La prune


Le mot prune est attesté au XIIe s. C'est le pluriel pruna d'un nom neutre prunum qui a été pris pour un féminin singulier comme dans le cas de pomum, poma. Ce mot se rapportait à différents arbres fruitiers, sa racine n'est pas indoeuropéenne : elle a été empruntée à une population antérieure. Le grec possède aussi proumnon.

Le terme se rapporte par métonymie à l'eau-de-vie obtenue à partir de ce fruit (1410). La locution avoir sa prune désigne l'ivresse (1867). Par métaphore, le mot désigne en apposition une couleur. Une variété de cette couleur peut être d'un violet tirant sur le bordeaux lorsqu'elle se nomme prune de Monsieur. Plaisamment, la prune de Monsieur désigne en argot l'archévêque (1836). En anglais, cela se traduit par Orleans plum, ce qui est une traduction exacte car le nom du duc d'Orléans ou frère du roi était Monsieur.

Familièrement, le mot prune désigne un coup, une blessure. Ce sens est ancien (1330), il entre en concurrence avec pêche et avec pruneau (1830). Il est étendu au coup de poing (1899). On trouve ce sens dans avoir de la prune ou une frappe puissante (1960). Cela motive l'extension de sens pour une balle d'arme à feu (1650), en concurrence avec pruneau. Le dérivé pruner (1954) reste rare avec le sens de frapper. Ce sens de coup se retrouve encore dans la contravention (1957).

Au pluriel, ce sont les testicules (1864) par métaphore. En Lorraine, une saute-aux-prunes est une jeune fille de mœurs légères et d'abord facile. La même image se retrouve pour les pruneaux (1957) qui ont été également les yeux (1866). Au singulier, cela peut être encore un étron pour la prune (1957) et pour le pruneau (1866). L'idée d'excrément est ancienne : prunes de prophétie, « des crottes d'animal, des gringuenaudes » (XVIe s.)  

L'idée du peu de valeur est similaire à celle de la nèfle et de la guigne. On la trouve au XIIe s. ne preisier une prune « n'avoir aucune estime pour », en 1202 ne pas doner une prune « n'attribuer aucune valeur », XIIIe s. ne valoir une prune « ne rien valoir ». La locution travailler pour des prunes apparaît vers 1507-1508 et elle est l'aboutissement d'une dévalorisation du fruit : le proverbe Mangez de nos prunes, nos pourceaux n'en veulent plus (XVIe s.) montre qu'il s'agit d'un fruit commun. Ou encore : Il aime mieux deux oeufs qu'une prune, c'est-à-dire il n'est pas niais, il entend ses intérêts.

D'autres locutions comme viennent les prunes « l'été prochain » (1730), aux prunes (1848) pour « l'été dernier » sont vieillies. On les retrouve cependant dans l'expression argotique x années aux prunes.

Les dérivés de prune sont fort nombreux.
— Le prunier (1393) est une réfection de pruner et pronnier. On notera une hésitation à l'initiale entre o et u que l'on retrouve dans pronellier (XVe s.) La locution secouer comme un prunier (1874) est dérivée du sens métaphorique de prune comme coup.
— La prunelle (XIe s.) a dès le début le sens métaphorique de pupille de l'œil et elle entre dans l'expression « sicum la purnelle de sun oil » (1120). Mais elle avait aussi le sens de petite prune globuleuse (1165). Elle entre dans l'expression familière jouer de la prunelle au XVIIe s.  
— Le prunellier (1694 et antérieurement en occitan) est construit comme les autres noms d'arbres.
— La prunelée et le prunelet sont des plats du XIXe s.
— Le pruneau (1512) désigne une prune séchée, le mot est une réfection de proniaulx (1507) avec la même indécision sur la voyelle initiale. Dans l'Est, le pruneau désigne une quetsche et le pruneau sec la prune séchée. Ce terme est en concurrence avec la prune pour le sens de balle (1830).

En occitan, c'est pruna, prugna en italien, plum en anglais comme dans plum pudding, pruim en néerlandais, Pflaume en allemand, mais ciruela en espagnol, ameixa en portugais. La forme allemande antérieure à la deuxième mutation consonantique montre que le terme prunum a été adopté très tôt, avant le Ve s. De même, le terme anglais plum laisse supposer un intermédiaire bien avant l'anglo-normand du fait de la modification de r en l et le passage de la finale n en m. Les termes ibériques montrent que les espèces possédaient des noms locaux, non indoeuropéens, ce qui se retrouve peut-être avec la beloce.
 

La beloce
 

L'ancien français connaissait la beloce (ou buloce) « prune sauvage » qui a survécu dans quelques parlers du nord de la France. Le terme bas-latin bulluca est peut-être d'origine celtique, sans aucune certitude car cela repose sur un rapprochement assez complexe avec un autre nom de plante sans rapport avec les fruits. Un rapprochement avec bulla n'est pas à exclure.
 

Revenir au jardin

Revenir au sommaire