac ou des parodies pseudo-médiévales.Dupriez donne encore un autre exemple à
http://www.cafe.umontreal.ca/cle/cases/c1357.html
L'autobusson (cela doit sortir de Queneau).
La limite entre un suffixe (qui modifie le sens d'un mot ou sa valeur)
et la paragoge me semble bien floue. Serait paragoge tout suffixe que
l'on ne parviendrait pas vraiment à reconnaître dans un système établi
et dont le sens n'aurait pas été vraiment défini.>> (...) en ses affaires il se trouve assez neuf et ne voit encore guères
>>(...) MOLIèRE, l'Étourdi, II, 2.
>> Il n'y avait guères de jours qu'il ne bombardât ainsi quelqu'un.
>>SAINT-SIMON, Mémoires, II, XLIV.
>
>Grevisse nous en dit ceci, dans son Bon Usage:
>
>> L's adverbial. - Plusieurs adverbes on un s final qu'explique l'étymologie:
>>
>> Plus, moins, pis: du lat. plus, minus, peius. Jadis, contradiction (sic) de
>> l'anc. fr. ja a dis « il y a déjà des jours ». En outre, le mot-phrase certes
>> (lat. vulg. certas) et des prépositions dans et vers (lat. -intus et versus).
>>
>> La Langue du Moyen Âge a, par analogie, ajouté cet s, qu'on appelle s adverbial,
>> à beaucoup de mots (adverbes, prépositions, conjonctions) qui, étymologiquement, n'y
>> avaient pas droit. Certaines de ces formes existent encore.
>> ...
>>
>> D'autres adverbes ou prépositions ont gardé plus ou moins longtemps une variante en s,
>> non seulement chez les poètes, où cela facilitait le mètre et la rime, mais même en
>> prose.
>>
>> Avecques... Doncques... Encores... Mesmes... Presques
>>
>> Guères a subsisté bien plus longtemps, non seulement en vers, où il rime avec guerres
>> (Béranger, Vieux caporal), avec vulgaires (Apollin., Poèmes à Lou, XIV), etc., mais aussi
>> en prose, même devant consonne: Montesq., L. pers., LVII; Mérimée, Corresp., 23 juin 1833;
>> Barbey D'aur., Vieille Maîtresse, Pl., p. 281...; C. Pelletan, Préf. des ¼uvres de Valade;
>> Huymans, Lettres inédites à J. Destrée, pp. 92, 153...; A. Mockel, dans Gide et Mockel,
>> Corresp., p. 44.