Ouïr

 
 

Le verbe ouïr vient du latin audio, is, ire, audivi ou -ii, auditum. Le radical est rapproché du grec aiein « entendre », plus ancien que akouien. Il aurait remplacé un thème IE plus ancien *klew que l'on retrouve dans l'anglais loud, l'allemand lauten et lauschen, le grec kluô. Ce radical serait lié à celui de l'oreille, auris en latin, et donc serait un mot de la même famille qu'ausculter, écouter.

On peut remarquer que le verbe est devenu rare et littéraire en français alors qu'il reste courant dans les autres langues romanes : italien udire, espagnol oir, portugais ouvir. Le mot apparaît sous les formes audid (980) et oi (1080), puis à l'infinitif oir.
 

Présent de l'indicatif
 

latin
ancien français
français contemporain
audio
oi
ois
audis
oz, ois
ois
audit
ot, oit
oit
audimus
oons, oiez
oyons
auditis
oez, oiez
oyez
audiunt
oent, oient
oient
 La particularité de ce temps, c'est qu'il a été presque entièrement refait sur la 1re personne du singulier, ce qui est un phénomène rare car généralement cette personne est analogique des 2 et 3. En effet, seule la première personne avait conservé un yod devenu intervocalique : audio > * auyyo > *oyyo. Dans tous les autres cas, le yod ne pouvait se maintenir. En outre, ces formes sont analogiques d'un subjonctif (audiam > oie).

Les raisons de cette réfection sont multiples : il y avait d'abord une homonymie avec le passé simple d'avoir (1 oi, 3 ot). Ensuite, le o en hiatus avait tendance à s'affaiblir en e central, le verbe pooir sera refait ainsi en pouvoir (poons > pouvons) avec épenthèse d'un v. Sur le même principe que oir, le verbe seoir refera ses personnes 4 et 5 (seons, seez) sur le modèle de veoir (seions, seiez) avec épenthèse d'un i de transition.

Autres temps

Le présent du subjonctif (oie), l'imparfait du subjonctif (ouïssais), l'imparfait de l'indicatif (oyais) n'appellent pas vraiment de commentaires, ce sont des formes plus ou moins attendues. La présence du y dans l'imparfait est parfaitement justifiée historiquement puisque le yod était devenu intervocalique. L'impératif (ois) est l'un des premiers à avoir reçu un s analogique du présent de l'indicatif (oz du latin audi, Vie d'Alexis). D'ailleurs, ce s analogique est apparu en premier dans les verbes monosyllabiques qui pouvaient être homonymes d'autres mots.

Les futurs sont issus de la contraction de l'infinitif audire avec le verbe habere (avoir) au présent ou à l'imparfait. La forme médiévale était donc orrai qui présente un double inconvénient : elle est homonyme d'orer ou « prier » au passé simple et d'avoir au futur. Il existe donc trois futurs différents ! J'ouïrai, j'oirai et j'orrai (plus rare et plus archaïque). Toutes les personnes sont représentées. Ce futur rivalise avec celui de choir. La présence de la voyelle /u/ notée « ou » tient à un grand changement dans la langue au cours du XVIIe s., mais déjà esquissé au XVIe s. Il s'agit de la querelle des ouïstes et des non-ouïstes. Le o en syllabe initiale était prononcé par certains /u/ et par d'autres /o/, d'où des graphies comme souleil ou coleuvre, d'où des formes doubles pour des noms de lieux homonymes.

Le passé simple présente moins de singularités, mais il reprend lui aussi le radical en ou- : j'ouïs, avec tréma pour marquer la diérèse. Cette forme est du XVIe s., elle permet la différence avec le présent puisque le passé simple s'écrivait j'ois en ancien français. Le participe passé ouï était oi en ancien français à partir de auditus (accentué sur la deuxième syllabe).

