Les noms d'arbres indo-européens étaient en
général féminins en latin car ils étaient
associés à la Terre-mère. Mais les féminins
latins en
-us (aulne, orme, frêne) ont été
attirés vers le masculin, par analogie avec la deuxième
déclinaison. Les noms de fruits neutres (
pomum) sont
passés au féminin par l'emploi de la forme de l'accusatif
pluriel (
poma), et c'est le cas des fruits les plus anciens à
quelques exceptions près (abricot).
De la même manière, le féminin
arbor changeait de genre. Les autres noms
d'arbres, quelle que soit leur origine, sont depuis masculins en
français et même s'ils ne possèdent pas le suffixe
en
-ier. En revanche, les plantes sont le plus souvent au
féminin dans le registre courant et non scientifique. Les
plantations d'arbres restent féminines : le chêne, la
chênaie.
Je me demande seulement si ce bel ordonnancement, digne d'un jardin
à la française, est aussi impeccable qu'il le semble. Il
doit bien exister quelques exceptions, des arbres de genre
féminin, pour venir déranger cette symétrie.
L'anone
Fruit charnu, sucré et parfumé, appelé aussi pomme
cannelle (corossol), d'un arbre des régions équatoriales;
cet arbre lui-même (anonacées), rappelant le pommier.
Genre de plantes qui est le type des anonacées. Le terme est
récent et il ne provient pas du latin. Le mot apparaît
sous la forme
anon en 1556, puis
anone en 1740, il est issu de l'espagnol
anona qui donne aussi l'ananas, masculin.
L'aubépine
Vient d'
albus spinus. Mais il a existé
une forme
aubépin (aubespin, aubepin)
jusqu'à la fin du XIX
e s, même si elle était depuis
longtemps vieillie. Elle est encore présente dans le
Dictionnaire de l'Académie en 1878. La forme non soudée,
aulbe espine, suivait le genre d'épine. Une distinction a
été effectuée entre le buisson masculin
(aubépin) et l'épine féminine (aubépine).
Aubépin figure encore
dans le TLF. L'aubépine n'est pas un buisson, mais c'est une
forme de régression linguistique par le retour au féminin
latin.
La badiane
Littré qualifie la badiane de grand arbre, mais je crains qu'il
n'en ait vu aucune de près. La badiane apparaît en français en 1681 du persan
badian
« anis ». C'est un arbuste du sud de la Chine et
du Tonkin (magnoliacées), dont les fruits (anis
étoilé) sont aromatiques et ont des
propriétés pharmacologiques.
La cascara
La cascara des montagnes Rocheuses (rhamnacées) est un arbre tropical des montagnes Rocheuses. Le mot espagnol
cascara
(1890) désigne l'écorce qui séchée a des
vertus purgatives. On a donc affaire à une métonymie
récente.
Le casuarina
Ce nom d'apparence féminine est en fait masculin. Il provient du latin botanique
casuaris (1786), de
casoaris
« casoar », à cause des rameaux plumeux de
cet arbre C'est un grand arbre d'Australie et de Malaisie
(casuarinacées) à caractères morphologiques
primitifs, appelé bois-de-fer à cause de son bois
très dur. On le nomme aussi
filao à Madagascar.
La coudre
Ce synonyme du coudrier ou noisetier est encore employé en
Normandie. Mais le féminin existait en ancien français
« Desor une coudre menue » (Roman de Renart), ou en moyen
français « Les barreaux sont de til [tilleul], et la
perchette blanche Qui traverse la cage est d'une coudre franche »
(Ronsard).
L'érythrine
Elle apparaît en 1786, son nom est tiré de la couleur rouge (
étythro).
Elle désigne un arbre ou arbrisseau (légumineuses)
exotique à bois blanc et à belles fleurs rouges.
La ketmie
Son nom vient du latin botanique
ketmia (1694), de l'arabe
hatmi « guimauve ». Le terme est francisé en
ketmie
en 1763. Cela se rapporte à un arbre ou arbrisseau
(malvacées) des régions chaudes dont certaines
variétés sont cultivées en France, et dont le
fruit est le
nafé. D'autres formes du même nom sont l'
hibiscus (1786), la
guimauve (XII
e s.), le
marshmallow
! Le nom botanique althæa pour la variété non
tropicale des malvacées est indifféremment masculin et
féminin.
La malpighie
Elle tire son nom de Malpighi, anatomiste et botaniste italien (1765).
C'est une plante tropicale (malpighiacées), arbre à
feuilles épineuses, à fruits comestibles appelés
cerises des Antilles.
La verne
Le gaulois vernos est souvent masculin. Mais en Berry il donne
vargne,
féminin ; en provençal, c'est
vern ou
vernha.
Des noms locaux comme la Vergne ou la Verne semblent plus
témoigner d'un endroit plantés de vernes. Toutefois, ils
se situent plus dans la partie sud de la France et dans l'Ouest
où le nom de l'aulne a moins bien pris.
La ximénie
Du nom de Ximénès, missionnaire espagnol (1765). C'est un
petit arbre des régions tropicales (olacacées), dont les
fruits sont appelés pommes ou citrons de mer. On emploie aussi
le mot le masculin
ximenia.
L'yeuse
Ce nom féminin apparaît en moyen français en 1552. Il vient du provençal
euse (XIVe) ; du latin
ilex.
Il se rapporte au chêne vert. Le mot masculin à l'origine
est devenu féminin à date récente par le fait
d'une initiale avec voyelle et donc un article élidé.
On trouve
également l'ignatie, la gmélinie, la mammée (ou arbre aux mamelles), la
pagaie, la pamplemousse (à ne pas confondre avec le pamplemoussier), la
parive, la pavette, la périploque, la phlomide, la planère (ou
orme de Sibérie), la premme (arbre de la migraine), la serpentine, la
stillingie (arbre à suif), la tanghinie, mais de toute cette forêt, Robert ne
retient que la pamplemousse.
Merci à Joye, Michel Guillou, Franck
Verhack, Clément-Noël Douady.
Que conclure ? D'abord les désignations anciennes des arbres en
français sont presque exclusivement masculines et que cela n'a
pas changé. Les féminins latins sont bien devenus des
masculins, contrairement à ce qui s'est produit dans les autres
langues romanes. On doit supposer que le féminin était
perçu comme un collectif ou un objet à cueillir, le
masculin comme un nom spécifique en gaulois. Les quelques
cas d'hésitations comme pour
coudre (féminin et masculin en ancien français) ou
verne ou
yeuse
ne remettent pas en cause le système. Pas plus que l'apparition
de nouveaux noms d'arbres exotiques de manière tardive, la
plupart sont masculinisés malgré une terminaison en
-a.
Ensuite, il a pu y avoir une hésitation entre les arbres
masculins et les arbustes ou les plantes au féminin, dans la
désignation de certaines pousses comme des arbres ou
plutôt des arbustes, mais tout cela reste marginal. Le
basculement du féminin au masculin du latin au français
demeure néanmoins une énigme qui doit tenir compte des
représentations de l'arbre par nos ancêtres. Et on entre
dans une forêt obscure.
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