Aller
(suite)
Le verbe
aller est donc issu en
français de trois radicaux différents.
—
Ire, du latin classique, comme
en espagnol, portugais, occitan pour le futur.
—
Allare, réduction de
ambulare, forme propre au français même
si elle est aussi présente différemment en roumain et en frioulan.
—
Vadere aux personnes 1, 2, 3
et 6 du présent de l'indicatif, comme en italien, espagnol, portugais, et
partiellement le romanche. Toutefois, ce radical était aussi employé au subjonctif.
1. La forme ire
Elle ne présente aucune difficulté. Son maintien au futur doit à la construction
périphrastique de ce temps : ire habeo réduit ensuite en
*ayyo comme les autres locutions verbales
régulières était polysyllabique et suffisamment clair pour se maintenir au
contraire des autres formes brèves en roman. On trouve donc ce radical au
futur simple (
j'irai) et au conditionnel
(
j'irais). L'évolution des désinences
a été celle de tous les autres futurs réguliers. Il faut noter néanmoins que
le verbe
aller ne forme pas son
futur sur l'infinitif du verbe, mais il partage ce trait avec l'espagnol (
andar, iré), le portugais (
andar, irei), l'occitan (
anar, irai).
2. La forme allare
C'est la plus productive. Elle part du présent
*allamus et
*allatis. La formation des désinences
suit une évolution normale. L'influence des personnes fortes du présent de
l'indicatif s'est étendue à l'imparfait, au passé simple, au participe présent.
Toutefois, le cas du subjonctif présente des particularités. D'abord, le subjonctif
présent offre un radical différent, il s'agit de
aill-, mais ce genre de modification est
habituelle pour les verbes fréquents (
je
sache, je veuille, je puisse, je fasse, je prenne, je tienne, je vienne).
Ensuite, la base du subjonctif est unique alors que celle de l'indicatif
est double. Enfin, les formes anciennes révèlent un conflit entre les radicaux.
Formes sur vadere
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Formes sur allare
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Formes sur allare
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je voise
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j'alge
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j'aille
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tu voises
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tu alges
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tu ailles
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il voise,
voist, voiset
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il alge
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il aille,
alt, aut
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nous voisiens,
voisions
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nous algiens,
algions
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nous ailliens,
aillions
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vous voisiez
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vous algiez
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vous ailliez
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il voisent
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il algent
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il aillent
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Ces trois paradigmes sont analogiques. Le premier est formé sur le présent
je vois (devenu
je vais). Il était encore utilisé à la
fin dix-septième siècle dans la bourgeoisie parisienne. Le deuxième contient
une marque dialectale
-ge issue du
/l/ palatal. Le troisième est formé à partir des équivalences entre les verbes
aller et
valoir :
je vaille, j'aille comme
nous allons, nous vaillions et
nous aillions. La conjugaison de
valoir est régulière et attendue :
valeam donne
vaille.
3. La forme vadere
Elle existe au présent de l'indicatif :
vais, vas, va, vont. Aussi à l'impératif
de deuxième personne :
va. Des formes
d'origine identique existent en espagnol, portugais, italien, romanche.
a. Vais
La forme
vais moderne est obscure.
On part de
*vao par syncope de
vado avant la date normale (cf. espagnol
vo, puis
voy, portugais
vou, italien
vò). La forme contractée a pu être combinée
avec un suffixe
*ayyo issu de la
conjugaison d'
habeo (>
*ayyo >
ai). Cette hypothèse est confortée par
l'espagnol
voy. Il existait deux
formes en ancien français :
vois
et
vai. La forme la plus anciennement
attestée est
vois avec un
-s analogique de la deuxième personne
qui est fort antérieur à tous les autres du même type. Ce
-s se retrouve d'ailleurs dans des verbes
similaires comme
je doins (indicatif
de
donner) ou
j'estois de
ester.
L'analogie avec
avoir,
ai, a pu entraîner
vai, sans la contraction à partir de
*vo. Cependant, l'évolution phonétique
de
vois vers
vais dès le moyen français, puis par diffusion
des formes en /è/. Il faut encore remarquer que la tournure
je vas était la plus usitée à la Cour
selon Vaugelas et qu'elle se conserve le mieux dans l'usage familier comme
« j'y vas-ti ». La forme
je vois
a été aussi employée au dix-septième siècle, par Maupas en 1625.
On a donc quatre formes historiques différentes, mais l'origine de la forme
actuelle est particulièrement confuse et elle résulte d'un compromis.
b. Va(s)
Il convient de distinguer l'indicatif de l'impératif :
— L'indicatif remonte à un emploi atone du
a de
vadis. Cette forme subit donc une syncope
du
d à date prélittéraire. Cela explique
l'absence de diphtongaison et le fait que cette personne n'a pu donner
vais. La variante graphique
ves,
vais est plus tardive (Béroul) et ne peut
représenter l'évolution de vadis.
— L'impératif remonte à
va en latin
classique. La forme était tonique. L'emploi du
s euphonique dans
vas-y est purement analogique.
c. Va(t)
Comme pour la deuxième personne, la syncope du
d a eu lieu à époque prélittéraire. Les
formes
vait, vat, vet ont existé.
Cependant,
vait pour
vat peut n'être qu'une simple variante
tonique, ce qui infirmerait l'hypothèse d'une origine par
vadit paroxyton.
La chute du
-t final est un résultat
attendu en ancien français (
chantet
donne
il chante). Toutefois, ce verbe
irrégulier ne s'est pas aligné sur les verbes du troisième groupe (
il fait, il plaît), mais sur ceux du premier
groupe. On a déjà vu en a que la forme régulière à l'époque classique était
en
va, il y a eu alignement de la
prononciation
je vas, tu vas, il va sur
l'impératif, forme fréquente.
Mais l'emploi de la locution
à Dieu vat ! pose des problèmes plus
complexes et je lui consacre une page particulière.
d. Vont
Le latin
vadunt accentué sur la
première syllabe est réduit en
*vaunt
à la même date que
vado en
*vao. la diphtongue
au est ensuite réduite en
o et subit la nasalisation à partir du
onzième siècle.
Deux professeurs de philologie romane se rendent
à un colloque et
sont poursuivis par un doctorant qui veut dérober le sujet
de leur communication sur les racines du verbe aller.
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