Savourons ce passage de Littré :
 

Cette conjugaison, très régulière, est inusitée, excepté à l'infinitif présent et au participe passé, selon l'Académie ; mais il faut ajouter comme usités encore le parfait défini et l'imparfait du subjonctif ; les autres temps ne s'emploient que dans le style marotique ; pourtant il serait bien utile de remettre en usage oyant, et de dire en oyant, au lieu de en entendant, qui est si désagréable à l'oreille.
 Je me demande où le grand homme peut bien voir une quelconque régularité ! On a une série d'accidents et de bricolages. Il est plaisant aussi de voir qu'il dénigre les usages fantaisistes de certaines conjugaisons démodées et qu'il réclame en même temps une forme plus douce à son oreille. Néanmoins, les faux médiévismes sévissaient fort à son époque, et il suffisait déjà d'écrire oyez pour que cela ait une couleur gothique. Il existe des formes humoritiques : « Ouïssez ceci : le Figaro, ne sachant avec quoi emplir ses colonnes, s'est imaginé de dire que mon roman racontait la vie du chancelier Pasquier. » (Flaubert, Correspondance). 
 

Les sens

Le verbe ouïr était déjà rare au XVIIe s. et il était déjà noté comme défectif par le premier dictionnaire de l'académie française. Mais si on se rapporte à Furetière – auquel l'académie doit une bonne part des exemples pour ce mot – , les sens étaient très spécialisés :
 

OUÏR, signifie aussi, Estre present. Je n'ay pû ouïr la Messe que du bout de l'Eglise, je voyois seulement le Prestre.
OUÏR, signifie aussi, Donner audience. Un arrest contradictoire est celuy qu'on rend aprés avoir ouï les parties. Les sentences d'audience portent dans leur dispotif, Parties ouïes. Il faut ouïr le Procureur du Roy, le Procureur General dans les affaires où le public, les mineurs & l'Eglise ont interest. Les deputez d'une telle ville, les Ambassadeurs d'un tel Prince ont esté ouïs, ont esté admis à l'audience. Le President demande à un Advocat qui commence à plaider, Qui vous oit ? pour dire, Quel est l'Advocat contre vous ?
OUÏR, se dit aussi de ce qu'on dit en secret, en particulier. On a establi tant de Confesseurs pour ouïr les penitens en confession à Pasques. On a commis un tel Conseiller pour ouïr la deposition des témoins, pour ouïr un accusé dans son interrogatoire. Une assignation pour estre ouï, est quelque chose de moindre qu'un decret d'adjournement personnel. On dit aussi, j'ay ouï quelque bruit de cette affaire, pour dire, j'en ay entendu parler secrettement.
OUÏR, signifie aussi, Estudier sous un Maistre. Cet escolier va ouïr un tel Professeur, il fait son cours sous luy.
OUÏR, se dit figurément en choses morales. Le sang innocent respandu crie vengeance, se fait ouïr jusques dans le ciel. Il faut ouïr la voix du ciel, les inspirations qui nous viennent d'enhaut. La renommée fera ouïr le nom, la gloire de ce Prince jusques dans les siecles futurs.
OUÏR, signifie aussi, exaucer. Dieu a ouï les prieres de cette femme sterile, il luy a envoyé lignée. On dit, Dieu vous veuille bien ouïr, à ceux qui font quelque souhait à nostre avantage.


La plupart de ces sens ont disparu du vocabulaire courant même s'ils se retrouvent pour une part au XIXe s., il ne reste en fait guère que l'expression ouï-dire.
 

Les dérivés

Les déverbaux sont peu nombreux. Il y a le nom masculin ouï-dire (1200), qui donne la locution par ouï-dire en fait issue de l'infinitif et non du participe passé (oir est devenu oi). Le nom ouïe est plus employé, mais fort spécialisé, et se retrouve dans l'expression toute ouïe. Même oyant dans l'oyant-compte par opposition au rendant compte (1690, avec les mêmes règles d'accord que pour ayant-compte) a disparu de l'usage ordinaire. Un adjectif rare existe encore : ouïble, « Heureux à qui le devoir parle d'une voix ouïble qu'il ne s'y refuse point  » (Claudel, Tête d'or). On ne perçoit plus le lien avec entendre dans inouï (XVIe s.)
 

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