La pomme


Il existe plusieurs racines de mots dans les langues européennes pour désigner le fruit de la pomme.

1. Malum

C'est le nom traditionnel de ce fruit en latin. Il provient du grec to mhlon qui désignait aussi la pomme douce par le terme  melmhlon à partir du nom du miel. Le nom traditionnel de la pomme a été conservé en italien (mela, le pommier est melo), en corse (melu, pommier, mela pomme), en roumain (măr), en albanais (mollë), en portugais maçã. Le nom grec pouvait désigner indifféremment plusieurs fruits et il s'ensuit des confusions.

Notre propre melon provient lui de l'abréviation du latin classique melopepo, sous la forme melo. C'était un emprunt au grec mêlopepon, qui désignait une pomme, un coing, ou un autre fruit, avec un autre élément voulant dire « cuit par le soleil, mûr ».

Il convient de remarquer que l'espagnol désigne la pêche sous la forme melocotón, soit le fruit à peau de coton, alors que le nom de la pêche vient de persica pomum en latin, le fruit de la Perse. Le nom générique melon a continué ainsi en espagnol.

La confusion entre la pomme et le coing en grec et en latin s'est retrouvée dans le portugais marmelo,
« coing ». Ce terme est issu de melimellus qui voulait dire en latin populaire « pomme douce », « coings avec de la confiture ». La marmelade apparaît en français en 1521, elle est empruntée au portugais marmelada
« confiture de coings ». L'espagnol adopte aussi directement la mermelada, l'italien la marmelatta. L'allemand emprunte la Marmelade comme l'anglais la marmalade à partir du français. Toutefois, le mot marmelade a changé de sens en anglais puisqu'il ne désigne plus une confiture de coings, mais d'oranges.

Cependant, les aventures de ce melon sont plus compliquées encore... La pomme (mêlon) à terre (khamai) était khamaimêlon en grec et a donné le latin impérial chamaemeleon. Cela désignait une plante qui est devenue la camomille à partir du latin médiévial camomilla (fin IXe s.) et puis un animal, le caméléon, que l'on a considéré comme un lion rampant à terre. La cameline est aussi apparentée étymologiquement à cette camomille. En quelque sorte, la camomille est une pomme de terre et nous verrons les aventures de cette farineuse aussi.


2. Pomum


Tout comme l'étymon précédent, celui-ci non plus n'est pas indoeuropéen. Les origines des emprunts à des langues antérieures sont mystérieuses. Le terme désignait pour les Latins tout fruit et non pas celui du pommier exclusivement. 

En italien, en roumain, en ancien espagnol et en ancien catalan, le mot issu du latin pomum désigne encore tout fruit. Cependant en bas-latin, ce nom s'est spécialisé pour désigner le fruit du pommier en Italie du Nord, en Rhétie et dans les domaines ibérique et gallo-romain. Si l'italien pomo désigne le fruit ou l'arbre fruitier, le romanche pom se rapporte à la pomme et le pluriel poma à tout fruit. Le portugais a conservé pomar dans le sens de verger.

Le nom de la pomme en français est issu du pluriel de pomum, poma. Le nom était neutre en latin, tout comme malum. Le mot a été pris comme un collectif, des pommes. Puis, ce collectif a été perçu comme un féminin singulier. Le même processus s'est passé en italien où malum, pluriel mala, a donné mela.

Ce nom apparaît en français d'abord sous la forme pum (1080), puis pom et enfin pomme à la fin du XIIIe s. La conservation du -e en finale provient de l'amuïssement du -a latin. Le redoublement du m n'est pas étymologique, il est lié à la nasalisation de la voyelle devant la consonne. Le même phénomène s'est produit pour hominem qui donne homme, pour feminam qui donne femme.

Le nom de la pomme perçu comme un fruit a servi dans des noms composés en français comme dans d'autres langues. Une page est consacrée à ces pommes particulières.


3. Abalo



Il s'agit du terme le plus mystérieux. On cite souvent comme origine la ville d'Abella, en Campanie, près de Naples, que Virgile déclare mālifera, « riche en pommes ». On évoque encore la glose thrace dinupula, citrouille sauvage, que l'on explique par « pomme à chien ». Toutefois, le radical est le plus répandu en Europe :
vieux-haut-allemand : aphul ; allemand : Apfel
anglais : apple
biélorusse : yáblik
breton : aval ; avallen : pommier
bulgare : yábelka
danois : æble
gallois : afal ; afall : pommier
irlandais : ubull  ; vieil irlandais : aball, pommier
islandais : epli
letton : ābols
lituanien : óbuolas ; obelis : pommier
néerlandais : appel
norvégien : eple
polonais : jabłko
russe : yábloko
vieux-slave : ablŭko
serbo-croate : jabuka
slovène : jabolko
suédois : äple
tchèque : jablko
ukrainien : yábluko

Les formes balto-slaves n'ont pu être empruntées au latin par l'intermédiaire du germanique. Les noms germaniques se sont spirantisés et assourdis. Les noms slaves ont été pourvus d'un suffixe. L'initiale s'est aussi palatalisée tardivement, mais la syncope était déjà faite sauf en slovène sans doute par une influence dalmate. Les noms celtiques présentent une spirantisation et un passage à la vélaire similaire des noms germaniques. La vélaire sourde et sonore se trouve en gallois et en breton, mais elle était aussi attestée dans le glossaire de Vienne sous la forme avallo, glosée poma. On peut supposer un emprunt des langues germaniques au gallo-romain et un emprunt direct des langues slaves au latin. Les formes baltes montrent que le nom a été connu à date prélittéraire, directement à partir du latin et sans intermédiaire slave.

Les langues celtiques connaissent une opposition entre le pommier féminin à consonne géminée et la pomme neutre à consonne simple. Le genre des arbres et des fruits latins a changé en gallo-romain, mais cette modification française ne s'est pas produite dans les langues celtiques. On peut supposer une influence germanique en français.

Le nom gaulois *abulus ou *abulo se retrouve peut-être dans celui de l'érable en français.

En tout cas, la pomme subsiste dans de nombreux toponymes : Avallon dans l'Yonne et dans la Drôme est la pommeraie, comme Ollon dans la Drôme (Avalono) et en Suisse (Aulonum). Les villes de Valuejols dans le Cantal et de Valeuil dans l'Eure et en Dordogne sont des lieux de pommiers, ils ont subi une aphérèse sans doute à cause d'une déglutination de l'article. Le bourg d'Avalleur dans l'Aube est le marché (duron) des pommes. Tous ces noms de lieux montrent que la spirantisation était courante en gallo-romain.


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