La figue



Le mot latin ficus désignait à la fois l'arbre et le fruit. Ce terme est emprunté à une langue méditerranéenne pré-indoeuropéenne. En effet, le grec sukon présente une différence irrégulière par rapport au latin. Ce mot est comparable à pinus et pitus (le pin), pirus et apios (le poirier). Le nom du fruit était un mot féminin comme le nom de l'arbre. En latin, les noms d'arbres de la deuxième déclinaison sont féminins et ils ont changé de genre en français. En bas-latin, le nom du fruit est devenu neutre comme l'ensemble des autres noms de fruits (malum, pirum) : ficum. Ce neutre au pluriel été ensuite interprété comme un féminin singulier : fica. Néanmoins, le fait n'est pas général, l'italien a conservé le masculin fico (figue et figuier) dérivé de ficus, le portugais a le masculin figo (figue), l'espagnol le masculin higo sauf dans l'expression hacer la higa (faire la figue). Le portugais et l'espagnol avaient aussi figa et higa au féminin. La réfection concerne donc surtout le français et l'occitan figa. On peut observer en espagnol l'amuïssement régulier du f initial suite à une influence basque, cela s'est produit tardivement mais avant le XVe s. L'autre fait notoire est le voisement dans les langues occidentales, l'italien conserve l'occlusive intacte.

L'étymon latin aboutit à fie (1170) car le mot *fica était accentué à l'initiale et la consonne atone s'amuït alors normalement (vita donne vie) ; ce fait est important pour comprendre ensuite l'évolution qui donne le mot foie. L'ancien français fige (1170), puis figue (1175) est une réfection sur l'ancien provençal figa (XIIe s.) L'allemand Feige (figue) et Feigenbaum (figuier), le néerlandais vijg et vijgenboom, l'anglais fig et figtree sont passés par l'intermédiaire du français.

La figue de barbarie

Fruit du cactus ou figuier de Barbarie (1625) ou figuier d'Inde, ou raquette. Selon Littré : « Le fruit du cactier, que nous appelons figue de Barbarie, est appelé par les Arabes figue du chrétien. C'est qu'en effet ce cactier a été apporté d'Andalousie (il venait primitivement d'Amérique) en la province d'Oran par les Espagnols. »

D'autres réalités vivantes portent le nom de la figue :
— Figue-caque, un des noms vulgaires du diospyre kaki (ébénacées).
— Figue de mer. Espèce méditerranéenne d'ascidie comestible.

Les dérivés sont peu nombreux :
— Figuier (1200), réfection de fiier, fier (1120) formé sur fie.
— Figuerie (1350, rare) et figueraie (1627, courant).
— Figuette, boisson alcoolisée à base de figues.

Les sens argotiques sont sexuels :
— Vulve : cette métaphore est très ancienne, elle se trouve en grec chez Aristophane, elle est passée en latin puis en italien et elle se retrouve à l'origine de faire la figue.
— Testicules, généralement au pluriel (1931).
Le latin désignait aussi une verrue (Martial).
Le nom du figuier rentre dans une désignation raciste visant les Arabes.

Les expressions figurées sont plus complexes et elles ont donné lieu à des explications embrouillées.

— Jurer figues dioures (Rabelais).

Mi-figue, mi-raisin

D'abord moitié figue, moitié raisin (1487). Cela signifie indécis, perplexe; moitié de gré, moitié de force ; ; partie sérieusement, partie plaisantant. L'expression a dérivé aussi en ni figue ni raisin (XXs.) « indécis, peu franc » et en figue et raisin (Daudet). Une émission de Bertrand Jérôme l'a déclinée en mi-fugue, mi-raison.
Au XIXe s., on a cru que les importateurs vénitiens de raisins de Corinthe étaient dupés par les producteurs qui voulant gagner davantage mêlaient des figues au raisin de Corinthe. En fait, les figues et les raisins sont les fruits secs du Carême.

