L'échalote
C'est
pas mon fort, mais quoi, le coup dans l'échalote, c'est mon
faible. Boris Vian
Cette plante potagère est originaire du Moyen Orient. Dite
Allium ascalonium ou ail d'Ascalon,
elle tire son nom du port d'Ascalon (Ashqenon) en Palestine.
L'échalote est de ce fait une antonomase. Elle aurait
été amenée en Europe par les Croisés, mais
elle y était déjà connue depuis l'Antiquité
où on la nommait
ascalonia
cæpa, oignon d'Ascalon. La première échalote
aurait été envoyée à Athènes par
Alexandre le Grand depuis Alexandrie. C'est une liliacée comme
l'ail et l'oignon.
Le nom français de l'échalote a été
echaloigne (XI
e s.),
escaluigne (XIII
e s.),
escalone, eschalogne. Plusieurs
phénomènes ont transformé ce nom :
– La présence d'un
e
initial n'est pas phonétique, mais analogique. Il s'agit d'une
attraction d'autres mots commençant par la même
séquence
esc- (échelle,
échasse) où
e
est une voyelle prosthétique servant à préserver
la formation de la consonne s suivie d'une autre consonne. On voit que
la chute des
s devant
consonne et avec allongement remonte aux débuts de l'ancien
français.
– La palatalisation de
k suivi
de
a est en fait tardive. Il
s'agit d'un phénomène régional et non d'un fait
roman. Cela aboutit à une chuintante.
– La finale montre une mouillure de
n
(
ign =
ñ comme dans
oignon) qui aboutit à une
affriquée dans le latin médiéval
scalongia. Cette mouillure est
identique à celle d'autres toponymes comme Gascogne, Bourgogne.
L'échalote et l'Europe
Ce nom français entre dans la formation de deux mots anglais :
–
Shallot est l'ancien terme
pour l'échalote et le terme pour la
ciboule.
Ce mot a été emprunté au moyen français, il
provient sans doute d'une mauvaise coupe ou déglutination
à partir de les chalotes pour l'échalote.
– Scalion existait en moyen anglais
scaloun, à partir
de l'anglo-normand
scalun. Il désigne l'échalote
même
.
L'altération de la finale en français s'est produite
vers 1500. Elle montre que l'origine de la plante n'était plus
comprise, c'est une réfection analogique sur les diminutifs en
-ot, -otte.
L'échalote est
scalogno
en italien,
chalote et
escaloña en espagnol,
chalota en portugais,
sjalot en néerlandais,
Schallotte en allemand. Le mot
italien montre une altération analogique : le mot
commençant par une voyelle s'est aligné sur d'autres mots
italiens présentant la séquence
sc-. On remarquera aussi le
changement de genre, le terme devient masculin en italien, c'est sans
doute dû au fait qu'il s'agit d'un oignon. Les autres noms
proviennent du français, l'emprunt est postérieur au
moyen français, sauf pour une des deux formes de l'espagnol qui
ne présente pas la déformation de la finale. Il est
frappant de voir aussi que dans tous les cas la voyelle initiale est
absente : il doit s'agir d'un emploi du féminin singulier pris
comme un pluriel et donc un collectif.
Rappelons encore que deux vils semenciers bataves De Groot en Slot et
Bejo-Zaden ne peuvent vendre sous le nom d'échalotes les
variétés Ambition et Matador qui tiennent plus du bulbe
de tulipe que d'un ail. La Commission européenne a reconnu comme
illégale l'inscription de ces variétés au
catalogue européen des semis. L'échalote est
d'abord française aujourd'hui, et plus encore bretonne.
Faut-il un t ou deux à
échalote ?
Le dictionnaire de l'Académie écrit
eschalotte en 1694, mais
eschalote en 1718 et
échalote à partir de
1740. Cependant la graphie avec deux
t
est encore très présente au XIX
e s.
Cela peut donner lieu à des
avis
de décès.
Et l'argot ?
L'échalote est une métaphore pour l'anus depuis 1953.
Cela reprend une métaphore plus ancienne (1890) de l'oignon
comme anus, par la ressemblance entre les fesses et un bulbe. Le fait
de courir après les fesses de quelqu'un motive ensuite la
course à l'échalote
dans le sens de course-poursuite en voiture (1975).
Une
grande production culturelle française.