À
Dieu vat !
Selon Grevisse, il s'agirait d'une déformation populaire (du langage
maritime en fait) qui conduisait à rajouter un
t prononcé après
va. La forme serait selon lui un impératif
À Dieu va ! (le Bon Usage,
§ 765,
R. 2). Ce qui peut s'entrendre comme « toi (marin, ou navire) va
à Dieu » lorsque le navire se trouve au milieu d'une tempête.
Il existe des grammairiens pour exiger le
-t à la fin de l'expression,
sans doute par souci d'un archaïsme. Toutefois, la déformation
populaire d'un impératif me semble hautement improbable en finale
absolue. Admettons des phonèmes parasites dans des expressions où
le verbe n'est pas en finale (
vas-y par
analogie,
va-t'en par conservatisme),
mais
vat en finale de phrase et
alors que les circonstances recommandent d'aller vite ? L'impératif
est aussi inanalysable pour le sens (tu dois donc aller à Dieu est
une reformulation moderne), il ne s'agit pas en fait d'un ordre, mais d'une
prière formulée à la troisième personne. Pourquoi
des marins au milieu d'un péril auraient-ils rajouté le
t des liaisons alors que le verbe est
en finales et l'auraient-ils ensuite transmis à l'écrit et à
l'oral à des terriens ? Ces derniers tenant d'ailleurs bec et ongles
à la prononciation du t dans la locution. Tout cela ne tient pas.
Il n'y a pas plus de
-t ajouté
que de beurre en broche, le
t est
d'origine.
Le
-t existait en ancien français
à la troisième personne :
— indicatif présent :
va,
vat, vait, vet, les deux dernières formes étant moins
fréquentes ;
— subjonctif présent :
voise,
voiset, voist. Le subjonctif actuel est une réfection à
partir d'un autre radical (
vadere)
qui avait aussi donné ses propres au subjonctif, du latin populaire
alare (venant de
ambulare par contraction). L'ancien français
connaissait trois systèmes de subjonctifs différents, celui
en
voise est un de ceux qui ont été
pratiqués jusqu'au dix-septième siècle.
On part de
vadere en latin vulgaire
pour les formes fortes et le
-t est
la désinence attendue à partir de
vadit ou pour la forme refaite du subjonctif
sur
vois du présent de l'indicatif.
La fréquence d'emploi et surtout le rôle de semi-auxiliaire d'
aller ont conduit à la chute du
-t comme pour le verbe
avoir, les deux verbes ayant une évolution
relativement comparable aux présents. Mais cette chute de la finale
n'a pas forcément eu lieu partout. L'effacement du
-t en finale commence à se produire
au XIII
e s., mais il ne devient vraiment répandu à
Paris qu'au XVII
e s. Ce
-t
a parfaitement pu se maintenir en finale de verbes fréquents hors
Paris ! On a un certain nombre d'impératifs issus de subjonctifs :
aie, sois, sache, veuille, puisse.
Cette forme de subjonctif pour ne serait pas du tout anormale pour
un verbe aussi fréquent et déformé ! D'ailleurs, le subjonctif
sert de base pour la formation des impératifs de verbes très
fréquents. La confusion entre l'emploi du subjonctif au sens
du souhait et la forme de l'impératif (sans aucun sens dans ce cas)
a pu se produire.
J'analyse l'expression comme un subjonctif exprimant le souhait plus
ou moins similaire à
se Deus m'ait,
si m'ait Dex (que Dieu me vienne en aide,
à la grâce de Dieu, et en fait de sens assertif au contraire
de la précédente, mais à base optative au départ :
aussi vrai que Dieu m'aide, donc certes, par ma foi, assurément, en
toute vérité). C'est donc qu'il aille dans les mains de Dieu,
je m'en remets à Dieu. Tout le contraire de
va à
Dieu qui est une impossibilité sémantique puisque ce
serait dire que Dieu représenterait la mort, mais c'est d'abord le
salut dans cette logique et donc on ne peut opter que pour l'optatif ou
le subjonctif. La préposition
à
indiquant la destination se retrouve d'ailleurs dans d'autres expressions
figées comme
à Dieu
ne
plaise ! aussi au subjonctif
et elle permet de se passer d'une conjonction ou d'un adverbe.
À Dieu vat ! eut encore le temps de dire
le malheureux jeune homme.
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