La grenade


Ce fruit tire son nom du grain ou de la graine, en latin granum. Le latin se servait du terme malum (la pomme) comme terme générique pour l'ensemble des fruits à pépins ou à noyau, par opposition à nux (la noix). L'expression latine était malum granatum, la pomme à grains ou grenue, que l'on trouve chez Pline. La racine indoeuropéenne *gran- ou *ger- se retrouve en anglais dans corn (grain, blé), kernel (amande), en allemand Korn (grain, blé), Kern (pépin, grain).

Les dérivés latins de grain sont fort nombreux. Sans examiner encore ceux de la grenade, on peut faire un premier tour d'horizon du français : grener, grenu, égrener, engrener, engrenage, grenier (d'où l'anglais granary qui est un calque de granarium), grenaille, granule (qui est un calque savant du latin granulum et qui passe en anglais), granuleux, grange (par le latin populaire granica, passe ensuite en anglais), granit (de l'italien granito, d'où ensuite l'anglais granite).

On constate tout de suite une particularité française par rapport aux autres langues latines. Dans le cas de granu(m), l'accent tombe sur la première syllabe et le mot diphtongue, puis subit la nasalisation. Le mot graine a suivi la même évolution, mais en moyen français la simplification de la nasalisation a concerné la voyelle et non la consonne. Le mot grange par contre n'a pas montré de diphtongaison car la première voyelle était entravée : gran(i)ca.  Dans le cas des autres dérivés, par exemple granarium, l'accent tombe sur l'avant-dernière syllabe. La voyelle prétonique s'affaiblit donc en passant à une aperture moyenne. Cette évolution de la famille de grain, graine explique la mutation qui s'est produite en ancien français pour la grenade par rapport aux autres mots en italien, occitan, catalan, espagnol.

Grenat

On rentre dans le premier mystère. L'adjectif est attesté vers 1150 et donc avant la première attestation de la pomme grenade (1165), mais il a tout de suite le sens de couleur de grenade. C'est un adjectif qui se rapporte alors à une pierre et qui qualifie la couleur d'une ceinture, non sa matière (en forme de graines). Ensuite, la première forme est granat, ce qui est un calque parfait de l'ancien occitan granat. Mais une analogie avec graine au sens de teinture d'écarlate (XIIe s.) a aussi dû jouer même si ce mot semble venir lui-même de la grenade comme telle . Le mot granat est refait ensuite sur grenade (XIVe s.) lequel reprend le suffixe du féminin occitan granada.

Comme substantif, c'est :
— Une pierre de couleur rouge sombre (1265).
— La couleur grenat en général (1622).
— Un minéral du système cubique, dans les tons rouge, vert ou noir.
— Une sorte de toile.
— Une espèce de colibri.
— Un nom pour la crevette, en concurrence avec grenade, par analogie de couleur.
— L'écorce des citrons dont on tire du jus.

En ancien français, le mot grenat ou granat a subi une métathèse – exactement comme grenier (XIIIe s.) qui était d'abord guernier (1155), toujours présent dans des patronymes – et cette métathèse a donné le mot anglais pour la couleur garnet (1310).

Grenade

En latin, à côté de pomum granatum, on trouvait aussi punicum malum (la pomme carthaginoise), punica arbos (l'arbre carthaginois ou le grenadier). L'adjectif punicus chez Horace et son dérivé puniceus voulaient dire rouge, pourpre. 

La grenade apparaît d'abord comme la pume grenate chez Chrétien de Troyes (1165), c'est donc la pomme grenade ou la pomme à grains. Le terme devient un nom en 1314, avec grenate, parfois avec pun de grenat (XIIIe s.) L'expression est empruntée aux dialectes de l'Italie du Nord (piémontais pum graná, lombard pom granat, istrien pom graná). La première syllabe est une adaptation à la famille française du mot italien granata. Notons que l'anglais pomegranate (1320) reprend la forme française ancienne, sans grande altération phonétique mais avec une agglutination qui fait disparaître plus ou moins la pomme.

La terminaison en -ade apparaît en moyen français, c'est une reprise de la terminaison espagnole (granada) et de la terminaison occitane typique des substantifs qui ne sont plus perçus comme des adjectifs à la Renaissance (aubade, sérénade, bravade, etc.) Il faut y voir une influence de la grenade espagnole comme projectile (1558 en français, 1591 en anglais). Cette terminaison n'a pas joué en néerlandais granaat(appel) ou en allemand Granate(apfel). Ces emprunts sont tous antérieurs au XIVe s.

Symboliquement, la grenade est un fruit chargé de sens : il représente la multiplication ovarienne du fait de ses pépins. Mais c'est encore en religion les bienfaits et les vertus innombrables de Dieu. Dans la mythologie gréco-romaine, ce sont les fautes qui conduisent au Tartare : Proserpine est descendue aux Enfers après avoir mangé une grenade.

Le mot se rapporte aussi à d'autres réalités :
— Fleur du grenadier, nommée balaustium chez Pline.
— Grenade de mer, corps dur contre les roches en mer assez semblable à  la grenade.
— Chevrette ou crevette, en concurrence avec grenat.
— Nom d'une forme de soie très prisée.

Sans rentrer dans la famille du projectile, on peut donner comme dérivés du fruit :
— Grenadier (1425), d'abord granatier (XIVe s.)
— Grenadine (1877), d'abord sirop grenadin (1866).
— Grenadin (1755) pour des viandes braisées de couleur rouge (veau, volaille, poisson).
— Grenadille (1598) pour un bois d'une couleur rouge-brun, à partir de l'espagnol granadillo.

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