Aller
Le latin employait le verbe eo, is, ire pour exprimer l'idée de se déplacer
en un lieu. Ce verbe souvent monosyllabique a été remplacé par des formes
plus longues dès la première période romane. J'examinerai l'ensemble des formes
romanes et non simplement celle du français.
1. Mergere
2. Adnare
3. Ambulare
4. Vadere
5. Ire
1. Mergere
Aller se dit en roumain a merge. Ce verbe remonte à mergo, mersi, mersum,
mergere. Il exprimait l'idée de plonger, d'enfoncer,
et au sens figuré d'engloutir, de cacher, de rendre invisible, donc de disparaître.
Ces sens dérivés existaient déjà en latin classique, par exemple dans sol
mergit, « le soleil se plonge dans la mer ». De l'idée de disparition, on
passe à celle de l'éloignement et donc au fait de marcher afin de partir,
puis de marcher tout court. Le roumain est la seule langue romane à avoir
remplacé ire par ce verbe.
2. Adnare
Le verbe
adnare voulait dire « nager vers », il est
composé de la préposition ad exprimant la direction et de nato, navi, nare
qui se retrouve dans la formation des verbes nager ou naviguer en français.
Le verbe a donné régulièrement anar en occitan et en catalan par assimilation
de la dentale, mais il s'est produit une métathèse en italien (andare), en
espagnol et en portugais (andar). Cette interversion est probablement due
à l'influence de l'adverbe inde qui exprime le point de départ.
3. Ambulare
Le verbe
ambulare signifiait « marcher ». Il a
évolué en ambler en ancien français (qui survit dans l'expression aller l'amble
pour les chevaux), umbla en roumain. La voyelle prétonique subit la syncope
normalement et les dentales sonores sont en contact par paresse articulatoire
Les dérivés comme ambuler, déambuler sont des formations savantes tardives,
elles sont forgées directement à partir du latin.
Une deuxième forme est la contraction alare, en ancien français aler, en
français moderne aller. Elle provient de formules interjectives à l'impératif
: *allamus, *allatis. On trouve dans les Gloses de Reichenau (huitième siècle)
les traductions : transgredere, ultra alare ; profectus, alatus. Le radical
en all- est particulier à la France du Nord. On le retrouve au présent (4
et 5), il se transmet donc à l'imparfait formé sur ces personnes tout comme
au participe présent ou à l'infinitif. Le passé simple, le participe passé
sont analogiques.
Cette forme se retrouve cependant aussi en frioulan : lin (*alamus) et
lais (*alatis) par aphérèse.
4. Vadere
Le verbe
vadere voulait dire « aller, marcher, s'avancer
». Il est issu du même thème indoeuropéen que le grec βαινω. Il appartient
à la base *wadh, avec l'idée d'aller de l'avant. On le retrouve dans les mots
français évader, invasion (formation sur le participe, vasus), invasion, guéer
(avec influence du w germanique pour un changement de l'initiale en gu-,
cf. anglais wade, « passer à gué »).
Le verbe latin a été repris partiellement un peu partout.
— Français : vois ou vai (puis vais), vas, vait (ou vat, vet), vont.
— Italien : vò, vai, va, vanno. On trouve la forme 6 vonno chez Dante.
— Espagnol : vo ( puis voy), vas, va, van.
— Portugais : vou, vais, vai, vão.
Les formes du pluriel 4 et 5 ont subsisté dans l'Ibérie : espagnol vamos,
vais, portugais vamos. Elles étaient en concurrence avec les formes issues
du ire jusqu'au seizième siècle. Elles ont survécu en gascon (bam, batz),
dans le nord de l'Italie (milanais, vam). Elles sont issues de formes contractes
*vamus, *vatis.
Le romanche présente des formes identiques aux personnes 2, 3 et 6. Toutefois,
les autres radicaux sont plus obscurs :
— 1 : mondẹl, mom, vom (venio, sans doute avec contamination), ven (venio)
;
— 4 : męin, dyaints ;
— 5 : męis, dyais.
Le radical en dy- suit une morphologie latine, il peut être issu de vadere
par aphérèse. La personne 4 dyaints peut s'expliquer par la production d'une
dentale /t/ sourde au contact de deux autres sourdes : *(va)demus >dyiams
avec diphtongaison suite à la paltalisation, > dyians par affaiblissement
> dyiaints avec contamination de la palatale à la finale. Le radical en
m- est peut-être issu d'adminare (mener vers) avec aphérèse. En tout cas,
il y a eu préservation de la désinence 1 en -m comme en latin pour l'imparfait,
le subjonctif.
L'emploi du verbe venire n'est pas anomal. Il y a confusion habituelle
entre le fait de se déplacer vers et de se déplacer à partir de.
Le subjonctif classique vadam a donné l'italien vada (toscan vadia), le
portugais va, l'espagnol vaya (sans doute par contamination de vadam avec
eam issu de ire, d'où *vadeam).
L'impératif classique va est passé à *vadi en Ibérie : gascon bé, espagnol
ve, portugais vai.
5. Ire
Il s'agit du verbe latin classique, eo, is,
ire. Cependant,
il convient de remarquer qu'il possédait déjà deux radicaux différents. Le
thème indoeuropéen
*eis-se (de *H
1ey-) a subi une vocalisation
en
ĭ devant consonne. On a donc une alternance de formes en
e
et en
i :
— Présent : eo, eunt.
— Présent is, it, imus, itis, futur ibo, imparfait ibam, participe itus,
parfait ivi (ii), infinitif ire.
Les formes en e n'ont pas survécu.
L'infinitif s'est conservé dans le domaine occidental : espagnol, portugais,
occitan ir, romanche i, ir, ou ikr. Au sud de l'Italie, il est devenu gire
(d'où le giro) par une forme intermédiaire *yire qui produit une palatalisation.
L'infinitif sert de base au futur d'abord périphrastique (ire habeo, j'ai
à aller). On le retrouve donc en espagnol (iré), en portugais (irei), en occitan
(irai), en français (irai).
L'infinitif latin de ce verbe était déjà passé de
*eis-se à
ire
par rhotacisme à l'intervocalique. Il était donc devenu régulier au contraire
des composés ou dérivés de
esse (être). Toutefois, en français, l'infinitif
d'aller n'a pas servi de base, en italien c'est même adnare qui donne andrò
au futur.
La quasi disparition de ce radical tient à sa brièveté. Le français et
l'occitan ont refait l'imparfait d'aller sur le radical d'aller qui était
plus long et qui était présent aux personnes fortes du présent, 4 et 5. En
revanche, l'italien (iva), l'espagnol (iba), le portugais (ia) ont conservé
le radical en i- à partir de ibam.
De même, les formes imos, ides en espagnol et en portugais sont attestées
jusqu'au seizième siècle. Il y a eu réfection analogique et alignement du
radical en e- sur le radical en i-.
Le participe français est formé sur all-, mais le participe s'aligne sur
les personnes fortes du présent. Or le gérondif est en espagnol
yendo,
en portugais
indo, à partir de
eundum, refait en
*indum
à partir du participe
iens.
La suite des aventures d'
aller en français est
ici.
Notre héros se demande où
il peut bien aller après un tel spectacle.
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