Le verbe avoir, deuxième partie
3. Les futurs
Le verbe avoir sert à former les futurs français.
Le latin possédait deux futurs syntétiques, l'un en -bo, l'autre avec un
changement de radical (ero, je serai) qui ont disparu en français
car leurs formes se confondaient avec celles de l'imparfait. Le bas-latin
a donc forgé un futur analytique à partir de la périphrase cantare habeo
(avoir à chanter). Toutefois, dans le cas des personnes 4 et 5, le
radical av- a disparu à une époque indéterminée du fait de la vitesse du
débit. Le e final des infinitifs latins était élidé devant voyelle, or le
h de habeo ne se prononçait plus depuis l'époque archaïque. Il est
donc apparu une nouvelle désinence en -rai ou -rais sentie comme distincte,
monosyllabique et tonique.
Les formes du verbe avoir sont ambiguës dans les
manuscrits car l'on n'avait qu'une lettre pour u et v. Il existait néanmoins
deux séries de conjugaison, l'une en avrai, l'autre en aurai. Il semble
que la chute du e prétonique dans le radical de l'infinitif conduise à la
formation d'une diphtongue : habere habeo > *awerayyo > awray >
aurai. La conservation de ce e jusqu'au VIe s. provoque
la consonnification en v de l'approximante w, d'où avrai. La forme aurai
est plus méridonale. Au XVIe s., les grammairiens notent l'usage
majoritaire d'avrai. Il existait en ancien français deux autres conjugaisons
dérivées des précédentes : arai et averai dans le Nord.
Cette modification du radical a influencé celle
de savoir, son futur régulier est savrai. Mais les deux verbes possèdent quelques
formes apparentées (sai, savons). Le v issu de p latin (sapere)
a donc été remplacé : les formes saurai et sarai sont donc analogiques.
Cette modification se produit aussi en occitan :
— verbe aver : aurai ;
— saber : sauprai. Dans ce cas, il y a eu
maintien de la consonne, mais transformation du radical.
En italien, il n'y a pas de transformation :
avró, sapró. L'espagnol a préservé le voisement de la consonne : habré.
En portugais, la voyelle finale de l'infinitif a été conservée : haverei.
Le portugais possède d'ailleurs un second verbe avoir au sens de tenir
: ter, terei au futur.
4. Le subjonctif présent
Le subjonctif d'avoir prolonge le subjonctif latin, habeam.
Cependant, de la même manière qu'habeo est devenu *ayyo, la
labiale s'est palatalisée en *ayyam. Le a final s'est conservé sous
la forme d'un e caduc. Toutefois, ce e final s'est effacé à la troisième personne
à date prélittéraire. Le paradigme était : aie, aies, ait, aiiens, aiiez,
aient. Il y a eu réfection de la première personne du pluriel en -ions
à partir des conjugaisons du présent et de l'imparfait.
Le verbe présente un yod aux personnes faibles. Il existait un grand nombre
de verbes en ancien français qui présentaient cette mouillure, mais à l'ensemble
des personnes et cela alors qu'elles avaient un subjonctif en -am
et non en -eam ou -iam : doigne (doner), poigne (pondre).
Cela a affecté les conjugaisons de vouloir (veuille), aller (aille), être
(soie) à ce temps. Le verbe avoir a donc exercé une influence indirecte.
Le subjonctif en occitan présente un changement de radical dû à la consonification
en j de yod : aja, ajas, aja, ajam, ajats, ajan. On retrouve cet
aspect en portugais : haja, hajas, etc. Mais ce n'est pas le cas en
espagnol : haya, hayas, etc. En italien, en revanche la consonne latine
ne s'est pas transformée en yod : abbia, etc. En roumain, une métathèse
de la voyelle s'est produite, ce qui a préservé le b latin : aibă.
5. L'imparfait
L'imparfait d'avoir ne soulève aucune difficulté, il est parfaitement
régulier et formé à partir du radical des personnes 4 et 5 du présent. Toutefois,
l'évolution d'habebam en latin a eu des conséquences sur la conjugaison
des autres verbes. En effet, il s'est produit une dissimilation qui a entraîné
la chûte du deuxième b dans habebam. Le résultat fut une conjugaison en -ea(m).
Le e fermé joua donc le rôle de marque du temps et il diphtongua au VIe
s. aux personnes fortes, il se ferma en i aux personnes faibles. Par analogie,
du fait de la fréquence du verbe avoir, les autres verbes prirent ces
désinences.
Le français présente un paradigme parfaitement régulier à ce temps. En revanche,
l'occitan a deux conjugaisons d'imparfait : une qui poursuit le latin (pensavi),
une abrégée (sentiái) ou avec sigmatisme (legissiái). La conjugaison
d'aver est abrégée : aviái. La conjugaison d'avoir (avere)
est régulière et formée sur le latin en italien : avevo ou rarement
aveva. L'espagnol a des formes complètes : hablaba. Mais aussi
des formes réduites : comia, vivia. Le verbe haber est là encore
abrégé : había. Le portugais procède de même. La forme complète :
gostava. La forme abrégée : queria, bebia. Le verbe
haver est abrégé : havia. Il a existé en ancien français une
conjugaison en -v issu de -b latin : chanteve, dans l'Est, à côté de
chantoue dans l'Ouest. Mais cette forme a disparu. Le roumain a connu une
évolution un peu différente : cintă remonte à -abam, tăceám à -eam sous l'influence de habeam.
On peut dire que l'influence du verbe avoir a été considérable, non seulement
pour le futur, mais aussi pour les formes plus ou moins régulières de l'imparfait
: elle s'est surtout exercée dans la majorité des langues sur les verbes issus
des conjugaisons en -ere et -ire, mais en français elle s'est
étendue aux verbes en -are (futur premier groupe) et même au verbe
être qui a un imparfait de forme latine avec un radical différent
dans les autres langues. Le verbe avoir est celui qui a eu le plus
de conséquences sur l'ensemble des conjugaisons.
Maître d'école romain ayant tenté d'apprendre
aux Gaulois à respecter
les désinences normales des conjugaisons latines.
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