Faire la figue

Cette expression ancienne et vieillie (1210) veut dire mépriser, braver, se moquer de.
« Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeant,
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue. » (La Fontaine)
Voici l'explication de Furetière :
 

Ce proverbe vient de l'Italien Far la fica. Il tire son origine, à ce que dit Munster & autres Auteurs, de ce que les Milanois s'estant revoltez contre Frideric, avoient chassé ignominieusement hors de leur ville l'Imperatrice sa femme montée sur une vieille mule nommée Tacor, ayant le derriere tourné vers la teste de la mule, & le visage vers la croupiere. Frideric les ayant subjuguez, fit mettre une figue aux parties honteuses de Tacor, & obligea tous les Milanois captifs d'arracher publiquement cette figue avec les dents, & de la remettre au même lieu sans l'aide de leurs mains, à peine d'estre pendus & estranglez sur le champ : & ils estoient obligez de dire au boureau qui estoit present, Ecco la fica. C'est la plus grande injure qu'on puisse faire aux Milanois que de leur faire la figue : ce qu'on fait en leur monstrant le bout du pouce serré entre les deux doits voisins. Delà ce proverbe est passé aux autres nations, & même aux Espagnols, qui disent, Dar las higas. Les Latins par derision monstroient la moitié de l'ongle, comme on voit dans ce passage de Juvenal, mediumque ostenderet unguem. Les François font les cornes, en monstrant deux doits estendus pour faire le même signe.
Voici maintenant un supplément de Littré :
 
Douce, Illustrations of Shakspeare and of ancient manners, Londres, 1839, p. 302307, pense que l'origine de la locution faire la figue, n'est pas dans la vengeance prise par Frédéric Barberousse du Milanais, et qu'il faut y voir non figue, mais fic, sorte d'ulcère. La forme du mot s'oppose à cette dérivation : c'est en français figue et non pas fi, fica en italien et non pas fico, higa en espagnol et non pas higo. Mais une autre difficulté s'élève : est-ce bien la figue qui est dans la locution. J'ignore si le récit relatif à la figue, à Frédéric Barberousse et aux Milanais est authentique ; en tout cas, dès le XIIIe siècle, les figues et les Milanais étaient réunis dans l'opinion commune, témoin ces vers d'un troubadour, Raimond de Miraval, cité par Raynouard : Preno'l sordeis c'avian soanat, Aissi com fes lo Lombart de la figuas (Prennent la souillure qu'ils avaient méprisée, ainsi comme le Lombard fit des figues). Le français aussi, dans le XIIIe siècle, voit une figue dans la locution : " Cil prince nous ont fet la figue. " De ce côté-ci des Alpes, la figue est en jeu. Mais la chose devient douteuse en Italie, en Espagne et en Portugal. L'italien dit fica : far le fiche, le castagne, faire la figue, la nique ; et le sens propre de fica est la nature de la femme ; le plus ancien exemple italien de la locution est du maître de Dante, Brunetto Latini, qui, dans son Tesoretto, p. 84, dit : Credes i far la croce, Ma el ti fa la fica. Dans un texte de pays italien, Du Cange a ficham facere ; on remarquera que le mot est écrit par une h, ficha. L'espagnol dit : hacer la higa ; higa, en cette langue, signifie amulette. Le portugais a dar figas, faire la figue ; figa, ici aussi, signifie amulette. En regard de ces formes, il devient douteux que fica, higa, figa soient le même mot que l'ital. fico, s. m. figue, l'espagn. higo, s. m. et le portug. figo, masculin aussi. Il semble donc que fica, higa, figa sont les mêmes que le franç. fiche, et le prov. fica, piqûre, appui, se rattachant au lat. figere ; de là on déduit sans peine le sens d'amulette, chose fichée, appendue ; avec plus de difficulté le sens italien de nature de la femme. De la sorte, far la fica, ficham facere serait un geste de maléfice. Mais alors que reste-t-il de la figue et de l'histoire de Frédéric Barberousse et des Milanais ?
En fait, l'image de la figue comme sexe de la femme est antique, le geste est explicite, archaïque et il n'y a pas besoin d'une explication par un autre détour. Le mot fica comme vulve est attesté en italien dès le XIIIe s.

Le foie

Le nom de la figue se retrouve encore dans le foie. Ce dérivé tardif (XIIe s.) de ficus par ficatum ou « foie gras », ou plus précisément foie d'un animal nourri avec des figues. C'est un calque du grec sukôton. Néanmoins, l'histoire du mot est particulièrement complexe et elle nécessite une page particulière.

Le sycophante

Le grec sukon a donné lieu à une image : les dénonciateurs des voleurs de figues dans les bois sacrés de l'Attique, ou, selon Plutarque, de ceux qui exportaient des figues étaient nommés sukophantès. Mais selon Gernet ce serait celui qui montre (phanein) les figues cachées sous le vêtement du voleur. Le terme apparaît à la Renaissance : sicophant (1500), cycophant (1528), sycophante (1559). Il est emprunté au latin impérial sycophanta. L'extension de sens à fourbe, criminel, coquin, fripon, menteur est moderne. Il existe un hapax sycophanterie (Valéry à Gide parlant de Barrès).
 

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