La pomme de terre


Le nom de la pomme de terre change selon les langues européennes. Cependant, ils viennent presque tous de la même métaphore.

1. La patate

La pomme de terre provient de la région des Andes, Pérou et Chili. Le légume appelé patate douce et familièrement patate provient lui des Caraïbes et son nom est tiré de l'arawak haïtien batata de même sens. Ce nom a été emprunté à l'espagnol patata (1528) sous la forme pattate (1582) et patate (1603).

L'espagnol a aussi connu batata (1519). Le portugais batata dérive de l'une des formes espagnoles. Le mot est entré en danois et en norvégien potet, en suédois potetis, en anglais potato, en turc potates, en grec patata, en arabe batata (l'arabe ne connaît pas le p), en albanais patate, en italien patata. Ce nom désigne à la fois la patate douce et la pomme de terre. Pour tous ces pays, on peut supposer que l'emprunt s'est effectué directement et que la découverte de la pomme de terre a pris la voie de mer, directement à partir de l'Espagne pour le Portugal, l'Italie, la Turquie, la Grande-Bretagne, et par l'intermédiaire de cette dernière pour les pays scandinaves.

L'emploi du nom patate pour la pomme de terre en français a commencé au Canada en 1765, après la conquête de ce pays par le Royaume-Uni. Puis, le terme arrive en Europe avec ce sens en 1769. Il gagne d'abord les régions de l'Ouest et ensuite le français populaire. Le glissement de sens est donc d'abord dû à l'anglais, à une époque où la pomme de terre était encore peu cultivée en France.

Le mot subit une aphérèse en gallois taten et une apocope plus une épenthèse en gaélique prata.

Le mot patate sert à désigner le topinambour en français régional de Charleroi. Ce n'est pas sans lien avec le nom qui suit.

Petit jeu : saurez-vous reconnaître la vraie belle-de-Fontenay parmi ces images ?




2. La pomme de terre avant la pomme de terre.

L'expression pomme de terre apparaît en anglo-normand vers 1240. C'est un calque de l'expression latine malum terrae, pomme de la terre. Le nom spécifique de la pomme (malum) avait été remplacé en français par le nom générique des fruits, pomum. Ce nom latin est lui-même un calque du grec khamaimêlon, pomme à terre, qui a donné la camomille. Le nom latin a servi à désigner le cyclamen, l'aristoloche, un tubercule, une courge. On a retenu la métaphore par analogie avec le tubercule comestible. Toutefois, le mot a servi à désigner le topinambour (1655)  avec l'expression concurrente poire de terre, cela a duré jusqu'à la fin du XVIIIe  s.  où la pomme de terre s'est répandue.


3. La pomme de terre

La métaphore française a servi de modèle au calque moyen néerlandais erdappel, ancien haut-allemand ertapfel qui désignait des fruits poussant en terre. Dès le XVIIe s., l'allemand Erdapfel désignait le tubercule et le terme revient en français avec ce sens en 1750. La culture de la pomme de terre est venue par l'Est en France, après le séjour de prisonniers français en Prusse.

Des calques sémantiques existent dans d'autres langues : polonais ziemniak, tchèque zemče ou « de la terre » et le désuet mot russe zielyanoïe yabloko, calque parfait. Le calque existe encore en breton avec aval douar, en basque lursagar (pomme sagar), en arménien qednakhntzor (pomme khntzor), en grec katarevousia to geomilon.


4. La truffe de terre


La déformation allemande Kartoffel cependant a donné naissance au plus grand nombre de termes :
arménien : kartofil
bulgare : kartof
danois : kartoffel
estonien : kartul
géorgien : kartopili
islandais : kartafla
letton : kartufeļi
polonais : kartofel
roumain : cartof
russe : kartofel
ukrainien : kartopl

Cependant, la modification de Erdapfel en Kartoffel peut s'expliquer par le romanche qui emploie le mot truffel, issu de la truffa latine, autre tubercule à laquelle la pomme de terre a pu être associée. Le mot truffe désigne la pomme de terre en Berry, comme la treufe en Bourgogne, la trufa en Provence. Des formes sans -r et suffixées existent aussi : la tufelle à Genève, la tofoye ou tofaye dans les Vosges. Le provençal emploie aussi tartifle qui donne naissance à la tartiflette, plat à base de pommes de terre. Le milanais tartuffol, le vénitien tartufola nous rapprochent du nom de Tartuffe, tiré de l'italien.

Le préfixe tar- peut être interprêté comme le nom terrae et l'ensemble aurait été agglutiné, notamment en Occitanie et en Italie du Nord. La présence des dérivés de truffa dans une zone autour des Alpes et du Jura ou dans la France de l'Est montre une possible influence sur l'allemand méridional, lequel aurait palatalisé l'initiale t en k. L'emprunt se serait fait par le biais d'une forme sans r, mais avec la forme synthétique complète. Une confusion avec Erdapfel aurait affecté la finale.


5. La poire du sol


L'allemand connaît une autre métaphore, Grundbirne, la poire du sol, un peu comme l'ancien terme du topinambour. Ce mot a été adopté surtout en Autriche et c'est dans les anciennes terres de l'empire d'Autriche-Hongrie qu'on le rencontre :
hongrois : krumpli
luxembourgeois : Gromper
roumain : crumpenă
serbo-croate : krumpir
slovène : krompir
wallon : krompir
Rappelons que dans la bande dessinée Chaminou et le krompire, Macherot s'est servi du nom wallon de la pomme de terre par analogie phonétique avec le vampire.


Voici un article qui figure dans la réédition de cette bande dessinée.

« Crompire, f., pomme de terre (voy. bale, balot, canada, rantche) ; on les distingue en timprowes, hâtives 
(par ex.
mariolinne, milanèse, bleûs-oûy, dame di Brussèle ou rodjes-oûy) et en tådrowes, tardives (par ex. plate,
djèf, rodje, cwène di gade, boule d'ôr, industrîye, albèrt, édouwår ou rodje cou, infèrnåle ou crompire di pourcè) ;
on connaissait naguère les coquètes, les milôrds, etc.
Planter, rahop'ler, råyî lès ~ ; salåde ås ~ ; cûre (boûre ou porboûre dès ~, les bouillir à l'eau salée, après les
avoir pelées, sinon on
ajoute èl pèlote (= en robe de chambre) ; pèter dès ~, les cuire à sec sans les peler ;
rus'lêye di ~, grillade de pètèyès crompîres
qu'on faisait jadis sur le rustê (gril) ; à tout visiteur on faisait la
politesse de dire : prindez 'ne ~ so l'rustê ; – ine narène come
ine pètèye ~, un gros nez.
[All. /grundbirne/.] (sic)
Le dialecte wallon de Liège, par Jean Haust »


Le suédois a utilisé autrefois jordpäron, calque de la poire de sol. Ce terme est resté en finnois comme peruna.


5. Les antonomases


Le français a tenté brièvement de rendre hommage à Parmentier avec la parmentière.

La pomme de terre a été introduite en Bohème par des plants venus de Brandebourg et cela a donné le nom le plus courant en tchèque brambor. L'ukrainien barabola en dérive aussi probablement.

En hongrois, le légume était considéré comme venant des terres de la maison de Bourgogne ou l'Autriche et il a pris le nom de burgonya.

En allemand, elle peut être aussi Hollandeier.

6. Le bulbe


Le biélorusse bulba et le lituanien bulvè remontent au latin bulba. Ce sont des emprunts savants.

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